
1 6 4 M O N
d’argent, é toit, en janvier 2787, d’un marc
d’or pour 1 4 marcs d'argent.
Les avantages que l’on fait confiner dans ce
changement de proportion, font, 1 °. de rétablir le
rapport des monnoies d’or aux monnoies d’argent,
dans la mefure qu’exige celle qui a lieu chez les
autres nations ; a°. de faire difparoître l’intérêt
de les exporter ; 30. de pourvoir à ce que l’appât
du gain n’excite plus la tentation de les fondre;
40. d’empêcher les fujets du Roi d’être léfés dans
l’échange de ces métaux.
Quelques réflexions fuffiront pour démontrer
que ces avantages n’ont pas plus de folidité, que
les bafes de .l’opération à laquelle on les attribue.
i°. Il vient d’être prouvé que dans l’intervalle
des 14 années qui fe font écoulées depuis la publication
du tarif de 1771 , jufqu’à celle de la
déclaration du 30 oâobre 1785 , les étrangers
n’ont point changé les rapports établis entre
leurs monnoies d’or & d’argent ; au moyen de
quoi les mefures étoient les mêmes en 1785 qu’en
1 7 7 1 , & n’exigeoient de la part de la France
Aucun rétablijfement.
Quand il ieroit vrai, au furplus, que l’Efpagne
eût changé ces rapports , feroit-ce une raifon de
l’imiter ? Cette puiffance e ft, ainfi que le Portugal
, dans une pofition abfolumerït différente de
celle des autres états ; l’or & l’argent font des
productions de fon fo l, dont elle peut élever ou
réduire la valeur, foit en raifon des quantités
plus ou moins grandes de ces matières que fes
mines lui rendent chaque année , foit eu égard
à la confommation plus ou moins eonfidérable
qui s’en fait en Europe.
L’intérêt des nations, qui, comme la France,
échangent leurs denrées & marchandifes contre
ces métaux , eft de fe défendre contre toute augmentation
de leur valeur, & non de la provoquer.
Si l’Efpagne a quelque motif pour retenir
un de ces métaux par préférence à l’autre, elle
augmentera le prix de celui qu’elle voudra garder,
& l’on conçoit aifément que plus elle s’apercevra
que l’étrangej le recherche, & fait des
efforts pour le lui enfever, plus elle ajoutera à
cette première augmentation.
20. Le nouveau tarif n’a point fait difparoître
l’intérêt d’exporter les efpèces. De tous les moyens ‘
d’empêcher cette exportation, le plus efficace fe-
roit de faire pencher, dans toutes les parties du
monde, la balance du commerce en faveur de la
France ; mais, en la fuppofant parvenue à ce
degré de profpèrité, ce ne feroit pas encore une
raifon déternrnante pour contrarier cette exportation
; elle pourroit être provoquée par des fpé-
culations utiles, & dans ce cas il faudroit, ainfi
qu’on l’a déjà obfervé, la favorifer au lieu de s’y
oppofer.
La France n’eft pas dans cette heureufe pofition
vis-à-vis de l’Angleterre; fi à l’époque où
le chevalier deWhitworth a publié fon ouvrage,
la balance penchoit en faveur de cette dernière
puiffance , elle doit y pencher d’une manière
beaucoup plus fenfible, depuis que la Compagnie
des Indes de France eft forcée d’acheter de la
Compagnie Angloife la majeure partie des marchandifes
du Bengale & de la côte de Coromandel
, néceffaires à fes affortimens : l’exportation
des efpèces devient indifpenfable dans ces cir-
conftances.
On a pris l’Angleterre pour exemple, préférablement
aux autres états, parce qu’il femble,
par le terme de la nouvelle proportion, que l’on
a principalement cherché à fe rapprocher de celle
qui eft obfervée dans ce royaume depuis près
de deux fiècles. On pourroit demander quelle
néceffité il y avoit de s’occuper de ce rapprochement
aujourd’hui, plutôt qu’en 1726.
