
de l’humanité, & que la bienfaifance n’a été ni plus
aéiive ni plus éclairée.
Qu'il nous Toit permis de rendre hommage ici
aux talens & au zèle deM. l’abbé de l’Epée, qui a
ouvert la carrière de l’inftruâion aux fourds &
muets ; M. Haüy devient, à Ton exemple, le bienfaiteur
des aveugles, & cette partie fouffrante de
l’humanité lui devra des moyens de bonheur que
Ton ne croyoit pas pouvoir efpérer pour elle.
L'Académie , qui a vu avec intérêt les premiers
fuccès de fon zèle, le trouvera furement digne d’être
encouragé par Tes éloges ; & nous lui propo-
ferons, en donnant fon approbation à la méthode
que M. Haüy lui a préfentée, de l’exhorter à la
rendre publique, & de l’affurer qu’elle recevra
volontiers les nouveaux comptes qu’il pourra lui
rendre de fes efforts pour la porter au degré de
perfeéHon dont elle eft fufcéptible.
Le témoignage fl honorable de cette illuftre compagnie
, nous fait un devoir de faire connoître
dans ce dictionnaire , la méthode de M. Haüy, &
de le recommander comme le guide le plus fur aux
inflituteurs qui voudront fuivre les traces de fon
zèle & de fon humanité , & entreprendre avec
fuccès l’éducation des aveugles. .
C ’eft donc M. Haüy lui-même, qui va enfei-
gner fa méthode, & d’abord voici comme il s’exprime
dans un avant-propos.
Parmi les infortunés qui ont été privés, foit dès
l’inftant de leur naiffance, foit dans la fuite , par
quelque accident, de l’organe qui contribue le plus
à nous faire Jouir des avantages & des agrémens
de la fociété, il s’en efl trouvé dont les efforts
courageux ont réum à adoucir , par quelque occupation
, cette pofition affligeante. Les uns, pleins
de pénétration, ont enrichi leur mémoire des'productions
dé l’efprit humain , & ont puifé dans les
charmes d’une converfation ou d'une leâure à la
quelle ils affiftoient, des connoiffances qu’illeur
ètoit impoffible de recueillir eux-mêmes dans
les dépôts précieux oh elles étoient renfermées.
Les autres, doués d’une dextérité capable de faire
honneur à un artifte muni de fes y eu x , ont exécuté
des travaux mécaniques, où l’on retrouvoit,
£* l’exaétitude & le fini d’une main dirigée par
la lumière. Mais malgré d’auffi heureufes difpofi-
tions dans les aveugles, ces efpèces de prodiges
n’étoient, de leur part, que le fruit d’une application
opiniâtre, & ne fembloient réfervés qu’à un
petit nombre d’êtres privilégiés parmi eux ; tandis
que le refte de leurs frères , livrés à une oifiveté
dont ils croyoient ne pouvoir jamais fortir, mou-
roient à la fociété , au moment même où ils rece-
voient leur exiftence au milieu d’elle ; & la plupart
, vi&imes tout à la fois de la privation de 4a vue & de celle eie la fortune, n’a voient en partage
que la pénible & trille reffource de mendier ,
afin de prolonger , pour ainfi dire, dans l’obfcurité
d’un cachot, leur exiftence malheureufe. C’eft
pour fervir cette claffe d’infortunés , que j’ai imaginé
un plan général d’incitation , qui, à l’aide de
principes & d’uftenfiles à leur ufage, pût rendre
facile aux uns ce qu’ils n’exécutoient quavec
peine, & pojjible aux autres ce qu’ils paroiffoient
ne pouvoir exécuter.
J’ai fènti que l’entreprife étoit difficile , qu'elle
excédoit les forces d’un feul homme , & j’ai cherché
de l’appui. Des perfonnès bienfaifantes fe font
empreffées de toutes parts de concourir à cette
bonne oeuvre. Elles ont pofé les premiers fonde-
mens d’un édifice, dont la conftruéfion fait l’éloge
de leurs coeurs & honore le fiècle où elles vivent.
