
ce qui y contribue le plus , c’eft la pre'fiion que -
les fils de la chaîne font fur cette trame ; prefiion
qui, jointe à celle qu’y fak le coup de battant ,
lorfque pour en joindre les ouïtes op frappe le
peigne contre avec affez de force , la raccourcit
néceflairement, parce que cette trame fe replie
un tant foit peu entre chaque brin delà chaîne,
& même chaque dent du peigne produit aufli
autant de repliement.
Tous ces repliemens , multipliés à l’infini, ne
peuvent fe faire qu’aux dépens de la longueur de
la trame. D’un autre coté , il 'n’eft pas poflible
d’ajouter à chaque coup de navette de quoiSuppléer
à ce raccouiciffement, parce que cet effet eft
opéré fi rapidement qu’on a peine à l’apercevoir :
d’ailleurs le battant frappe à-la-fois -fur toute la
largeur de l’étoffe ; & quelque foin qu’on y apporte
, on ne fauroit éviter tous ces replis.
I! y a cependant des étoffes qui fe rétréciffent
fi fort, qu’il a fallu imaginer des moyens pour en
prévenir une partie : mais , comme je le dis , on
ne le prévient qu’en partie.
Les étoffes qui fe rétréciffent le plus, font celles
qui font le moins fournies en chaîne ; ce qui prouve
d’une manière fenfible le repliement de la trame :
çar pour prendre des exemples parmi des étoffes
de foie , les gros-de-Naples, ni les gros-de Tours,
dont la chaîne eft trèi-fournie, ne fe rétréciffent
qu’à proportion de la trame qu’on y emploie ; &
pour le dire en paffant, plus on trame gros une
chaîne , & plus l’étoffe conferve la largeur que
le peigne lui a donnée ; & fi à cette groffe trame
on joint une chaîne fournie , le rétréciffement eft
de peu de conféquence ; mais fi l’on fait un taffetas
à deux fils par dent, & qu’on ne trame qu’à,
deux bouts de foie fine , on efl forcé de travailler
de la manière qu’en terme de fabrique on nomme
à pied ouvert : fans cette précaution les libères,
quoique très-fournies en comparaifon du refte de
l’étoffe, fe caftent & l’étoffe fe déchire.
On appelle travailler à pied ouvert lorfque la
cha ne d’une étoffe eft peu fournie , & la trame
très-fine , l’attention qu’a l’ouvrier qui fabrique
l’étoffe , de donner le coup de battant fur la
trame , fans joindre les deux parties de la chaîne
qui l’ont reçue , qu’après que le coup eft donné ;
je m’explique : on fait que , pour incorporer la
trame dans une étoffe, il faut'féparer la chaîne
en deux parties égales, ou autrement, fuiyant
l’étoffe, par le moyen des liftes , & qu’on lance
dans cette féparation la navette qui y porte cette
trame.
Il ,eft certain que r fi on laîfle rejoindre ces
deux parties de la chaîne avant que de ferrer
la trame avec le battant , cette trame fera retenue
par la chaîne , & le -coup du battant ne
pourra la faire joindre aux duites -déjà paffées,
fans l’obliger à fe raccourcir, à caufe des replis
que nous avons déjà vu que le peigne lui fait
faire ; n ais fi au contraire on donne le coup de
battant avant que d’avoir fait rejoindre Tes deux
parties de la chaîne , on eft afiuré que les replis
qu’occafionne le peigne à la trame, feront pris
en grande partie fur la longueur non encore
fixée de cette trame, qui n’eft retenue que du
côté d’où vient la navette, & aucunement de
celui où elle fe trouve ; c’ eft pourquoi elle fournit
de la longueur au repliement qu’occafionne
le’ peigne.
Ceux qui ont fabriqué ou vu „fabriquer , favent
la facilité qu'éprouve l’ouvrier qui travaille à
pied ouvert, & au contraire la peine qu’il éprouve
quand il travaillé à pied clos , qui eft le contraire.
Il faut donc travailler à pied ouvert toutes les
étoffes qui ne font pas beaucoup fournies en
chaîne , ou celles qui l’étant convenablement,
ne font pas tramées en proportion de leur
chaîne.
