
bondes une forme qu’on garnit de chiffon. Après
qu’on a fuffifamment vidé l’eau, on travaille à
la troifième porfe ; mais i l eft bien difficile de fabriquer
avec toute la matière qui refte dans la
cuve, du papier de bonne qualité, malgré l’attention
d’enlever l’eau furabondante ; lors donc qu’on
voit que l’ouvrage eft fal'e , gras & de mauvaife
qualité, on couche feuilles fur feuilles fans inter-
pofition de feutres , & il eft mis en rèferve pour
les bulles ou les maculatures.
■ Sitôt que la cuve eft débarraffée 'de toutes ces
matières, on commence à la laver & à la rincer
d’abord à grande eau pour entraîner les ordures,
lés faletés du fond , les rouilles du piftolet, puis
avec de fortes broffes on détache les graiffes qui
font abondantes & adhérentes aux parois intérieures
& au fond : on nettoye auffi le piftolet.
Dans quelques fabriques de Hollande & des
Pays-bas, on ne travaille guère que deux porfes,
puis on puife avec des baffines l’ouvrage qui refte,&
on le met en dépôt dans un cuvier jufqu’à ce qu’on ait
tout enlevé, & qu’on foit parvenu aux faletés du
fond, puis on rince bien la cuve ; après quoi on
remet la matière qu’on a dépofée dans le cuvier,
& l’on continue de fournir la cuve à l’ordinaire.
Ccftome les cuves font beaucoup plus chargées
de graiffe en France, on n’ofe pas employer les
matières de la troifième porfe à charger la cuve ;
on y emploie de nouvelle matière que fourniffent
deux affleurées, fi le papier qu’on fabrique eft de
moyenne forte, & l’on paffe l’eau qu’on ajoute à
la pâte , à travers un gros drap qui arrête au paffage
les impuretés dont elle peut être chargée.
J ) es différentes qualités des pâtes relativement au
travail de la cuve.
Nous n’avons décrit jufqu’à préfent que les
fimples manoeuvres du travail de la cuve : il
convient maintenant de parler des differentes
qualités des pâtes qu’on y emploie , & de la
meilleure manière de les traiter. Ainfi, après avoir
indiqué les principes généraux qui guident les
habiles fabricans dans la fabrication des pâtes,
je reprendrai, dans autant d’articles féparés, les
fondions de chacun des ouvriers de la cuve, &
je tâcherai de montrer plus particulièrement l’ef-
prit de leurs opérations, les modifications qu’elles
éprouvent fuivant les qualités des pâtes ; de faire
connoître en un mot tout ce qui,dans ces points
importans, peut fervir à développer & établir la
théorie de l’art.
On diflingue, dans les matières qui fervent à
la fabrication , deux états qui influent fur les
opérations des ouvriers;, & particulièrement fur
leurs réfultats. Le premier eft celui des pâtes
furges, c’eft-à-dire, des pâtes qui, n’ayant pas de
Eraiffe, quittent l’eau avec la plus grande facilité.
e fécond eft celui des pâtes graffes qui retiennent
J’çau abondamment & long-temps. On fent que
ces états font plus ou moins décidés , fuivant que
la graiffe eft adhérente aux parties fibreufes de
la pâte dans une proportion plus ou moins grande
Ce font ces différens états & leurs nuances qu’il
importe de bien connoître; & il me fembleqUe
toute cette étude fe réduit à déferminer la ma.
nière dont les pâtes fe comportent avec l’eau qui
leur fert de véhicule dans le travail de la cuve-
plufieurs habiles fabricans , les ouvriers même
intelligens , fe font appliqués , depuis quelque
temps, à la recherche des moyens les plus propres
à maîtrifer ces différentes pâtes ; & l’on peut dire
qu’à dater de cette même époque , l’art de la
papeterie s’eft perfedionné, fur-tout relativement
à ces points importans.