Deux motifs principaux peuvent avoir déterminé
l’Angleterre à donner plus de valeur à l’or:
l’un , quelle a moins befoin d’efpèces d’argent,
parce que les billets de la banque forment une
maffe très-confidérable de valeurs admifes dans
la circulation, qui lui tiennent lieu de numéraire
; l?autre eft fondé fur fes relations de commerce
avec le Portugal.
Ce royaume étant moins riche en argent qu’eu
or, il étoit de l’intérêt de l’Angleterre de mettre
un plus haut prix à ce dernier métal, pour s’air
furer la préférence de la Fourniture des denrées
& marchandifes dont le Portugal a befoin pour
fa confommation & l’approvifionnement de fes
colonies ; fourniture qui, fuivant M. le chevalier
Whitworth, forme pour l’Angleterre un objet
d’exportation annuelle d’environ trente millions
de livres tournois.
Ce furent des confédérations de cette nature
qui, lors de la rédaction du tarif de 17 7 1, portèrent
les chambres du commerce de Lyon &
de Bayonne à infifter pour qu’on ne diminuât
pas la valeur de l’argent, en élevant la proportion
en faveur de l’o r , dans la crainte • que ce
changement ne portât préjudice au commercé de
la France avec l’Efpagne, qui eft plus- riche en
argent qu’en or, & n’interceptât l’importation
des piaftres.
La France n’a point de change établi avec le
Portugal ; c’eft ordinairement l’Angleterre ’ qui
lolde ce que ce royaume doit à la France : plus
cette puiffance élève la valeur de l’o r , plus elle
met l’Angleterre à portée dé lui payer avec avantage
les dettes des Portugais ; ainfi l’augmentation
du prix de l’o r, & la proportion nouvellement
adoptée, font, fous ces rapports, contraires
aux intérêts de l’état, en ce qu’elles tendent à diminuer
la maffe du produit des échanges que les
négocians François font avec le Portugal.
La facilité du tranfport des efpèces d’o r , les
rend d’ailleurs plus néceffaires & plus commodes
à l’Angleterre qu’aux états qui font fur le continent.
Le changement de proportion ne peut pas empêcher
l’exportation des efpèces qui font deftinées
au paiement de la fomme de la balance du commerce
de la France avec l’Angleterre , mais il
met le négociant françois dans le cas de ne pouvoir
s’acquitter avec des efpèces d’or de la nouvelle
fabrication, fans éprouver une perte conft-
dérable.
On a vu que ces nouveaux louis ne contiennent
que 1 2 9 grains d’or fin; les anciens en
contenoient 1 3 8 ^ . Le Roi peut bien ordonner à
fes fujets de recevoir les nouvelles efpèces pour la
même valeur que les anciennes ; mais l’étranger,
qui n’évalue les monnoies de France qu’en raifon
de leur titre & de leur poids, fans avoir égard
à leur valeur numéraire, ne peut être contraint
de recevoir 1 2 9 ^ grains d’o r , pour la même valeur
que 138^-grains de ce même métal.
L’or au titre des louiis (2 1 karats j | ) fe ven-
doit à Londres, en janvier 1787, 3 liv. 16 fols,
3 den. fterlings l’once, (poids de T ro y ) l’argent,
au titre des écus ( io den. f ^ ) fe vendoit
à la même époque 61 £ den. fterling l’once, même
poids, laquelle équivaut à 585 ^grains du poids
de marc de France.
On a vu ci-devant que le marc des nouvelles
efpèces d’or de France eft compofé de 3 2 louis ,-
I lefquels ont cours pour 24 liv. ; ainfi un marc
I de ces efpèces équivaut à 768 l iv ., ou à 128 écus
de 6 liv.
En fuppofant que les directeurs des monnoies
ayent employé les f du remède de poids dans la
fabrication de chaque marc de louis, & moitié
| de ce même remède dans celle de chaque marc
d’écus, un louis doit pefer 143 f f grains, & un
écu , 553 Vj grajns : ainfi, 4599 grains d’or ,
au titre de 21 karats f | , font admis dans la circulation
pour la même valeur que 70,785 grains
I d’argent, au titre de iod_n. f£.