Par ce moyen, non-feulement on trouve plus
de facilité dans le travail , mais encore l’étoffe
en a beaucoup plus d’éclat ; & ft l’on adopte
fouvent l’autre manière de travailler, 'Ce n’eft
que pour faire paroitre l’étoffe plus forte qu’elle
n’eft en effet.
Pour fe convaincre de la vérité de ce que j’avance
, il fuffit d’effiler une certaine quantité de
fils de trame : on verra que chaque fil de la
chaîne y eft marqué par autant de finuofités : il
n’eft perfonne qui n’ait effilé de la toile , & qui
n’ait remarqué cet effet.
Malgré les précautions que je recommande ,
l’étoffe tend toujours à fe rétrécir ; auffi les oui
vriers en contiennent-ils la largeur au moyen
d’un uftenftle qu’on nomme tempia, qu’ils avancent
tout contre le bord à mefure qu’ils en ont
fait un pouce ou deux tout au plus.
Voilà pourquoi les dents des liftères doivent
être plus fortes que celles du corps de l’étoffe ;
voilà pourquoi on tourne l’écorce vers le bout
du peigne : encore, malgré ces précautions, s’u-
fent-elles beaucoup plus & plus promptement aux
extrémités : & lorfqu’un peigne eft hors d’état
de fervir, on fe contente de changer les dents
d’un pouce ou deux de long à chaque bout, ce
qui le rend prefque neuf : on appelle cette opération
enter un peigne.
S’il eft quelquefois néceffaire d’enter un pei-»
gne parce que les dents des extremités font ufées,
fouvent aufli ne le fait-on que parce qu’e-les ont
contra été un peu de courbure, ou qu’elles font
devenues trop fouples & trop foibies ; fouverit
même cette réparation, quand elle eft bien faite,
rend un peigne meilleur qu’un neuf, & elle eft
très-économique.
Quand on a rempli le peigne du nombre de
dents qu’il doit contenir , on le finît 'par un nombre
de dents de liftères égal au premier , & de
la même groffeur ; puis on en met une très-grofte
comme la première de l’autre bout ; enfin on
inet la garde de la même manière qu’on a pratiqué
en commençant le peigne qui fe trouve ainfi
terminé, du moins quant au montage ; car il a
encore, dans l’état où nous le fuppofons à pré-
fent, bien des façons à recevoir.
On commence parle démonter de deflùs le
métier, ce qui fe fait d’abord en feiant les ju- .
ïnelles du côté où l’on vient de finir ; car j’ ai oublié
, en parlant des jumelles, d’avertir qu’on
doit les tenir beaucoup plus longues que le peigne
ne doit être , tant pour pouvoir les arrêter
lur les montans du métier par des points qu’ôn
ne met pas à profit, que pour donner du jeu à
! la batte dont on fe fert jufqu’à la dernière dent,
& de la place à la foule qui y refte jufqu’a la
fin, ; . • • • { _ %■) . ■
L’ouvrier feie donc les jumelles à environ trois
quarts de pouce des gardes par chaque bout du
peigne, en le tenant toujours tendu ; d’autres
lâchent les vis ; mais de l’une & de l’autre manière
il faut tenir le couteau-fcie de la main droite,
& foutenir ferme le peigne avec la gauche ,
fans quoi on rifqueroit de le cafter.
Voilà quels font les procédés qu’ôn emploie
ordinairement pour monter un peigne : il y en a
quelques-uns particuliers , dont j’aurai occafton
de parler dans la fécondé partie de ce traité ,
auquel je me réfère pour éviter les répétitions.
Voyons maintenant comment on rogne les
dents.
On a vu dans la fuite des opérations que je
viens de décrire, que les dents n’étoient jamais
coupées à la longueur qu’el!e> doivent avoir, parce
que quand on coupé les cannes, on ne fait pas
à quel peigne elles font deftinées , & que cette
hauteur varie ; de plus, on ne prend aucune attention
à couper ces cannes d’une égale longeur :
ainfi il eft ordinaire , lorfqu’un peigne eft fait ,
de voir déborder les dents fur les jumelles plus
ou moins.