Les pâtes bien triturées, exemptes de graiffe
qui quittent l’eau affez promptement, en un mot*
\ss pâtes furges , font faciles à travailler, même par
des ouvriers médiocres; cependant il eft à remarquer
que leur fabrication ne feroit pas fans
inconvéniens fi elles quittoient l’eau trop promptement
& complètement, car l’ouvreur n’auroit
pas le temps de diftribuer la matière fur la formé
comme il convient : en fécond lieu, le Coucheur
auroit de la peine à coucher fa feuille fur le
feutre , parce qu’elle n’y adhéreroit pas, faute
d’une certaine quantité d’eau que doit boire l’étoffe
de laine pour fe faifir de la feuille de papier.
Comme ces pâtes furges font plus communes
en France que les pâtes* graffes, c’eft en général
pour cette raifon que le travail de la cuve y eft
fort expéditif, attendu que, comme nous venons
de le remarquer, ces pâtes ont befoin d’être ouvrées
& couchées promptement. Auffi, lorfque les ouvriers
françois rencontrent des matières un peu
g a ffe s , comme ils font accoutumés à brufquer
leurs manoeuvres , ils font beaucoup de papiers
defedueux, fi on ne les ramène pas à la méthode
longue & lente des Hollandois.
Les matières graffes fe montrent fingulièrement
dans le travail de la cuve ; d’abord l’ouvreur eft
obligé de balancer un certain temps fa forme
avant que l’ouvrage ait pu s’y fixer ; car il faut
qu’il facilite l’écoulement de l’eau furabondante ,
qui quitte difficilement la pâte. Le coucheur, au
contraire , eft obligé de coucher promptement,
parce que la matière n’ayant pris .que] très - peu
de confiftance fur la forme, feroit fujette à fe
déranger s’il ne précipitoit fes mouvemens, ou
s il ne couchoit pas à plat, ce que nous expliquerons
par la fuite.
Comme les Hollandois, qui ne pourriffent pas
leurs chiffons, font accoutumés à des pâtes plus
ou moins graffes , le travail de la cuve en Hollande
eft beaucoup moins expéditif qu’en France:
on eft étonné des mouvemens que fait l’ouvreur
pour fe débarraffer de l’eau que fa pâte retient
avec opiniâtreté. Le coucheuf ne fe hâte pas non
plus autant qu’en France, & foigne beaucoup la
difpofition des feutres de (k porfe.
les preffages font auffi fort longs en Hollande, ,
ce qu’il eft nèceffaire de faire mouvoir la preffe
lentement & fortement pour fécher les porfes
composes d’une matière qui ne fe déiailit de lq.au
„ne par des progrès infenfibles. Mais ces premières
opérations étant bien foignées, le leveur, 'en Hollande
, ne trouve'prefque plus de difficulté, & leve
quelquefois la double porfe pendant que les deux
ouvriers la fabriquent.
On peut fe convaincre, par ces aperçus, que
les fabricans ont reconnu , par expérience , la
néceffité de modifier leurs manoeuvres fuivant la
différente qualité des pâtes ; ainfi l’art de la papeterie
doit être confidéré, non comme une fuite
de manipulations appliquées à une matière toujours
la même, & affujetties à une routine fans réflexion
, mais comme un compofé de procédés variables,
& dépendans de, l’état des matières fur
lefquelles on opère. J’ai déjà indiqué les reffourées
de l’art dans, l’emploi des matières, relativement
aux différens degrés de pourriffage dans mon
fécond mémoire ; aujourd’hui je dois embraffer
toutes les prconftances qui fe rencontrent dans’
la préparation & dans la fabrication des pâtes.
Je vais fuivre dans ces vues les opérations des
trois ouvriers de la cuve; je ne craindrai pas les
répétitions en parlant de leurs fondions, dès que ces
détails pourront fervir à indiquer les principes qui
me paroiffent les plus propres à diriger ces
opérations. .
Ouvreur,
L’ouvreur tient, comme nous l’avons dit, la
forme à deux mains, & par les deux petits côtés ,
avec le cadre ou la couverte appliquée' exactement
deffus ; puis l’inclinant un peu vers lui, il
la plonge dans la cuve. Quand il commence fa
porfe, il fait fa feuille en deux temps ; i°. il plonge
d’abord la mauvaife rive ou le grand côté le plus
proche de lui ; i° . après avoir retiré la forme,
il plonge de nouveau la bonne rive ou le grand
côté Oppofé ; mais après les vingt premières feuilles
il fait les autres en un feul temps.
