
vante, dont il me permettra de fupprimer q u e l q
u e s exprelfions que je ne mérite pas.
» Moniteur l’abbé . . . . , rétabliflement que vous
avez confacré au f e r v i ç e du public, & dont f ai
eu occafion d’admirer les éronnans progrès, m’engage
à vous a d r e f î e r l’abbé Storch , porteur de
cette lettre. Je me flatte qu’il aura les qualités
requifes pour apprendre de vous à conduire un
pareil établiffement à Vienne. Je ne le connois'pas
autrement que par Ton ordinaire , qui me l’a
choifi.........& dont il croit pouvoir répondre. Je j
me flatte donc que vous voudrez bien le prendre
fous votre direéfion , en lui communiquant la
méthode que vous avez établie avec tant de fuc- :
cès. Votre amour pour le bien de l’humanité ,
ainfi que la gloire de rendre à la Société de nouveaux
fujets , me font efpèrer que vous contribuerez
de bon coeur à étendre aufli votre charité
fur une partie des fourds & muets allemands, en
leur formant un maître qui, par les yeux, leur
fournira des connoiflances fuffifantes pour les faire
pénfer & combiner leurs idées. Adieu. . . . . . .
J o s e p h v .
Moniteur l’abbé Storch étoit un prêtre d’environ
25 ou 26 ans, mais vraiment rempli de l’ef-
prit facerdotal., & d’ailleurs pleinement doué de
tous les talens néceffaires pour réulîir dans l’entre-
prifequi lui étoit confiée. Aufli,; danslecôurt efpa-
ce de cinq mois, fut-il en état de préfider fous
mes yeux à mes leçons, dont je n’étois plus ,
pour ainfi dire, que le témoin^ tranquille & l’ad- ,
Jtnîrateur continuel.
11 refia cependant encore trois autres mois
avec nous, parce que fa modeftie lui faifoit croire
que ce feroit un moyen de fe perfe&ionner dans
l’enfeignement public auquel on le deftinoit.
Aufli-tôt qu’il fut de retour à Vienne, l’empereur
lui ordonna de commencer à inftruire des
fourds'& muets dans une maifon qui lui fut indiquée
pour y faire fes leçons, & il y réuflit tellement
, qu’en moins d’une année il drefla plufieurs
de fes élèves pour un exercice public auquel aflif-
tèrent les plus grands feigneurs de la cour de
Vienne, & dont ils furent pleinement fatisfaits.
Mais l’inftituteur des fourds & muets de Leipfick
( M; Heinich) , l’ayant appris , & fachant que ce
nouveau maître des fourds & muets inftruifoit fes
difciples fuivant la méthode de Paris, il lui écrivit
pour l’engager à l’abandonner, en l’afîurant
que non-feulement elle étoit inutile, mais qu’elle
étoit même nuifible à l’avancement des fourds &
muets,
Il avoit déjà publié précédemment dans fa langue
un ouvrage qui nous étoit inconnu jufqu’a-
lors, dans lequel il fe glorifioit d’être le premier
& le feul qui eût inventé & qui mît en pratique
la véritable manière d’inftruire les fourds & muets,
ne faifant point difficulté de taxer d’ignorance ou
de fourberie, tous ceux qui âvoient écrit fur cette
. matière avant lu i, ou qui avoient entrepris d’inf-
! truire des fourds & muets.
Auroit-on dû s’attendre à de telles imputations
: faites à des'hommes illuftres, avantageufement i connus dans la république des lettres, tels que
. MM. W allis, Amman, Bonnet & plufieurs autres ?
! Pour moi, bien loin de favoir mauvais gré à cet
I auteur, je n’âurois pu que le remercier de m’avoir
aggrégé à leur compagnie, fi le refpeâ & la
1 reconnoiflance que je devois à mes maîtres, n’euf-
fent exigé de moi, que je répondifle aux calomnies
dont il les avoit chargés.
Je devois d’ailleurs entreprendre la défenfe de
la méthode dont M. l’abbé Storch fait ufage
puifqu’elle eft la mienne, & montrer évidemment
que Sa Majéfté Impériale ne s’étpit pas trompée
en l’envoyant à Paris plutôt qu’à Leipfick, pour
y apprendre la vraie manière d’inflruire les fourds
& muets.
