
.voudrois y demeurer* ; mais je ne trouverais point
d’inftru&ion des fourds & muets à Ver fa lies :
j'aime mieux mon inftru&ion que les beautés de
Verfailles ; je ne veux donc point y demeurer, fi
celui qui nous, inftruit n’y vient point aufii & n’y
demeure pas.
La penfée & l ’amour, difons-nous aux fourds
& muets, ne font pas la même chofe. Vous pen-
fez quelquefois à des chofes que vous n’aimez pas ,
& qu’au contraire vous haïffez. Vous penfez à la
pareffe, à la défobéiffance, à la gourmandife ,
que vous apercevez dans quelque jeune perfon-
n e, & vous n’aimez aucune de ces trois chofes :
ce qui penfe au-dedans de nous-mêmes s’appelle
notre efprit : ce qui aime s’appelle notre coeur, &
la réunion de l’un & de l’autre s’appelle notre ame.
L’idée d’une ame qui penfe & qui raifonne, fe
préfente à notre efprit fans aucune forme ni aucune
couleur : nous appelons cette idée une fimple
perception.
Vous avez donc un corps & une ame ; un corps
qui mange, qui boit, qi^dort,qui marche & qui
fe repofe ; & une ame qui penfe, qui juge &
qui raifonne. Votre ame ne peut ni manger, ni
boire, &c. ; votre corps ne peut ni penfer, ni
juger, ni raifonner.
Ces opérations, comme’ on le v o it, font vrai-
ment fimpies, & les fourds & muets les faififfent
avec autant de facilité que d’empreffemenr.
Çomment on fait entendre aux fourds müéts les
premières vérités de la religion.
Dès que. la difiin&ion de Taine. d’avec le corps
eft clairement établie, comme on vient de le faire
dans le chapitre précédent, famé des fourds &
muets, duement avertie de fa fupériorité & de fa
nobleffe, & qui. la diftingue des(bêtes, qui, ne
penfent & ne raifonnent point, ne demande plus
qu’à nous fuivre partout-où nous, voudrons la
conduire : elle vole dans le ciel, revient fur la
terre , & defcend dans lès abymes. ayec autant de
facilité que la nôtre.
JIs ont vu de leurs yeux qu’une, niaifon ne fe
bâtifioit pas toute feule, & qu’une montre ne
pouvoir fe faire elle-même ; ils ont admiré cette
petite machine , & ont dit,, fans qu’on le leur fug-
gérât, qu’il avoit fallu beaucoup d’efprit pour
l ’inventer,
, Mais lorfque nous leur montrons fur une fphère
artificielle les mouvemens périodiques de. la terre
& des planâtes autour du foleil, & qu’ils en
voient enfuite l’exéçution en petit , dans.la favante
horloge dç M. Paflemant, ç’eft alors que leur ame
s’étend . o£ s’élève avec des fentimens de joie
d’admiration, que toutes nos exprefiions.ne peu-,
vent rendre : bientôt leur furprifs tient de l’exta-
fe , lorfqiie montant jufqu’aux étoiles fixes , nous
leur annonçons quelle eft leur,diftance de la terre
& leur éloignement les unes des autres.t
Ç ’eft' alors qu’ils comprennent qu’une machine
I .aufti prodigieufement immenfe , & qui. renferme
tant de beautés plus raviffantes les unes que les
autres, ne peut être l’effet que d’une puiffance
infinie..
Ils voient & comprennent l’ufage que les arti-
fans font dé leurs outils pour la,.fabrication de
leurs ouvrages ; mais il n’eft pas néceffairede leur
dire qu’il a été impoflible. d’en employer aucun
pour la fabrication de l’univers.
Si nous leur écrivons^ que celui qui ' a fait
toutes ces chofels n’a ni corps , ni figure, ni couleur
, & qu’il ne peut tomber fous nos fens , à
peine daignent-ils fixer leurs yeux fur cette propo-
fition , parce que leur bon fens leur diâe qu’il eft
impoflible de concevoir en lui des yeux , des oreilles,
des pieds & des mains.
C’eft ce que nous appelons être un pur efprit
dont les opérations ne peuvent être empêchées ou
retardées comme les nôtres le font par la pefan*
teur de nos corps.