On fe fert, pour rogner cet excédant des dents ,
d’un couteau courbe, & on ne laiffe au - deffus
des jumelles qu’une ligne ou une ligne & demie.
On ne coupe pas ces extrémités à angles droits,
mais à pans, on bien en pointe.
Par ce moyen le peigne qu’on pl^ce debout
dans là rainure du battant, effùie moins de frottement
à caufé de fon peu de furface à cette
partie , & fe prête plus aifément à tous les mou-
vemens qu’on lui fait effuyer.
Si les dents étoient coupées carrément, il y
auroit à craindre qu’elles ne s’accrochaffent en
quelque endroit de la rainure du battant, où le
peigne ne tient que par fon propre poids.
Pour rogner un peigne, l’ouvrier s’aflied devant
une fable, & appuyant un des bouts du peigne
contre fon eftomac , il abat tous les bouts du
côté droit à. angle aigu , avec le couteau qu’il
dent de la main droite en le tirant vers lu i, tandis
qu’avec la gauche H Soutient le peigne.
Ce côté étant coupé, il retourne le peigne
bout pour bout , & coupe l’autre côté de la
.meme façon ; après quoi les dents font formées-
en pointe.
Ceux qui veulent que les dents foient pointues ,
n’ajoutent rien à cette opération ; ils fe contentent
d’en faire autant de l’autre côté ; mais ceux
qui veulent que les dents foient arrondies ,
abattent la pointe que les deux piêmiers coups
de couteau avoient laiffée.
Pour bien faire cette opération , il faut tenir
le peigne bien horifontalement fur fa longueur ,
& verticalement fur fa hauteur , fans quoi on
rogneroit plus par un bout que par l'autre.
Il y a des ouvriers qui rognent leurs peignes
en les tenant perpendiculairement fur une table,
fur un banc ou autre uftenftle femblable, & ils
fe fervent pour cela d’une lame de rafoir plantée
folidement dans un manche , en, commençant
par le haut du peigne.
Cette manière paroit plus commode que la
précédente, parce que le point d’appui eft plus
ferme ; mais chacun fuit à cet égard l’habitude
qu’il a contra&ée.
En faifant l’opération qu’on vient de v oir , il
n’eft prefque pas poflible de ne pas laiffer quelques
rebarbes, quelque net que coupe l’outil dont
on fe fert ; on les ôte pour approprier le peigne,
avec un canif un peu courbé.
Il eft une troisième méthode dont quelques
peigners fe fervent pour rogner les peignes , &
qui me femble la plus fûre ; elle confifte a contenir
le peigne entre deux tringles dans l’entaille
de Heux montans.
La conftru&ion de cette efpèce de métier eft
très-fimple ; le peigne ainfi arrêté ne fauroit vaciller,
& l’on eft affuré de couper toutes les
dents très-également & fans fatiguer le peigne ;
mais pour cette opération , on ne fe fert pas des
initrumens qu’on vient de voir , mais d’une
efpèce de plane,., qui n’eft autre chofe qu’une
lame tranchante, aux deux bouts de laquelle eft
une foie qui reçoit les manches.
La longueur des tringles 'doit être pareille à,
celle du banc, pour que l’ouvrier puifle être en
force en les appuyant contre fon ventre , &
même pour pouvoir fervir à différentes longueurs
du peigne. Leur largeur doit être moindre de peu
de chofe que la hauteur de la foule , pour que
le peigne étant faifi contre les dents, repofe fur
les jumelles ; au moyen de quoi l’entaille des
montans qui reçoivent le tout, doit être à peu
près de cette largeur ; & fi les tringles n’y font
pas contenues un peu jufte , on les force avec
un coin de bois ou de canne par chaque
bout.
11 ne faut pas que les tringles preffent les jumelles
, parce qu’elles dérangeroient le ligneul
& par conféquent les dents.
Le peigne étant ainfi arrêté fur le métier, l’ou-
O û o o ij