
M E U N I E R. ( Art du )
L l E meunier eft celui qui exerce l’art de réduire I
le grain en farine, 8c de la féparer du fon.
L’art de réduire le grain en poudre eft très-ancien
; on ignore à qui l’on doit cette invention ft i
utile : ôn fait feulement que les Egyptiens favoient
faire le pain avant aucune des nations contemporaines
; que cet art paffa de chez eux chez les
Grecs , & que ceux-ci le tranfmirent aux Romains.
L’art du meûnier fuivit nécessairement la
même route , 8c même il précéda de fort loin
celui du boulanger; car on ufa long-temps de
gruaux 8c de farine avant que d’en favoir faire
du pain. .
on ne s’avifa pas d’abord de concalier le grain
pour en faire ufage ; on fe contenta de le féparer
de fa pellicule , ou de fon enveloppe,
comme on fait pour manger des noix, des amandes
, 8cc.- ; pour cet effet, on le faifoit torréfier,
ainsi que les Sauvages le pratiquent encore aujourd’hui.
On le concaffa enfuite 8c on en fit des
efpèces de gruaux , femblablês a ceux que nous
faifons encore avec l’avoine.
En pilant davantage les grains dans des mortiers
, on les réduifit en une efpèce de poudre,
qu’on rtomma farine , du mot far , qui en le nom
d’une forte de bled dontron fe fervoit le plus , &
qu’on préparoit ainfi le plus communément
On perfectionna dans la fuite les moyens de
convertir les grains en farine. Il paroît par un
paffage d’Homère, qu’on a été dans l’ufage d’é-
crafer le grain avec des rouleaux fur des pierres
taillées en tables, au lieu de le faire dans des
mortiers avec des pilons ; ce qui vraifemblable-
ment conduifit à le broyer entre deux meules ,
dont on fait tourner la fupérieure sur l’inférieure.
Le travail de moudre ainfi le grain étoit fort
pénible; c’étoit ordinairement l’emploi des efclaves,
8c même on y faisoit servir des criminels, comme
on en fait fervir a&uellement, dans quelques états-,
aux galères.
On n’a f i i , à proprement parler , réduire le
grain en farine , que lorfqu on a fu le moudre par
le moyen des meules couchées l’une fur l’autre,
dont on faifoit tourner à force de bras la fupé-
rieu're fur l’inférieure.
Dans les premiers temps la meule fupérieure
n’étoit que de bois , 8c elle étoit armée avec des
efpèces de têtes de clous de fer : dans la fuite
on les a prifes toutes les deux de pierre ; elles n’é-
toient alors que d’un pied a un pied 8c demi de
diamètre : mais on trouva bientôt le moyen de
mouvoir ces machines autrement qu’à force de
bras , & avec moins de peine ; cela donna lieu
à augmenter le diamètre de ces meules : on les
fit tourner par des chevaux 8c par des ânes ; c elt
pourquoi on lit dans les auteurs latins , mola ju -
mentariæ, molce ajininoe.
On ne tarda pas à imaginer d’employer la force
de l’eau courante pour mouvoir des meules plus
grandes encore que celles qu’on faifoit tourner par
des animaux ; enfuite on a appris à se servir pour
cela non-feulement de l’eau, mais auffi du vent.
On multiplia ainfi les moyens de^ moudre les
grains : les pejlors ( c’étoit ainfi que1 on nommoir
en gaulois ceux qui tiroient la farine du grain t
du latin piflores ) qui étoient les fariniers * commencèrent
à les moudre fans les monder ; oc
pour féparer la plus fine farine de la grone^ o£
du fon , fe fervirènt de gros linges clairs, qu on
nomme des canevas ; ils inventèrent en meme
temps des tamis qu’on avoit fait en Egypte avec
des filets d’écorce d’arbre ; en Afie , avec des
fils de foie ; en Europe , avec du crin de ^ cheval ;
dans la fuite avec des fils de poil de chevre, oc
avec des foies de cochon, d’où eft venu le nom
de fa s , que l’on donne à une efpèce de tamis.
