
M O U L A G E - (Art du)
U an s la rédaéfion de cet article, nous ne pouvions
choifir un plus fûr guide que M. Fiquet, qui
a traite dans le plus grand détail,-d ’après Ton expérience
& fes connoiifances très-étendues, l'art du
Mouleur en plâtre.
Qu’il nous foit donc permis, ne pouvant mieux
faire , de fuivre fa marche , d’expofer la doftrine
du maître avec fes propres expreflions, & d’indiquer
fes procédés qui font ceux de l’art & d’une
pratique raifonnéç.
Avant d’entrer dans aucun détail, jetons un coup-
d’oeil rapide , dit M. Fiquet, fur l’hiftoire de l’art
du mouleur en plâtre, & tâchons de démêler ce
qu’il a été chez les anciens. Nous fuivrons ses progrès
chez les modernes , & nous finirons par examiner
quelle eft fon utilité générale, & quels fecours
les artiftes & les amateurs en peuvent tirer.
Tous les commencemens des arts font obfcurs :
on ne peut former que des conjeélures fur la ma-'
nière d’opérer des anciens. Quelques paflages. de
Moyfe , de Pline, de Vitruve , ne nous ont pas
la’uTé abfolument fans lumières; maisi] eft impof-
l'.ble d en former un fyftême d’opérations fuivi; on
ne marche qu’à travers des ténèbres.
Tout ce que l’on peut recueillir de quelques
traits épars dans leurs ouvrages, fe réduit à très-
peu de chofe ; & les monumens de ce genre, de-
venus fi rares , ou prefqu’abfolument détruits, ne
peuvent fuppléer au fileuce des hiftoriens.
Il paroît que la méthode la plus communément
fuivie parmi les anciens, & particulièrement pour
les grands ouvrages, étoit de fondre en James de
diverfes épaifteurs les métaux dont ils Voulpient
taire leurs ftatues ; ils raffembloîenr enfuite ces
platines ou pièces différentes fur une armature.dé
fer , les rapprochoienc au marteau & leur don-
noient les formes défirées.
C ’eft ainfi que paroiffent avoir été cofiftruits le
coloffe de Rhodes, la ftatue coloffale de Néron ,
&c. monumens dont la grandeur nous étonne,
mais dont le merveilleux difparoît dès qu’on s’eft
formé une idée de la mécanique qui les a élevés.
Tantôt ils fe fervoient d’ane efpèce de, pierre,
dans laquelle ils avoient reconnu la propriété de
réfifter à la violence du feu ; ils la creufoient &
en faifoient un moule grotfier , dans lequel ils
couloient la matière. Ils. n’en retiroient, à la vérité
, que des figures maflives, & qui le plus fou-
vent* ne préfentoient que des formes-à peine
ébauchées ; mais on les perfeâionnoit an cifeau.
Quelquefois même on couloit des métaux fans
forme, on en faifoit un bloc dans lequel, à force
de travail & de patience, on parvenoit à tailler
une fiatue comme on travaille le marbre.
Lorfque l’art fut perfeélionné, l’on fe fervit de
modèles, qui n’étoient cependant point deftinés à
l’ufage que nous en faifons aujourd’hui.
Ces modèles fe faifoient de terre préparée ; on
en enlevoit par-tout une épaiffeur égale à celle
qu’on vouloit donner à la matière qu’on devoit
couler., de forte que le modèle devenoit proprement
ce que nous appelons noyau.
On faifoit recuire ce noyau, on le couvroit de
cire ; l’artifte terminoit ces cirés , & c’étoit fur
ces cires terminées que fe faifoit le moule de potée
; enfuite l’ouvrage s’achevoit comme chez
les modernes.
Cependant il y a lieu de croire que les anciens
n’ont coulé de cette manière que des morceaux
d’une grandeur médiocre : telles font les oies du
Capitale , qui fubfiftent encore.
Us couloient , fuivant la même méthode, les
diftérentes parties de la figure par morceaux fépa-
rés qu’ils raffembloieiit enfuite avec art.
La fiatue de. Marc-Aurèle , feul monument de
ce genre un peu confidérable qui nous foit refté
de la main des anciens , paroît avoir été coulée
en deux parties, la figure & le cheval féparément.
On ignoroit encore, il y a moins d’un fiècle ,
l’art de fondre un grand morceau d’un feul jet.
Il paroît donc confiant que les anciens ont ab-
folüment ignoré l’ufage du plâtre liquide : ils s’en
font fervi comme du marbre & de la pierre pour
travailler au cifeàu, ou pour faire des modèles,
mais jamais pour prendre des empreintes , faire
des creux fur les reliefs & reproduire des originaux.
