
Quelques pçigners plus intelligens ont prévu
Cet inconvénient, & ont fenti qu’une feule vis
de preffion n’étoit pas fuffifante pour la perfeélion
de cet uftenfile ; c’eft ce qui a fait imaginer le
moyen de mettre une vis au-deffus de chaque
coulifle : mais ce moyen , tout ingénieux qu’il
eft , ne remédie pas encore à tous les inconvé-
niens.
On a aufli imaginé d’unir les deux vis de
preflion par une roue dentée qui eft entre
deux, & qui règle affez bien la montée & la
defcente des deux v is , du côté.
Mais , fans entrer dans la defcription des
divers moulins , qui aient le même objet à remplir
, & peu différens entre eux, nous obferverons
que les moulins , dont les meules font conduites
par des v is , règlent bien plus fûrement Fépaif-
feur des dents : ceux au contraire, dont la pref-
iion eft déterminée par une bafcule tendant
toujours à prefler le fil de fe r , ne déplacent de
la matière que ce que l’effai qu’on a dû en faire
avoit fait voir qu’on peut déplacer : s’il fur-
vient quelque inégalité dans la texure du fer ou
de la part de la matière , ou quelque irrégularité
dans fa groffeur , la preflion pouvant fe
prêter à toutes ces variations, produit des inégalités
dans l’épaiffeur. 11 paroît donc que l’écartement
des meules, produit par des vis , eft
plus fûr à tous égards que l’ufage du contrepoids.
D ’un autre côté, ne peut - on pas dire que
le moulin à vis , ne permettant aucune variété
dans l’épaiffeur , fait cafter le fil de fer, lorfqu’il
s’y rencontre quelque endroit plus aigre ; & que
s'il ne cafte pas , la furface des lames eft ondée,
& le poli altéré ?
A juger de la préférence qu’on doit accorder
à Fun lur l’autre, par l’ufage plus ou moins reçu
de l’un des deux, on eft tout aufli embarafle ;
car j’ai vu l’un adopté dans certaines provinces
toutes entières , & proferit dans d’autres où le
fécond étoit en ufage. Les uns vantent celui à
vis , par l’égalité des lames qui en fortent, 8c
croient qu’avec le foin de bien choifir le fil-
d’archal, ou de s’afturer du pays d’où il vient,
on peut compter Air une affez grande uniformité
de douceur & de liant de la part de la matière
; les autres prétendent qu’avec les mêmes
précautions , l’inégalité qu’on craint de la bafcule
fe réduit à rien.
Quant aux différentes épaifleurs des lames ,
ils prétendent connoître allez bien l’effet de la
bafcule pour qu’en plaçant le poids à tel ou tel
point de fa longueur, ils foient aflùrés de cette
épaifleur.
A juger maintenant du mérite de ces deux
uftenftles, par l’ufage qu’on en fait dans l’orfèvrerie
8c la b ijou te rieoù l’on eft venu à bout
de laminer des feuilles d’or 8c d’argent à des
épaitTcurs prefque furprenantes , puifqu’on y ré- ]
duit ces métaux à n’être que du clinquant, 8c ,
ce qui mérite encore plus d’admiration , fur des
largeurs de quatre, cinq, & même ftx pouces ;
quelle perfeôion n’a - 1 - il pas fallu leur- donner
pour que les plans de ces meules fuffent 8c bien
droits 8c bien parallèles ? Car dans l’état où on
réduit ces lames, un peu plus de preflion dans
un endroit que dans l’autre les réduiroit à rien,
8c fendroit en plufieurs endroits le bord le plus
mince : or la conftruôion des laminoirs en or
8c en argent tient du moulin à v is , & nullement
de celui à bafcule ; on peut donc penfer
qu’en perfectionnant celui-là, il feroit feul digne
d’être adopté.