Chacune d’elles femble même m’avoir difputé à
l’envi la douce fatisfaâion de perfeâipnner & d’achever
ce monument ; & , je l’avoue avec plaifir,
s’il étoit permis à quelqu’un de fe faire honneur
d’une pareille entreprife, c’ eft à elles, plus qu’à
qui que ce foit, qu’en appartient la gloire. J’abandonnerai
donc , dans le cours de cet ouvrage, toute
expreffion qui annonceront de ma part des prétentions
à une propriété particulière, & je n’y parlerai
qu’au nom de ces zélés coopérateurs, qui ,
. foit par leurs lumières , foit par leurs lecqiirs , fe
font affuré un droit inaliénable à ma Teconnoif-
fance.
( C’ejl toujours M. Haüy qui parlc’dans tout le
cours de cet article ).
Objet de V'injUtution formée en faveur des aveugles.
Enfeigner aux aveugles la îeâure, à l’aide de
livres dont les caraftères font en relief ; & au
moyen de cette leâure, leur apprendre l’imprimerie
, l’écriture, le calcul arithmétiqueI les langues
, rhiftoire , la géographie, les mathématiques,
la mufique, &c.
Mettre entre les mains de ces infortunés diver-
fes occupations relatives aux arts & aux métiers,
tels que le filet,, le tricot, la brochure des livres,
les ouvrages au boiïfeau , au rouet & à la trame
, &c:
i°. Pour occuper agréablement ceux d’entr’eux
qui vivent dan* un état aifé.
2°. Pour arracher à-là mendicité ceux qui ne
font point avantagés des faveurs de la fortune ,
en leur donnant des moyens de fubfiftance ; &
rendre enfin à la fociété leurs bras ainfi que ceux
de leurs conducteurs : N
Tel eft le but de cette inflitution.
De la leElure à Vufage-des aveugles,
La leCture eft le vrai moyen d’orner la mémoire
d’une manière facile, prompte & méthodique.
Elle eft comme le canal par lequel nous parviennent
nos différentes connoiffances. Sans elle les productions
littéraires ne formeroient dans l’efprit
humain
humain qu’un amas' dèfordonné dénotions vagues.
Enfeigner à lire aux aveugles , compofer une
bibliothèque à leur ufage, dévoient donc faire
l’objet de nos premiers foins. Avant nous, Ion
avoir fait à ce fujet diverfes tentatives infruc-
tueufes.
Tantôt à l’aide de cara&ères en relief & mobiles
fur une planche , tantôt en employant des lettres
formées fur une carte par des piqûres d é-
pingle , on étoit parvenu à mettre a la portée des
aveugles les principes de la l’eélure.
Di]afe réalifoient pour eux les merveilles de
l’art d’écrire. Déjà fous leur taâ , devenu en quelque
forte une efpèce de vifion , les penfees prennent
un corps. Mais ces uftenfiles greffiers ne
préfentoient à l’aveugle que la poffibiüté de le
faire jouir des charmes de la leCture, fans lui en
donner les moyens.
Nous n’eumes pas de peine à les trouver ; le
principe en exiftoit depuis long-tems, & journellement
il fe reproduifoit fous nos yeux.
Nous obfervâmes qu’une feuille d’impreffion
Portant de la preffe, préfentoit au revers toutes
les lettres en relief, mais dans un ordre contraire „
à celui de la leâure. Nous fîmes fondre des caractères
typographiques dans le fens ou leur empreinte
frappe nos yeux ; & à l’aide d’ un papier
trempé à la manière des imprimeurs , nous parvînmes
à tirer le premier exemplaire qui ait paru
jufqu’alors, avec des lettres dont le relief pût être
diftingué par le taft au -défaut de la vue. Telle
fut l’origine de la bibliothèque à l’ufage des
aveugles.