On s’efi quelquefois fervi de la cire à peu-près
pour lé même objet.
. Le frère du célèbre Lyfippe fit des figures en
moulant le vifage des perfonnes avec de la cire
qu’il peignoit enfuite : travail peu eftimé' fans-
doute; car il y a une grande différence entre l’ouvrage
fait avec l’ébauchoir & celui qui fe jette
en moule : l’un eff le fruit du génie, l’autre d’une
manoeuvre purement mécanique. .
Le premier artiffe eft créateur , & le fécond
copifte fervile ; dans quelques cas cependant on
eft forcé d’employer cette méthode, mais on ne
doit jamais'fe la permettre pour fe difpenfer d’étudier
la nature.
L’art de mouler en plâtre, qui multiplie les
chef-d’oeuvres de la fculpture , commença à naître
entre les mains de Verrochio «Sculpteur habile
jjile autant que peintre célèbre, il ne moula le
premier avec |du plâtre le vifage de perfonnes
Jnortes ou vivantes, que pour fixer des traits qui
s’échappent, choifir les formes les plus heureufes,
embellir & copier plus fûrement la nature. _ !
Cette découverte s’applique bientôt à l’art lui-
même; on connoît le prix des chef-d’oeuvres de
l’antiquité, on déterre les ruines précieufes, on
étudie ces modèles. Le Roffo , le Primatice, pa-
ïçiffent ; ils reffufcitent, pour ainfi dire , ces morceaux
jufqu alors ènfevelis ; ils moulent quantité
de fia tues, de buftes, de bas-reliefs antiques, &c.
Nos richefles fe multiplient, & chacun jouît de
copies préeieufes & fiJelles , dont les originaux
ne peuvent fe déplacer.
Alors François Ier, jufte appréciateur des ta-
lens, attire en France les artiftes célèbres. Us y
viennent chargés de leurs trèfors. Fontainebleau
s’embellit de ftatues jetées en bronze. Les Gou-
geon, les Pileur étudient l’art devenu pour eux
une fécondé nature plus fure que la première ; leur
goût fe développe-, leur génie s’enflamme, & la
France fe glorifie de produire des artiftes.
Telle eft fur les bords de la Seine la marche
de cette révolution rapide, pendant qu’on e^ève
à Florence, au père de la patrie & des arts , Corne
de Médicis, une fiatue équeftre dont la figure
& le cheval font coulés féparément.
En France , tous les arts fe replongent dans les
ténèbres fous les fucceffeurs de Henri II. Sous
Louis XIII enfin , ou plutôt fous Richelieu,. ils
recommencèrent à paroître.
On place fur un pont magnifique la fiatue du
plus adoré des rois. Cet ouvrage n’eft pas en entier
de la. main d’un François. Un élève de Michel
Ange a fondu la figure du cheval à Florence ;
& Dupré a lutté avec fuccès contre Jean de
Bologne, fon maître * dans celle du héros.
La ftatue équeftre de Louis XIII s’exécute dans
le même tems. On voit encore un Italien', Riccia-
relli, s’immortalifer parla figure du cheval, qui eft
un chef-d’oeuvre, tandis que celle du monarque ,
coulée féparément par un François, fait regretter
qu’elle ne foit pas du même artilte.
Enfin fous le régné de Louis XIV , où tout eft
perfeélionné, Relier s’affocie à la gloire de Girar-
don ; & de leurs talens réunis naît le plus grand Sc
le plusfuperbe ouvrage de ce genre, la ftatue de
la place Vendôme fondue d’un feul jet.
C’eft là le plus haut période de l’art. Ilh’y a rien
de mieux à faire en pareil cas , que d’étudier & de
répéter les procédés qu’on a fuivis alors. Aufli n’ignore
t-on pas que, cinquante ans 2près, lorfqu’on
a voulu exécuter la ftatue de Louis XV à Bordeaux,
la pratique en étoit prefqu’oubliée , & que fans les
mémoires de Boffrand, l’art de fondre d’un feul jet
une ftatue équeftre , eût peut-être été trouvé & perdu
dans l’efpace de deux fiècles.
Quant aux avantages qu’on retire de la méthode
de mouler, ils font fenfibles.On a déjà vu que
Arts & Métiers. Tome V. Partie i .
c ’eft à cette h eu reu fe d é c o u v e rte q u e no us fom in es
en partie r ed e va b le s d e la ren aiffance de art.
an tiqu e s m ou lé es pa r le R o ffo & le P rima tice , on
je té parmi nous les fem en c es du b on g oû t.