Il eft temps alors de leur, annoncer que celui
dont les ouvrages les tranfportent d’étonnement
eft le Dieu devant lequel nous nous proftérnons,
que c’èft lin efprit éternel, indépendant, immuable.,
infini, qui eft préfent par-tout, qui voit-tout,
qui peut tout, qui a créé toutes chofes , & qui les
gouverne toutes.
Il ne s’agit point ici de courir à grands pas ;
mais fi les" démarches font lentes, on eft bien
dédommagé d é jà patience par lës^nuances fuc-
ceflives d e . refpeét envers Dieu , dont on aperçoit
lé progrès dans le coeur de ces jeunes personnes
, & qui eft ordinairement proportionné aux
connoiffancés qu’elles acquièrent.
Donnons feulement un échantillon de la manière
de procéder dans l’explication de çés propriétés
divines.
Vous.n’avez point toujours été dans ce monde,"
difons-rious aux fourds & muets ; vous n’exiftiez
pas il y a trente ans ; vous êtes venu au monde
comme tous les enfans , dont vous apprenez tous
les jours la naiffanee : vôtre père étoit avant vous
votre grand-père étoit plus ancien : votre bifaïeuï
& votre trifaïeurfétoient encore davantage ; chacun
d’eux, à fon tour, â eu fon commencement :
c’eft Dieu qui les a formés dans le fein de leurs
mères , & alors ils ont commencé d’exifter : il en
a été de même de tous les autres hommes qui font
nés & qui font morts depuis le commencement du
mondé ; mais celui qui forme tous lès autres, n’a
pu être formé par aucun autre qui fût plus ancien
que lui : il n’a donc point eu de commencement.
Ce n’eft pas tout : vos. pères-& grands-pères ,
bifaïeuls & trifaïeuls font morts : vous mourrez
aufti quand il plaira à Dieu : ils ont eu une fin
dans ce monde ; vous en aurez pareillement une
lorfque vous mourrez : on a mis leurs corps dans
la terre lorfque leur ame s’en eft féparée ; on y
mettra aiifîi le vôtre. -Mais Dieu ne mourra point ^
il n’aura jamais de fin : il a toujours été & il fera
toujours ; voilà ce que fignifie ce mot éternel.
L’indépendance & les autres perfections de Dieu
s’expliquent de la même manière , à magis noto'ad
minus notum. Il ne s’agit pas de faire des démonf-
trations philofophiques ou théologiques ; il eft uniquement
queftion de fe faire entendre, & on y
réuflit par cette fimplicité.
Jufqu’alors, fi on écrivoitfur la tablé le nom de
Dieu, les fourds & muets levoient la main &
montroient le c ie l, mais c’étoit pour eux un figne
vide de fens : ils en conviennent , & ne ceffent
de le répéter ; i l faut du moins favoir que l’on a
une ame, & que le rideau qui la cache elle-même
à elle-même, foit tiré avant qu’elle puiffe découvrir
le fceau de la divinité , qui eft naturellement empreint
en elle d’une manière ineffaçable. Maintenant
ils comprennent que la louange, l’adoration
, l’aâion de grâces lui font dues.
Ce que nousfaifons dans nos te bip les n’eft plus
à leurs yeux un fimple fpeCtàcle, tel qu’ils fe le
figuroient : ils comprennent que nous y demandons
, & ils y demandent avec nous tout ce qui
nous eft néceflaire aux uns & aux autres, tant
pour Taine que pour le corps.
Manière d'apprendre aux fourds &. muets Us myf-
tères mêmes de notre religion. i
Voici maintenant de quelle manière on peut
apprendre aux fourds & muets les myftères mêmes
de notre religion.
Vous exiliez, leur difons-nous, vous penfez &
vous aimez. Votre exiftence n’eft point vôtre penfée.
Les hâtes exiftent & elles ne penfent pas.
Elle n’eft point non plus votre amour.
Votre penfée n’eft noint non plus votre amour ,
puifque vous penfez quelquefois à des chofes
que vous ri’aimez pas : elle n'eft point non plus
votre exiftence. Enfin , votre amour n’eft ni votre
exiftence, ni votre penfée.