J’ai vu des ouvreurs qui abrégoient ces manoeuvres
en mettant une baffine d’eau dans la
cuve, à l’endroit même ou ils plongeoient la
forme, & , par ce moyen, ils fe trouvoient en
train dès les premières feuilles.
Dans le travail ordinaire , l’ouvreur plonge !
feulement la mauvaife rive de fa forme , & la
relève horifontalement chargée de l’ouvrage dont
le fuperflu s’écoule à l’inftant de tous côtés, &
dont la quantité fuffifante eft retenue par le contour
de la couverte & par fon épaiffeur ; l’ouvreur facilite
en même-temps & hâte la diftribution de la
pâte fur la verjure , en balançant de droite à
gauche, puis de gauche à droite, ce que l’on appelle
inverger ; & pouffant enfuite d’avant en arrière &
dar,ri.ère en avant, l’eau achève de s’écouler, &
& tyitkn, tw&Ç Y»
la matière de s’unir & de fe ferrer. Tous ce $
moiiveménss’exècutentplus ou moins v ite, fuivant
que l’eau quitté facilement la pâte, & qu elle
l’abandonne lur la toile de la forme ; il eft aifé
devoir, pendant ces manoeuvres, la matière s ar-
faiffer infenfiblement, fes petits filamens fe lier &
s’égalifer, & prendre fous la forme d’une feuille
de papier.
L’ouvreur doit avoir l’attention , en diftribuant
la matière fur la verjure, de renforcer le* bon
coin, c’eft-à-dire, le coin de la feuille qui eft à
droite du grand côté le plus éloigné de lui. C eft
ee coin, comme nous le verrons par la fuite,
que l’on pince en leyant les feuilles , en les relevant
& en les étendant; fans cette, reffource du
bon Carton, il fecafferoit beaucoup de papier dans
toutes ces opération délicates.
L’ouvreur doit éviter auffi d’enlever trop ou
trop peu de matière avec fa forme , & il faut
avouer que l’habitude lui donne a ce fui et une
précifion étonnante. Il doit fe régler auffi fur la
facilité avec laquelle l’eau quitte la matière , pour
accélérer ou retarder fes mouvemens, & fur-tout
Ceux par lefquels i étend l’ouvrage fur la forme;
car il eft nèceffaire que la diftrioution régulière
en foit faite avant que l’eau foit écoulée, & que
la matière foit affaiffée. Ceci exige que chaque
fois qu’il change de pâte , il en étudie la qualité,
afin de régler en conféquence fes* manoeuvres.
Lorfque la formé eft chargée de la matière ,
-il faut éviter foigneufement de lui faire éprouver,
le moindre choc, & fur-tout de frapper 1 égouttoir :
car elle peut être dérangée par ces chocs, affez
fenfiblement pour obliger de recommencer la
feuille. 1
Il eft bien important auffi que l’ouvreur foulève
la couverte fans offenfer les bordures des feuilles,
car il arrive fouvent qu’elles font dentelees le
long de la mauvaife rive, faute de cette attention.
Les mouvemens de l’ouvreur fe réduifenr,
comme nous' l’avons vu , à deux principaux, a
celui d’enverger, & à celui de pouffer^ en avant.
En envergeant, la pâte s’introduit facilement &
abondamment dans les intervalles de^la verjure;
mais en même temps la matière s accumulant
le long des traces du manicordion, les ombres
fe fortifient fur ces mêmes lignes.
Lorfque l’ouvreur pouffe en avant, toute la
feuille fe nettoie & s’éclaircit, parce que , dans
ce fens, aucun obftade ne s’oppofe à la diftribution
égale & régulière dé la pâte.
Il y a des ouvreurs qui envergent plus qu’ils
ne pouffent en avant, & il en réfulte que les
feuilles, produites par leur travail font fort chargées
d’ombres, non-feulement aux deux cotes des-
pontufeaux, mais auffi dans les intervalles d un
pontufeau à l’autre.
Au contraire, fi les ouvreurs pouffent plus en
avant qu’ils n’envergent, les feuilles ont beaucoup
moins d’ombres t & en conféquence dune
S s s