Dans cette hypothèfe, en portant à Lon-
I dres 128 écus de 6 liv. contenant 70,785
I grains de matière à 10 den. , on s'acquittait
I de. . . . . . . . . . 1. f. d. fterL
i ........................... • • • 31 0
E'3 y , ortant, au contraire,
t 32 iouis nouveaux contenant
[ 4599 grains de matière à 21
karaté , & équivalant en
France aux T28 écus de 6 liv.,
ou ne s’acquittoit que de. . . 2 9 19 O
Il y avoit conlé.juemment. i 1 o
de bénéfice fur 768 liv. de France , à préférer
de prfyer cette ium ne en argent«. Ces 2t fols
fterlmg, au change de 29 ± qui avoit cours
[ alors, valoiert 25 Uv. 6 fols 10 dëh..>; au m yen
de quoi, quatre écus de 6 liv. produffoient 16 fols
1 den:7||f de plus qu’un louis. Ii réfulte de ce
calcul, que ft le changement opéré par la déclaration
empêche l’exportation des efpèces d’o r , il
provoque celle des efpèces d’argent qui font plus
utiles à la France , en ce que rien ne peut les
fuppléer dans la circulation, excepté les billets
de la caiffe d’efcompte, qui ne font admis en
paiement qu’à Paris : la diminution d’un denier
| fterling par once (3 fols 6 den. de France)
que le prix des matières d’argent a éprouvé en
Angleterre, depuis un an , prouve que tel eft
réellement l’effet de cette opération.
L’exportation des efpèces d’argent a , fous un
autre rapport , offert des avantages beaucoup
plus confidérables aux étrangers ; ceux qui, antérieurement
au 30 oCtobre 1785, avoient reçu
un marc d’anciens louis pour 120 écus de 6 liv .,
& qui l’ont apporté aux hôtels des monnoies
poftérieurement à cette époque, y ont reçu en
échange 125 écus; ils ont conféquemment gagné
5 écus, ou 4 pour cent par cette opération ; &
s’ils fe font permis de fabriquer 32 louis nouveaux
avec les 30 anciens, ce bénéfice s’eft élevé à
8 écus de 6 livres, ou 6 f pour cent.
L’Anglois qui apporte-aujourd’hui
un marc de guinées au
change, y reçoit en paiement. i2Ô-|écusde6liv.
Il n’en recevoit, avant la
déclaration du 3 oCtobre 1785,
que. . . ................................. 119 »
Différence en fa faveur, &
au préjudice de la maffe du
numéraire de la France. . . écus de 6 liv.
Faifant un peu plus de 5 fp . f .
Il eft donc démontré , par tout ce qui précède,
que le changement de proportion n’a fait difparoître
Vintérêt d'exporter- les efpèces d'or, qu’en
-provoquant l’exportation des efpèces d’argent, &
que cette exportation s’eft faite d’une manière à
la fois ruineufe pour la France, & deftruCtive de
fon numéraire.
30. Le plus fur moyen d’empêcher les artiftes
qui emploient les matières d’or & d’argent, de
fondre les efpèces , eft de s’abftenir de toute opération
qui tende à faire augmenter te prix de ces
matières.
Il eft certain que dans l’état aCtuel, un orfèvre
ne préférera pas de fondre un marc de louis , qui
lui coûte 768 liv., tandis qu’il peut fe procurer
dans le commerce un marc de matières au même
titre, qui ne lui coûtera que750liv. 1 fol i i den.;
mais le haut prix auquel les financiers, chargés de
la fourniture des piaftres, les ont portées, offrant
aux artiftes quelque bénéfice à fondre les écus
par préférence aux piaftres, il y a lieu de croire
qu’ils prennent ce parti, d’où il réfulte que les
mefures que le gouvernement emploie pour con-
ferver les efpèces d’o r , & celles qui ont pouf
objet l’augmentation du numéraire, concourent
enfemble pour faire exporter & fondre les espèces
d’argent.