L’ufage du pain, étant devenu général par-tout
où l’on avoit du grain, augmenta extraordinairement
la confommation de la farine 8c 1 emploi
des moulins ; c’eft pourquoi on multiplia les moulins
à eau et à vent.
Tout cela ne fe fit point fans que la mouture
des grains ne fe perfectionnât : on ajufta aux
moulins des bluteaux pour tamifer la farine à
mefure que les meules moulent le grain : on cefla
prefque de tamifer à la main, comme on avoit ceffe
de moudre à bras ; et comme il en Coutoit moins
de moudre dans les moulins à eau ou à Vent ,
qu’à moudre chez foi à bras , ou par des animaux
, on fe mit dans l’ufage de moudre fon
grain dans ces grands moulins, qui devinrent publics
, moyennant une rétribution.
D’après l’expofé ci-deffus, on voit qu il faut
que le grain fubiffe bien des^ changemens avant
que d’être transformé gn pafn : on doit necef-
fairement commencer par le réduire en farine. Pour
convertir le grain en farine, 8c pour féparer la
farine du fon , on eft obligé d’employer plus de
moyens, 8c d’y mettre plus d’intelligence qu on
ne croit : c’eft l’art du meûnier.
La mouture en général.
On n’imagineroit pas , fi l’expérience ne l’ap-
I prenoit tous les jours , que le broiement fe u l,
porté à un certain point, peut changer jufqu’aux
qualités des chofes qu’on pulvérife.
La divifion tend à la décompofition , 8c tout
fe défait par elle : on peut dire aufii que tout
fe fait par fon moyen , puifque la divifion précède
néceffairement la combinaifon par laquelle tout fe
compofe 8c fe forme : la divifion eft un principe
de tranfinutatiori. - . ■ _
La divifibilité par la mouture peut aller jufqu’aux
parties fpéçifiques, intégrantes des grains
en farine; c’eft pourquoi il faut favoir qu’il eft un
terme, dans la mouture comme dans tout, au-delà
duquel on ne doit pas aller ; autrement on dê-
çompoferoit en quelque forte le grain ; au lieu
qu’il faut feulement le réduire fuflifamment en
poudre, fans en détruire la qualité'.
Pour moudre le grain, on le fait tomber de la
trémie du moulin, par l’auget, entre les meules;
ce qui s’en détache d’abord par le froifiement,
eft la première peau du bled qui fait le gros fon.
La partie blanche intérieure du grain eft réduite
en farine en même temps que fon écorce eft di-
vifée en fon : la farine & le fon enfèmble tombent
par l’anche dans le bluteau 8c dans la huche.
_ Choix des grains pour moudre.;
Pour connoître la nature des farines , 8c pour
favoir quelles qualités de pain on en peut faire, il
faut connoître aufii la nature des grains qui les
fourniffent. La différence des grains influe effen-
tiellement fur la qualité de la farine, 8c par une
fuite néceffaire, fur celle du pain ; .c’eft pourquoi
il y a du choix à faire du grain à moudre.
Tous les grains ne font pas propres à faire du
bon pain ; 8c même les meilleurs., comme le riz 8c
l’avoine, n’y font pas tous bons : tout le monde con-
noît la bonté du riz 8c du gruau d’avoine : autant
ils font bons 8c profitables mangés cuits , foit dans
de l’eau, foit'dans du bouillon, autant ils font
mauvais en pain : on peut faire du pain d’avoine ,
mais non pas du pain de riz.
Le froment eft en général le meilleur des grains
pour faire du pain ; c’eft celui dont la pâte lève
le mieux. Il faut le choifir fec', dur 8c pefant :
plus le blé pèfe , plus il a de farine; plus cette
farine boit d’e au, 8c plus il en réfulte de pain,
8c meilleur en eft le pain.