Après avoir employé fucceffivement des caractères
de différentes groffeurs, fuivant la capacité
du taéi de nos élèves , nous avons cru devoir nous
borner, du moins dans les premiers tems de notre
éducation, à celui qui nous a fervi à imprimerle
corps de cet ouvrage, f C ’eft une forte d’italique
petit-parangon , voye^, N V XII. page. 405. 2e.
colonne , Tome I. de ce diftionnaire ).
Ce caraâère nous a paru tenir le milieu entre
ceux que les différens individus qui font privés de
la lumière peuvent palper, chacun fuivant le degré
de fineffe que la nature lui donne, ou bien que
l’âge ou le travail lui laiffe dans le toucher.
On conçoit aifément que ces moyens une fois
trouvés, il n’eft pas, plus difficile d’apprendre les
principes de la leâure à un aveugle, c^u’à un clairvoyant.
^
De la le&ure de l’imprimé à celle du manuferit,
il n’y a pour l’aveugle qu’un pas à faire.
Nous ne parlons pas ici du manuferit àla manière
des clairvoyans : nous avons jufqu’à ce jour vainement
tenté l’ufage des encres en relief, &
nous les avons fupplêées par des traits produits
Arts 6* Métiers. Tom. V. Part. 1.
fur un papier fort à l’aide d’une plume de fer
dont le bec n’eft pas fendu.
Il eft inutile de prévenir que lorfqu’on écrit à un
aveugle, on ne fe fert point d’encre ; que le caractère
eft appuyé , féparé & un peu gros , qu enfin
l’on n’écrit que fur le reéto ou le verso d’une page.
Toutes ces précautions étant obfervées , les
aveugles liront paffablement l’écriture curfive des
clairvoyans, la leur même & celle de leurs fem-
blables.
Ils feront plus ; ils diftingueront également fur
le papier les caraâères de mufique & autres, rendus
fenfibles par nos. procédés, comme nous le
démontrerons dans la fuite.
Réponfes à diverses objections contre la leElure a lu —
fage des aveugles.
» i° . Les reliefs de votre caraftère s’effacént
» fans doute facilement, ( nous dit-on ) & bien-
» tôt ils n’affeâeront plus le taâ dés aveugles. »
Perfonne n’ignore la déltcateffe de ce fens chez
des individus qui, depuis l’enfance, s’en fervent
pour remplacer celui que la nature leur a refufé.
La furface, en apparence la plus égale à nos
y eu x , préfente à leurs doigts des inégalités qui
feroblent échapper à cet organe, avec lequel cependant
l’homme qui voit clair atteint fièrement l’af-
tre le plus-reculé dans Finimenfité des cieux. Et
lorfque nos élèves diftinguent au toucher un caractère
typographique dont l’oeil eft émoufîe ; lorf-
qu’iîs fentent la différence d’un quart de ligne
entre deux épaiffeurs données ; lorfqu’enfin ils
lifent encore une fuite de mots après qu’on en a
affaiffé les reliefs, qu’avons-nous à craindre du
fréquent ufage qu’ils-feront de leurs livres, fi ce
n’eft cette deftruâion entière des volumes, de
laquelle ceux des clairvoyans même ne-font pas
exempts ?
j> 20. Vos livres ( ajoute-t-on ) font trop Volu-
» minéux. Vous enflez un léger in-douze, & vous
v en faites croître la forme commode & portati-
» v e , jufqu’à la maffe énorme & gênante de l’in-
» folio.
Nous pourrions nous contenter de répondre à
cette objeâion, que notre imprimerie n’eft encore
qu’au berceau qu’elle fe perfeâionnera peut-être
un jour comme celle des clairvoyans ; qu’elle aura
fans doute au (fi fes Helzevirs , fes Barbon, fes
Pierres, fes Didot, &c. Eh ! depûis fa naiffance ,
combien n’a-t-elle pas déjà d’obligations à M.
Cloufier , imprimeur du Roi, qui nous aide de
. fes confeils avec au:ant de zèle que de défintè-
reffement ?
Nous ajoutons, qu’en attendant ce degré de per-
feâion , nous nous occupons maintenant d’une
méthode d’abréviations qui diminuera de beaucoup
la groffeur de nos volumes*
S s