
Après avoir exercé l’aveugle fur les différentes
parties de l’art typographique, à la manière des
clairvoyans, il s’en efl trouvé peu dans lefquel-
les il u’ait pas réuffi.
Nous l’avons vu fucceflivement composer, justifier
, impofer , tremper le papier', toucher ,
tirer, &c.
S’il eft une opération chez les aveugles qui
demande à être dirigée par les clairvoyans, c’èft
F imprimerie à l’ufage de ces derniers , nous l’avouons.
On nous a même fouvent réitéré cette
objedion fur les diverfes autres parties de notre
inftitution. Mais les clairvoyans eux-mêmes qui
travaillent à la preffe, n’ont-il pas toujours parmi
eux un guide, le prote, aux lumières duquel ils font
obligés de déférer ? & dans d’antres états de la v ie ,
ne voit-on pas des perfonnages plusinftruits, diriger
ceux qui le font moins, en attendant que ceux-
ci foient en état de conduire à leur tour des
fujets moins inftruits qu’eux.
De VEcriture.
L’exemple de Bernôuilli, qui avoit appris à
écrire à une jeune fille aveugle ; celui de M.
Weiffenbourg , qui, privé de la vue dès l’âge de
fept ans, s’eft procuré à lui-même l’avantage de
coucher aufli fes idées par écrit, nous encouragèrent
à tenter les moyens de mettre la plume à
la main de nos élèves.
Mais toujours occupés de notre vrai point de
vu e , c’efl-à-dire, de rendre notre inftitution utile
à tous égards aux individus qui en étoient les
objets, nous avons cru qu’il ne pouvoit être que
curieux de faire écrire des aveugles , s’ils ne par-
venoient à lire leur propre écriture ; c’eft ce qui
nous a engagé à-faire exécuter à leur ufage une
plume de fer dont le bec ne fût pas fendu, &
avec laquelle, écrivant fans encre & en appuyant,
fur un papier fort, ils y produififfent un caractère
de relief qu’ils puffent lire enfuite, en paffant
leurs doigts fur les traits faillans du verfo de la
page, & à fens contraire.
Ce relief, quelque léger qu’il paroiffe, eft toujours
fuflifant, fur-tout lorfqu’on a foin de garnir
le deffous du papier fur lequel écrit l’aveugle ,
de quelque furface moëlleufe, telle que plufieurs
feuilles de papier de rebut, du carton, ou de la
peau.
Quant au mécanifme propre à enfeigner l’art
d’écrire aux aveugles-nés, il n’eft pas difficile à
exécuter m, il ne s’agit que d’accoutumer l’élève à
fuivre, avec une pointe, des caractères rangés en
forme de lignes. Mais au lieu de diriger la marche
de c.tte p inte au moyen de caractères en relief*,
comme a fait M. Weiffenbourg , il vaut mieux le
conduire à l’aide des lettres creufées dans quelque
métal.
Nous avons ajouté à cette précaution, celle de
donner à nos lettres d’impreffion la forme de cel-
les d’écriture-, afin d’accoutumer de bonne heure
l’élève aveugle à en faifir la reffemblance.
Enfin, lorfqu’il a acquis l’habitude des \for mes
il ne lui refte plus, pour écrire droit, qu’à mettre
fur fon papier un chaffis garni intérieurement de
plufieurs cordonnets parallèles à la direélion de
l’écriture, & diftans entre-eux d’environ 9 lignes
pied de Roi.
Ces parallèles fervent à diriger la main de l’aveugle
, dans le -tems ou il la tranfporte de gauche
à droite pour tracer fes cara&ères.
De VArithmétique.
Nous avons admiré les tables ingénteufes de
Saunderfon, & celles de M. Weiffenbourg ; & fi
nous n’avons adopté ni l’une ni l’autre des deux
méthodes, c’eft que notre but étant de mettre fans
ceffe les aveugles en relation avec les clairvoyans,
nous avons cru devoir préférer la manière de ces
derniers. Aufli lorfque nos élèves calculent> peut-
on fuivre pas à pas leur opération.
Nous leur avons fait faire à cet effet une planche
percée de divers rangs de trous carrés, propres
à recevoir des chiffres mobiles, & des barres
pour féparer les différentes parties d’une opération.
Nous avons ajouté pour l’ufage de cette planche
, une caffe compofée de 4 rangs de caffetins,
contenant toutes les figures propres au calcul, &
qui.fe place à droite de l’aveugle lorfqu’il opère.
La feule difficulté qui s’offroit, étoit de repré-
fenter toutes les fra&ions poffibles, fans multiplier
les cara&ères qui le expriment.
Nous ayons imaginé de faire fondre 10 dénominateurs
fimples dans l’ordre des chiffres 0 , 1 ,
2 , &c. jufqu’à 9 inclufivement, & 10 numérateurs
fimples , aufli dans le même ordre, mobiles,
pour pouvoir s’adapter en tête des dénominateurs.
Au moyen de cette combinaifon , il n’eft
pas de fraâions que nos élèves ne puiffent exprimer.
. On vo it, par ce que nous venons de dire, que
notre méthode a un double avantage.
i°. Un père de famille ou un foftituteur peuvent
diriger facilement un enfant aveugle dans
l’étude des calculs.
Cet aveugle une fois inftruit, peut aufli conduire
à fon tour des opérations d’arithmétique faîtes
par un enfant clairvoyant.
Les aveugles, d’ailleurs, ont une telle difpofition
pour le calcul, que fouvent nous les avons vus
fuivre une règle de tête feulement, & en redref-
fer les erreurs.
De la Géographie.
Nous devons à Mademoiselle Paradis la connoîf-
fènce des cartes de géographie à l’ufage des aveuleS.