Néanmoins les moulins à bafcule font d’un
ufage plus général parmi les peigners : ils con-
noiffenr parfaitement l’effort de leurs contrepoids
par des graduations qu’ils fe font eux-mêmes
, d’après leur expérience, 8c dont chacun
fait ün myftère ; 8c s’il faut juger des uftenftles
par l’ouvrage , il femble, à voir la précifion
qui régne dans les peignes d’acier dont les dents
ont été tirées au moulin à bafcule , qu’on ne
puiffe rien y défirer. Ils prétendent qu’avec le
moulin à vis , on ne fauroit jamais atteindre à
une épaifleur parfaitement égale à celle qu’une
opération intermédiaire a fait perdre , & qu’on
voudroit retrouver.
On ne peut répondre à cette obje&ion qu’en
adaptant un cadran immobile au deffus de la roue
: du milieu, qui mène celle des vis ; 8c fixant une
i aiguille à l’axe de cette roue , on pourroit, avec
| la plus grande jufteffe , retrouver une même épaif-
feur, en la mettant au numéro qui a donné l’épaiffeur
qu’on veut avoir : mais comme les efforts
qu’effuie cette mécanique font Confidérables &
multipliés, au bout de fort peu de temps les pièces
prennent du jeu, & on ne peut plus compter fur
la jufteffe du régulateur ; d’un autre côté, les meules
s’ufent fur leur circonférence ; & tel numéro qui
a donné telle épaifleur, il y a deux ans, 8c qu on
veut affortir aujourd’hui, ne la donnera plus ; défaut
auquel n’eft pas fujette la bafcule graduée.
Je me fuis un peu étendu fur ces effets , parce
que l’uftenfile dont j’entretiens le leâeur eft , dans
l’art du peigner en acier, le plus effentiel pour faire
un peigne avec précifion. J’ai beaucoup vu de
moulins , j’ai conféré avec les plus habiles ouvriers
, 8c je ne rapporte ici que le réfultat des
obfervations des uns & des autres. Enfin , & pour
me déterminer, je penfe que chacune de ces machines
exigeroit que quelque artifte éclairé leur
procurât la perfe&ion qui lui eft néceffaire ; mais
telles qu’elles font, je penfe que l’ufage du moulin
à bafcule eft préférable. Chacun en jugera fuivant
fes lumières ; je n’ai porté mon jugement que fur
le concours de ceux des artiftes les plus habiles
dans l’art que je décris..
Il faut maintenant voir l’opération du lami-
Oa|our que le fil de fer né fe mêlât pas , il a fallu
prendre quelques précautions , 8c le placer fur un
cylindre avant de paffer fous les meules ; c’eft pour
cet ufage qu’on pratique, fur la traverfe fupérieure
du moulin , deux mortoifes propres à recevoir les
niontans qui portent le cylindre.
Ce cylindre a à chacun de fes bouts , au centre ,
une cheville de fer entrée à force , qui lui fert
d’axe ; c’eft là qu’on place les paquets de fil de
fer, comme des ècheveaux de fil fur un guindre :
mais comme ce fil de fer s’échapperoit à droite 8c
à gauche, on perce , fur la circonférence du cylindre
, deux rangées de trous circulairement ; &
comme ces trous ont une inclinaifon vers-le milieu
de la longeur du cylindre , les chevilles qu’on
y place , vont en s’écartant , comme on le voit.
Le nombre de chevilles n’eft pas déterminé :
mais plus on en met , mieux le fil eft contenu ,
& moins il eft fujetà (e mêler , ou à fe plier en
petits noeuds ; ce qui peut faire tort au laminoir
même;
Tous les numéros de fil de fer ne font pas dévidés
fur des rouleaux de même diamètre dans
les manufaâures ; 8c quoiqu’il parût plus corn- .
mode à ceux qui l’emploient, qu’il fût uniforme- 1
ment dévidé, avec un peu de réflexion on verra
qu’un fil fin, s’il offroic un cercle de grand dia- j
mètre, feroit fujet à fe plier au moindre choc ; j
au lieu que quand il eft d’un très-petit diamètre ,
il eft fufceptible d’une très-grande réfiftance qui
le garantit : d’un autre côté, le gros fil de fer ne
fauroit être dévidé aufli fin , puifqu’il offre plus
de réfiftance à être courbé, 8c que par la même
raifon on auroit plus de peine à le redreffer.