L e s bons m o d è les ainfi r é p a n d u s , les con n 1
fan c es mu ltipliée s , la na ture enfin é tu d ié e , 1
ne fles de l’art m ieu x fa if ie s , o n t en fan te des arti ^.
L o u is X IV av<ÿt b ien fenti l’u tilité .d e c ette me-
' th o d e , qu an d il fitwnouler à grands fr a is aR om e les
an tiqu e s & to u te la co lo n n e T r a ja n e , q u i u aP
p o r té e pa r pièces au L o u v r e , o ù l’on en v o i r en co re
qu e lq u e s débris dans la falle des antiques- .e s o
je ts d e cu r io fité & d ’in ftru a io n o n t é té détruits par
le t em s , qu i réd u it le plâtre en (alpêtre.
D a n s le même lieu fo n t les c r eu x des figu re s a
tiqu es , o u du moins ce qu i s’ en eft c o n le r v e , ma -
g ré les ra v a g e s d u t em s , & p e u t-ê tre le d efau t e
foins né ce flaires. 0 «
Q u ’ il nous fo it pe rmis de fo rm e r un v oe u , a e
fo u h a iter q u ’ il pa rv ien n e ju fq u ’au c ito y e n in rui
& c o n n o i f le u r , qu i ch e z nous pré fid e au x arts >ce
de v o i r r e n o u v e le r fu i les o rig in au x ces mou le s il
u tiles au ma intien des arts en F r a n c e , & ^ ainî f c
nant détruits o u d ép a r e illé s , & d’ en mu ltip lier
plâ tres. , .. ,
Sans pa rler de la co lo n n e T r a ja n e , d o n t il n appa
rtient q u ’à des fo u v e ra in s d’ a v o ir des cop ie s , <
q u e l ’ im pé ra trice de R u ffie v ie n t de fa ire m0|1 er
de nos jo u rs , com b ien de m o rc e au x p r é c ie u x , ont
les amateurs ne fo n t r ed e v a b le s qu ’à l’ art de m o u le r 1
S i la F ran c e jo u it d e l’H e r cu le F a rn è fe , du L a o -
c o o n , d u G la d ia t e u r , de la V é n u s de |P ?|diciS ? 1
l’Am o u r de M . B o u c h a rd o n , le M e rcu re de M . t 'i -
g a l l e , la V é n u s d e M . C o u fto u , fo n t les delice s des
con noiffeurs : ( c a r p o u rq u o i refufer io n s -n ou s a nos
artiftes c élèb res les é lo g e s q u e leu r pro d igu e ra la
p o fté r itî reco n n o iffan te enfin , fin o s ja rdins n»s
■ v e ft ib u le s , nos cab in e ts fo n t orn és de c e s ch e l-
d’oe u v r e s , nous ne les d ev on s qu’ à c ette mé thode
in gén ieu fe qu i fa it les mu ltip lier. G râ c e s a le s 101ns,
c elui qu i a ch è te n’e ft po int le po ffe ffeur e x c lu f if d un
tré fo r d on t il con n o ît raremen t to u t le prix.
S i de c e s a v an ta g e s g é n é r a u x , no us examinons
en détail c eu x qu e les a rtiftes en tirent jo u rn e llem en t
pour leurs t r a v a u x , nous v e r ro n s c om b ien c ette
m é th o d e i fe r v i au x progrès de l’art. U n h omme
u tile à la patrie v ie n t d’e x p i r e r , on v e u t fa iiir ô t pet*
pé tu er des traits ché ris q u e la mo rt v a d étru ire ; on
fe hâte, de le m o u le r : alo rs ce ma fqu e d on n e a 1 ar-
tifte le pro fil & les fo rmés principa les qui fo n t la ref-
fem b la n c e .i l ne le d ifp en fe pas de c o p ie r la n a tu r e ,
mais il lu i tien t lie u de c e m o dè le q u ’il d o it a v o ir
fou s les y e u x pour la fa ifir plus fû rem ent.
D ’a i lle u r s , quan d un artifte a fa it fo n mo dè le en
. terre m o lle , qu ’ il l’a animé du fe u de fo n g én ie ,
‘ s’ il v e u t tra v a ille r le ma rb re d’après le m o d è l e , n
fa u t en fix e r les fo rm e s , qu i d e v ie n d ro ie n t maigres
& arides en fé c h a n t , & les co n fe rv e r lans altéra^
tio n . L ’ im ita t ion fe ro it im p o fîib le fans le fe cou r s d u
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