Elle la tient elle-même de M. Weiffenbourg ;
liais nous fommes étonnés qu’ils n’aient encore
porté ni l’un ni l’autre à un plus haut degré de per-
feflion, les uftenfiles qui fervent à l’étude de
cette fcience.
En effet, ils indiquent les contours des différens
pays avec de la chenille, ils parsèment les diverfes
parties de leurs cartes d’un fable glacé de différentes
manières, & diftinguent les ordres de Villes
par des grains de verre plus ou moins gros.
Nous nous fommes contentés de marquer les
limites dans nos cartes à l’ufage des aveugles ,
par des fils de fer minces & arrondis ; & c’eft
toujours la différence ou de la forme ou de la
grandeur de chaque partie d’une carte, qui aide
nos élèves à les diftinguer l’une de l’autre.
Nous avons imaginé ce. moyen de préférence,
à caufe de la facilité qu’il nous donne de multiplier
, à l’aide de la preffe , les copies de nos cartes
originales pour l’ufage des aveugles.
Il fera d’ailleurs plus fufceptibie que tout autre
de fe prêter à l’exécution des détails les plus délicats
qui puiffent affeder le tad de ces individus ;
& celui de nos premiers élèves s’eft tellement per-
fe&ionné dans l’ufage des cartes de géographie ,
qu’on les voit tous les jours avec furprife, dans
nos exercices , diftinguer un royaume , une province
, une île, dont on leur préfente l’empreinte
ifolée, fur un carré de papier.
De la Mufique,
En traçant le plan d’éducation des aveugles ,
nous n’avions d’abord regardé la mufique que
comme un acceffoire propre à les délaffer de leurs
travaux ; mais les difpofitions naturelles de la plupart
des aveugles pour cet a r t , les reffources qu’il
peut fournir à plufieurs d’entre-eux pour leur lub-
fiflance ; l’intérêt qu’il paroît infpirer aux perfon-
nes qui daignent affilier à nos exercices ; tout
nous a forcé de facrifier notre propre opinion à
l’utilité générale.
Les aveugles ont des difpofitions naturelles pour
cet art. Un nombre confidérabled’entre-eux, dénués
de moyens pour vivre, fàififfent avec empreffe-
ment, par befoin, une profeflion vers laquelle leur
goût les entraînoit déjà.
Ce n’eft que faute de principes fans doute, que
quelques-uns .font réduits à courir les rues-, pour
aller de porte en porte déchirer les oreilles, à
l’aide d’un inftrument difcord ou d’une voix rauque,
afin d’arracher une légère pièce de monnoie
qu’on leur donne fouvent en les priant de fe
taire.
D’autres, moins infortunés , & fe livrant par
choix à un inftrument qui leur préfente plus de
reffource, fuiyerit la carrière des Couperin , des
Balbâtre, dès Séjan, des Miroir , des Carpentier
, & autres habiles‘maîtres.'
Notre inftitution va leur offrir à tous des fe-
cours , foit pour l’étude, foit pour la pratique de
leur art.
Avant nous, on étoit obligé d’apprendre aux
aveugles, par une efpèce de routine, les morceaux
de mufique qu’ils défiroient exécuter.
Nous avons fait fondre des caractères de mufi-
que propres.à en repréfenter fur le papier tous les
traits poffibles, par des reliefs dans le genre
de ceux que nous avons imaginés pour figurer les
paroles.
On nous objede, avec raifon , que nos élèves ne
pourront exécuter fur la mufique ; ce n’a j’amais
été notre but. Qu’importe qu’ils rendent leurs
morceaux par coeur, pourvu qu’ils le faffent fidèlement.
A l’aide de notre mufique imprimée, l’aveugle
peut donc apprendre maintenant les principes de
cet art, & mettre enfuite dans fa mémoire les différens
morceaux dont il défire l'enrichir.
Il peut auffi fe former une bibliothèque de goût,
compofée des plus belles productions muficales ,
& enfin nous' tranfmettre lui-même les fruits de
fon propre génie.
Quant à. la mufique introduite dans nos exercices
particuliers, nous prions nos leéteurs de ne
la confidérer que comme un délaffement honnête
que nous nous fommes vu forcés d’accorder à
nos élèves.
Notre inftitution eft dans fon origine un atelier
dont ’les différens arriftes & ouvriers égaient
de tems en tems leurs travaux par l’harmonie. Et
nous nous fommes d’autant moins refufé à les laif-
fer exécuter, quelques morceaux, même dans leurs
exercices publics ," que la plupart des perfonnes
bienfaifahtes qui ont daigné y aflïfter, ont toujours
témoigné , en les entendant, le plus vif atten-
driffement. .
Telle eft encore une méthode particulière pour
enfeigner la Mufique aux aveugles. ( Cette méthode
eft rapportée dans le cinquième volume des
tranfadions de la fociété pour l’encouragement
des arts en Angleterre. )
M. Cheefe, y eft il-dit, a imaginé à cet effet
une macliine , dans laquelle il fubftitue aux notes
écrites, des épingles de différentes formes, piquées
da*ns un couffin.
Le couffin eft attaché fur un chaffis , au haut
duquel font tendus cinq cordons de ficelle, qui
repréfenten.t les cinq lignes fur lefquellès la Mufi-
ques écrit.
Ces cordons font parallèles entr’eux, & s’étendent
dans toute la longueur du couffin ; & comme
il y a quelquefois des notes marquées fur des
lignes qui excèdent les cinq lignes ordinaires ,
celles-ci font repréfentées par une ficelle plus fine.
Pour écrire la mufique pour le clavecin, le couf