Voilà donc en vous trois chofes qui font distinguées
Tune de l’autre, c’eft-à-dire, que l’une
n’eft pas l’autre. Vous pouvez penfer à l’une fans
penfer à l’autre ; cependant ces trois chofes font
inféparables, & font chez vous un feul moi qui
exifte, qui penfe & qui aime ; c’eft une efpècé
d’image, & comme une reffemblance de ce qui
eft en Dieu : c’eft ce qu’un 'grand évêque du dernier
fiècle ( Boffuet ) appelait une trinité créée.
Il y a en Dieu trois perfonnes, le Père, le Fils
& le Saint-Efprit. Le Père n’eft point le Fils , il
n’eft pas non plus le Saint-Efprit.
Le Fils n’eft point le Père ; il n’eft pas non plus
le Saint-Efprit.
Enfin le Saint-Efprit n’eft ni le Père , ni le Fils.
' Ces trois Perfonnes font diftinguées l’une de
l’autre, c’eft-à-dire, que l’une n’eft pas l'autre.
Vous pouvez penfer à Tune fans penfer à l’autre :
cependant elles font inséparables & ne font qu’un
Arts & Métiers. Tome V\ Partie I.
feul Dieu j un feul Efprit éternel, indépendant^
immuable, &c.
Voilà ce que nous devons croire, parce que
notre foi nous l’enfeigne ; & après que nous avons
montré cet enfeignement dans les divines Ecritures
, ceux de nos fourds & muets qui ne font
plus enfans , récitent avec goût le fymbole de faint
Athanafe tous les Dimanches à prime, & tiennent
fermement à tous les articles qu’il expofe fur le
myftère de la fainte Trinité.
La comparaifon de l’ame & du corps, qui eft
un feul homme , unus efl homo , comme il eft dit
dans ce même Symbole, fert à leur faire entendre
que Dieu & l’homme eft un feul Jéfus-
Chrift, unus efl Chriflus, & répand un jour fur
les vérités faintes qui font les fuites néceffaires
de cette union ineffable.
Nous mangeons, nous buvons, nous dormons ,
nous marchons par notre corps : nous penfons ,
nous jugeons, nous raifonnons par notre ame.
Jéfus-Chrift, comme Dieu, eft éternel, indépendant
, immuable, &c. Jéfus-Chrift, comme homme
, a été conçu, il eft né, il a fouffert, il eft
mort, &c.
Le myftère de TEuchariftie s’explique aufti de
la manière- qui lui eft propre.
Les fourds & muets voient de leurs yeux que
cinq ou fix gouttes d’eau verfées dans une liqueur
du plus beau rouge , la changent aufli-tôt en
blanc , comme fi c’étoit du lait : nous leur rappelons
ce qu’ils ont lu dans leur ancien teftament ,
que la verge de Moïfe fut changée en ferpent, &
que les eaux d’un grand fleuve furent changées en
fang ,* & ce qu’ils ont vu dans l’évangile , que
Jéfus-Chrift par fa puiffance, changea l’eau en v in ,
aux noces de Cana.
Nous leur difons qu’un changement plus miraculeux
encore s’opère fur nos autels par la vertu
toute-puiffante des paroles de Jéfus-Chrift, que
le prêtre prononce en fon nom. *Le pain & le vin
y font changés au corps & au fang de Jéfus-Chrift ;
c’eft Jéfus-Chrift lui-même qui Ta dit : c’eft l’é-
glife qui nous l’enfeigne ; nous devons le croire ,
quoique nous ne le "comprenions pas.
D’après ces exemples, on conviendra fans doute
qu’il eft pofiible de faire entendre aux fourds &
muets les myftères de notre religion, & qu’ils
doivent même les mieux entendre que ceux qui
ne les ont appris que dans leurs catêchifmes.
Qu il n eJl aucun idée métaphyfique dont on ’ne
puiffe donner aux fourds & muets une explication
trèsrclaire par le moyen de Panalyfe, & avec
le fecours des figues méthodiques.
Il n’eft point de mot qui ne fignifie quelque chofe l
& il n’eft point de chofe qui ne puiffe être lignifiée
très-clairement par un ou plufieurs mots, foit
qu’il s’agiffe d’une chofe dépendante des fens, ou
d’une chofe qui en foit totalement indépendante.
p p.