’ L’eau dans laquelle on a fait bouillir du froment,
eft moins fujette à s’aigrir que celle dans laquelle
on auroit fait bouillir quelqu’un des autres grains :
c’eft pourquoi l’eau panée faite avec du pain de
froment eft meilleure que celle qui eft préparée
avec tout autre pain.
On tire par la coétion plus de gélatineux du
froment que des autres grains, fi on les fait cuire
de même dans de l’eau-; 8c ce gélatineux eft la
partie nourriffante du grain ; d’où l’on doit naturellement
conclure que le froment eft le plus nour-
riffant de tous les grains, comme il eft le plus
propre à faire de bon pain : ce qui cependant ne
Arts 8» Métiers, Tome V. Partie I.
peut fe dire qu’en général ; car tous les grains ont
des qualités plus différentes dans un pays que
dans un autre ; différentes encore félon les diverfes
efpèces de chaque forte de grains par rapport au
pays ; d’où eft venue la variété étonnante des sen-
timens des auteurs qui ont écrit dans des climats
différens fur les propriétés des mêmes grains.
L’orge au contraire eft en général le moins nour-
riffant; c’eft pourquoi les anciens avoient raifoh
d’employer l’orge pour tout aliment dans les maladies
aiguës
Les gros blés ne font pas à préférer aux petits,
fi ce n’eft à ceux qui font minces , 8c alongés : les
meilleurs fromens font les petits , ramaffés 8c
prefque ronds. Les boulangers 8c les fariniers difent
en proverbe: gros blé, petit pain.
On nomme blé glacé une efpèce de petit blé
dur 8c pefant, qui a une qouleur grife, tenant de
celle du verre. Le blé glacé a peu de fon ; ce
grain donne par la mouture beaucoup de farine ;
au contraire , les blés gras , longs 8c jaunes font
légers, ils donnent moins de farine 8c beaucoup
de fon ; c’eft pourquoi on les nomme aufii blés
fonneux. On nomme aussi blé fonneux un froment
long , mince 8c defféché, ce qui provient de ce
que quand ce grain étoit en la it, il a été faifi par
l’ardeur du foleil, ce qui fait quil a moins de corps
8c plus d’écorce.
En Brie, le meilleur froment eft gris , glacé &
plein. Cette efpèce de blé vient fur-tout des terreins
pierreux , que les laboureurs et les marchands
nomment grouèteux, 8c le blé qui en provient eft
nommé blé de grouette. On préféré ce b lé , 8c il
eft plus cher que ne le font les blés de terres
fortes, parce que le produit du blé de grouette eft
meilleur, à proportion de la mefure 8c du poids.
Les grains, comme les vins, font différens félon
les divers climats 8c félon les terroirs qui les ont
produits. Les fromens des pays chauds valent
mieux que ceux des pays froids. Les blés qui
viennent de fonds humides ne valent p*s ceux qui
viennent de plaines élevées.
IL faut diftinguer ici le froment d’hiver & le
froment d’été. Le dernier n’eft pas aufii facile à
préparer que l’autre. Tout dépend de la maniéré
de moudre 8c des précautions que l’on prend avant
avant que de l’envoyer au moulin.
' Si le grain eft blanc, c’eft une marque qu’ il a
moins d’écorce 8c qu’il donnera plus de farine.
Ce grain blanc eft une efpèce particulière , fort
eftimée en Siléfie, où on le fème préférablement à
tout autre.
Pour juger de la bonté du froment, on examine
s’il fon ne lorfqu’on le fait fauter dans la main. Si,
en fermant la main qui le contient, il s’échappe
promptement, 8c prefque totalement, 8c fi en en*
fonçant le bras dans le fac de blé on peut le porter
au fond"; dans ces cas on peut juger que le bled
eft bon. . . . . . .
Le meilleur froment, félon Pline, 1. xvuj, c. xxiv,
B