On peut voir, dans l’Art del’épinglier, la manière
aufli ingénieufe que {impie dont on fe fert pour
redreffer parfaitement, tant le fil de fer que celui
de laiton, pour en former des épingles 8l des clous
depingles : il a donc fallu augmenter le diamètre
des cercles que décrivent les paquets de fil de fer ,
dans la même proportion que leurs numéros.
Les peigners doivent avoir des cylindres de
toutes les groffeurs , fuivant les numéros qu’on
emploie ordinairement, du moins à peu-près, car
la régularité n’eft pas néceffaire.
On pourroit, à la rigueur , fe fervir de poulies
fort étroites, ou de'cercles montés comme la roue
d’un roiiet ; mais ces machines n’ayant pas affez
de péfanteur , laifferoient le fil fe dérouler trop
vite , 8c ne lui cpnferveroient pas là tenfion dont
il a beloin pour être droit au l'ortir du laminage.
Des différentes manières de ■ laminer le fil de fer.
Il n*eft perfonne qui 'ne çonnoiffe la manière
dont le fil de fer eft roulé dans les manufa&ures ,
& tel qu’on l’envoie pour les ufages ordinaires.
Deux ouvriers font occupés à laminer du fil de fer :
l’un tourne les meules ; l’autre y gliffe le fil.
L’attention de ce dernier ouvrier confifte à ne
laiffer gliffer le fil de fer qu’autant qu’il eft appelé
par le moulin , de façon cependant à entretenir
toujours une tenfion égale ; de là dépend la régularité
ou l’irrégularité du laminage.
Quant à l’ouvrier qui tourne les meules , il doit
avoir foin de n’aller pas plus vite dans un inftant
que dans l’autre ; 8c dès qu’on a commencé à laminer
une partie de fil de fer , il ne faut pas
quitter l’ouvrage qu'il ne (bit entièrement fini ;
car il n’eft pas poflible que ces deux reprifes donnent
au fil une égale épaifleur, même fans qu’on
touche aucunement à la vis.
Il faut aufli tourner plutôt vite que doucement,
& l’égalité de mouvement n’eft pas indifférente;
L’expérience a appris que le fil qui a été laminé
vite , eft plus épais que celui qui l’a été plus lentement.
Avant de paffer le fil à la filière, il faut développer
le bout qui entoure chaque paquet ; & comme
ce commencement eft plein de finuofités , il vaut
mieux couper ce bout à Fendroit où commence la
courbure du cercle du paquet même.
On fe fert, pour cette opération , des mêmes
cifeaux avec lefquels nous verrons plus bas qu’on
coupe le fil aplati par longueurs pour en former
les dents , & que dans tous les arty on con-
noît fous le nom de cifailles.
On aplatit enfuite le commencement du fil avec
un netit marteau fur un tas > que , pour pouvoir
s’en fervir commodément, on monte fur un morceau
de bois de figure re&angle, ou fur un billot peu
élevé.
Il faut faire cet aplatifferr.ent fuivant la courbure
du fil de fe r , que l’on préfente enfuite au
moulin , du fens qui paroit devoir enveloper la
meule, inférieure. Cette attention n’eft point du
tout indifférente ; autrement, en abandonnant au
hafard le paffage du fil entre les meules, on ne
feroit jamais aflùré d’avoir des dents bien droites
fur les bords : ainfi il faut qu’en paffant par le
laminoir, ce fil feredreffe parfaitement ; ce qu’on
obtiendra toujours avec le foin que je recommande.
Il eft difficile , avec Fufage du moulin dont je
parle, qu’on parvienne aifément à laminer le fil
du fens de fa courbure ;c a r fi l’on prend garde
à la pofition du fil qui repofe à terre , on verra
qu’il doit néceffairement entrer de côté , par rapport
à cette courbure , fous le laminoir.
L’attention de l’ouvrier ne fauroit guère corriger
qu’en partie cet inconvénient ; 8c pour l’anéantir
i entièrement , il faudroit que l’ouvrier tirât tellement
le f il, depuis le point où il eft faifi entre les
meules , qu’il pût le redreffer parfaitement , ce
qui n’eft pas poflible ; au lieu que la méthode qu’on
va voir, procure cet avantage au laminage , au
moyen du guindre ou cylindre horizontal, qui,