Tel eft le fond de la difpute littéraire qui s’eft
élevée entre M. Heinich & moi. Elle ne feroit pas
intéreflante fi elle ne nous regardoit que nous
deux perfonnelleinent, parce que le bien public
ne pourroit en fouffrir ; mais fi ma méthode eft
inutile, & qu’elle foit nuifible à l’inftruétion des
fourds & muets, 10. on fe trompe à Vienne, où
M. l’abbé Storch , à Rome, où M. l’abbé Sylvef-
tre , à Zurich, où M. Ulrich n’ont d’autres principes
que ceux de cette méthode fi vifiblement
défe&ueufe.
2°. On fe trompera en Efpagne , où M. Dan-
gulo , en Hollande , où M. Delo ne pourront inftruire
que comme ils l’ont été eux-mêmes dans
Paris, à nos leçons.
30. On fe trompera en Angleterre, fi des fa vans
de ce pays exécutent le projet qu’ils ont conçu ,
de former par foufcription à Londres, un établifla-
ment femblable à celui de Paris.
Y a-t-il quelque matière plus importante que
celle-là pour le bien de l’humanité, & qui mérite
davantage d’attirer l’attention des lavantes focié-
tés littéraires que nous avons confultées ? Croiront
elles pouvoir décemment demeurer neutres
entre deux jnéthodes aufli oppofées „que celle de
de M. Heinich & la mienne ? Si elles perfiftent
dans leur filencé, je les appelle au tribunal du
public, qu’elles auront refufé d’inflruire fur un
article intéreffant pour le bien de la fociété. »
N. B. Cette correfpondance , toute en latin, & qui
eft à-la-fois très-inftruâive & très-intérefïante, fe
trouve à la fuite de la méthode que nous venons
de mettre fous les yeux de nos leéleurs. Cette
méthode eft intitulée : La véritable manière d’inftruire
les fourds & muets, confirmée par une longue
expérience , par M. l'abbé ***, inftituteur des fourds
& muets de Paris ; in-12. A Paris , chez Nyon
l’aîné, libraire, rue du Jardinet, 1784.
En effet, d’après les lettres & les dilfertations
en latin de M. l’abbé de l’Epée, adreffées, foit à M.
Heinick,
lavantes. La fiocihé a adémique-de Zurich, en
fuiffe , n’a pu e rebfi r , après un mûr examen , de
rendre’ publiquement un jufte hommage , tant à
l'invention qua la fupérioriré de la méthode dont
î’illuflre inftituteur Irançois fait .uni* noble Se fi
généreux emploi, pour donner gratuitement au x
fourds & muets l’intelligence dé la parole & de la
penfée.
D E S A V E U G L E S .
On peut être aveugle de naiffance, ou le devenir,
foit par accident, foit par maladie. Notre def- ;
fein' dit l’auteur de cet article , dans l’ancienne
Encyclopédie, n’eft point Ici de traiter des maladies
ou des caufes qui occafionnent la perte de
la vue, nous nous contenterons de faire des réflexions
sur la cécité, fur les idées dont elle nous
prive, lur l’avantage que les autres fens peuvent
en retirer, &c.
Il eft d’abord évident que le fens de la vue
étant fort propre à nous diftraire par la quantité
d’objets qu’il nous préfente à la fois , ceux qui
font privés de ce fens doivent naturellement, &
en général, avoir plus d’attentiGn aux objets qui
tombent fous leurs autres fens.
C’eft principalement à cette caufè qu’on doit-
attribuer la finefle du toucher &. de l'ouie, qu’on
obferve dans certains aveugles, plutôt qu’à une
fupéribrité téelle de ces fens , par laquelle la nature
ait voulu les dédommager de la privation de
la vue.
Cela eft fi v ra i, qu’une perfonne devenue
aveugle par accident, trouve fouvent , dans le
fècours des fens qui lui relient, des relîburces
dont elle ne fe doutoit pas auparavant, ce qui
vient uniquement de ce que cette perfonne étant
moins diftraite, eft devenue plus capable d’attention
* mais c’eft principalement dans les aveugles
nés qu’on peut remarquer, s’il eft permis de
s’exprimer ainfi, les miracles de la cécité.
Un auteur anonyme a publié fur ce fujet, en
1749, un petit ouvrage très-philofophique & très-
bien écrit, intitulé : lettres fur les aveugles, à Vufage
de ceux qui voyent, avec cette épigraphe : pof-
funt, nec pojfe videntur, qui fait allufion aux prodiges
des aveugles-nés.
Nous allons donner, dans cet article, l’extrait
de cette lettre, dont la métaphyfique eft par-tout
très-fine & très-vraie ; nous en excepterons quelques
endroits qui n’ont pas un rapport immédiat
au fujet.
L’auteur fait d’abord mention d’un aveugle-né
qu’il a connu. Cet aveugle , qui demeure, dit
l’auteur, au Puifeaux en Gâtinois , eft chimifte &
muficien. Il fait lire fon fils avec des cara&ères en
relief. Il juge fort exaéfement des fyoeétries :
Ans 6* Métiers, Tome V. Partie J,
mais on fe- doute bien que lidee de fy me trie
q u i, poiir nous , eft de pure convention à beaucoup
d’égards , l’eft encore davantage pour lui.
Sa définition du miroir, eft fingulière. C'efi ,
dit-il, une machine par laquelle les_chofes font mïfes
en relief hors d'elles-mêmes. Cette définition peut
être abfurde pour un fot qui a des yeux ; mais un
philosophe , même clairvoyant, doit la. trouver
bien fubtile & bien furprenante.
» Defcartes, en le fuppofant aveugle-nk, auroit
dû, ce me femble, s’en applaudir. En effet, quelle
fineffe d’idée riVt-il pas fallu pour y parvenir ?
Notre aveugle n’a de connoiffance que parle toucher
; il fait, fur le rapport des autres hommes ,
que par le moyen de la vue on connoît les objets
comme ils lui font connus par le toucher , du
moins .c’eft la feule- notion qu’il puiffe s’en former
: il fait deplus qu’on ne peut voir fon propre
vifage, quoiqu’on puiffe le toucher.
La vue, doit-il conclure , eft donc une efpèfce
de toucher qui ne s’étend que fur les objets difte-
rens de notre vifage, & éloignée de nous. D ’ailleurs
le toucher ne lui donne l’idée que du relief :
donc, ajoute-t’i l , un miroir eft une machine qui
nous met en relief hors de nous mêmes. »
Remarquez bien que ces mots en relief ne font
-pàs de trop. Si l'aveugle avoit dit fimplemefit ,
nous met hors de nous-mêmes, il auroit-dit une abfur»
dite de plus : car comment concevoir une machine
qui puiffe doubler un objet ? Le mot de relief
ne s’applique qu’à la furfaçe ; ainfi nous mettre ett
"relief hors de nous-mêmes, c’eft mettre feulement
la' repréfentatiori de la furface de notre corps hors
de nous.
Vaveugle a dû fentir par ceraifonnement, que 1«
toucher ne lui reprétente que la furface dss
corps ; & qu’ainfi cette efpèce de toucher qu’on
appelle vue, ne donne l’idée que du relief, ou de
la furface des corps, fans donner celle de leur
folidité : le mot relief ne defignant ici que la fur-
face.
J’avOue que la définition de Vaveugle, même
avec cette reftriâion, eft encore une énigme pour
lui ; mais du moins on voit qu’il a cherché à diminuer
l’énigme le plus qu’il étoit pofîible.
On juge bien que tous les phénomènes des
miroirs , & des verres qui grofliffent ou diminuent,
ou multiplient les objets, font.des myf-
tères impénétrables pour lui.
»11 demanda fi la machine quigroflit les objets
étoit plus courte que celle qui les rappetiffe ; fi
celle qui les rapproche étoit plus courte que celle
qui les éloigne ; & ne comprenant point comment
cet autre nous-même, que, félon lui, le miroir
répète en relief, échappe au fens du toucher ; voilà ,
difoit-il, deux fens qu’une petite machine met en
cetotradiéKon : une machine plus parfaite les mec