
pris de les expliquer par demandes & par réponses,
& de les faire apprendre à mes élèves ; j’en-
ülois mal-à-propos une route trop longue & trop
difficile. J’en&ignc-is & je perdois mon temps : il
ne devoit être queftion que d’opérer.
Les inftituteuVs des fou rds & muets n’ont
befoin que d’être avertis de ce qui fe paffe naturellement
en eux, lorfqu’ils prononcent des lettres
& des fyllabes, parce qu’ils les ont articulées dès
l’enfance fans faire attention à ce mécanifme.
Après cet avertiffement, il n’ eft point néceflaire
de leur donner des principes pour leur apprendre
ce qu’ils doivent faire pour parler, puisqu’ils
le font d’eux-mêmes à chaque inflant.; & ce qu’ils
éprouvent en parlant, fuffit pour leur faire comprendre
ce qu’ils doivent tâcher d’exciter dans les
organes de leurs difciples.
Il en eft de même des fourds & muets. Il eft
inutile d’entrer avec eux dans un grand détail de
principes, ce feroit les fatiguer à pure perte.
Sous la conduite d’un maître intelligent, qui opère
lui-même & les fait opérer, ils n’ont befoin que
de leurs yeux & de leurs mains , pour apercevoir
& fentir ce qui fe paffe dans les autres lorfqu’ils
parlent, & qui doit pareillement s’opérer en eux ,
pour proférer des fons comme le refie des hommes.
J’ai cru cet épifode néceffaire, afin que tous
ceux qui feront touchés de compaffion pour les
fourds & muets, ne s’imaginent point qu’il faille
des lumières fupérieures pour leur apprendre à
parler.
Je ne dois point oublier non plus un article
important, & qui demande quelque attention de
la part de ceux qui veulent inftruire des fourds
& muets. Il arrive quelquefois que dans les premières
leçons .qu’on leur donne pour leur apprendre
à parler, ils difpofent leurs organes comme
ils mous voient difpofer les nôtres pour prononcer
telle ou telle lettre.
Cependant lorfque nous leur faifons figne de la
proférer à leur tour , ils relient fans voix, parce
qu’ils ne fe donnent aucun mouvement intérieur
pour fitire fortir l’air hors de leurs poumons. Si
on n’elt pas fur fes gardes , cet inconvénient fait
aifément perdre patience.
Pour y remédier, je mets la main du fourd &
muet fur mon gofier, à l’endroit qu’on appelle le
noeud de la gorge, & je lui fais fentir la différence
palpable qui s’y trouve, lorfque je ne fais
que difpofer l’organe pour prononcer une lettre ,
& lorfque je la prononce en effet.
Cette différence eft auffi très-fenfible dans les
flancs, au moins dans certaines lettres, comme
dans le q & dans le p en les prononçant fortement.
Je lui fais auffi éprouver fur le dos de fa main
la différence du frappement de l’air, lorfque je
prononce ou que je ne prononce pas. Enfin, mettant
fon doigt dans ma bouche, fans toucher à
ma langue, ni à mon palais, je lui fais encore
•apercevoir cette différence d’une manière trè$.
fenfible.
• Si tous ces moyens ne réuffiffoient pas , je con-
feillerois volontiers de lui ferrer fortement le bout
du petit doigt : alors il ne fera pas long-temps
fans faire fortir quelque fon de fa bouche pour
fe plaindre.
Je reviens à notre prononciation.
J’écris fur ma table p a ,p e , p i, po , pu, & voici
pourquoi je commence par ces fyllabes, c’eft parce
que dans tout art il faut commencer par ce qu’il
y a de plus facile , pour arriver par degrés à ce
qui eft plus difficile. Je montre donc au fourd &
muet que j’enfle mes joues,, 8? que je ferre fortement
mes lèvres : enfuite faifant fortir l’air de
ma bouche avec une efpèce de violence , je prononce
p a : il l’imite auffi-tôt.
La plupart même des fourds & muets le favent
prononcer avant que 'de s’adreffer à nous , parce
que les mouvemens qu’on fait pour prononcer
cette fyllabe, étant purement extérieurs, ils s’en
font aperçus plufieurs fois, & fe font accoutumés1
à les faire par imitation.
Mais ayant appris à prononcer é , i , o , u , par
la première opération dont j’ai rendu compte, ils
difent tout de fuitepé , pi, p o , pu ; il n’y a que le
pi qui eft fouvent obfcur, & qui le refte plus ou
•moins long-temps.
J’écris ba, bé ,b i , bo, bu, parce que le b n’eft
qu’un adouciffement du p. Pour faire entendre
cette différence au fourd & muet, je met» ma main
fur la fienne ou fur fon épaule & je la preffe fortement
, en lui faifant obferver que mes lèvres fe
preffent de même fortement l’une contre l’autre
lorf-jue je dis pa.
Après cela je preffe plus doucement la main Ou
l’épaule, & je fais remarquer la pre.ffion plus
douce de mes lèvres en difant ba. Le fourd &
muet, pour l’ordinaire, fbifit cette différence, il
prononce ba, & tout de fuite bè, bi , bo , bu.
Après le p & 4e b, la confonne qui eft la plus
facile à prononcer eft le t. J’écris donc ta , té, t i,
to , tu, je prononce ta. En même;-temps je fais
remarquer au fourd & muet que je mets le petit
bout de ma langue entre mes dents de devant
fupérieures & inférieures, & que je fais avec le
bout de ma langue une efpèce de petite éjaculation
qu’il lui eft aifé de fentir , en y approchant
l’extrémité de fon petit doigt. Il n’en eft pref-
qu’aucun qui, fur4e-champ , ne prononce ta, Si
enfuite té, t i, to, tu.
J’écris alors da, dé, d i, do, du, parce que le
d n’eft que l’adouciffement du t ; & pour faire
fentir la différence entre l’un & l’autre , je,frappe
fortement avec le bout de mon index droit le milieu
du dedans de ma main gauche, & fe défais
enfuite plus foiblement : cette différence nous donne
le da, dé , di, do., du. ,
Après les lettres dont nous venons fte parler,
la lettre qui & prononce plus aifément eft la let-
& > prononce for-
tement fa . Je fais obferver au tyurd & muet que
l p0/e mon râtelier fupérieur fur, ma lèvre inférieure
& je lui fais fentir fut le dos de .fa main .
le fouffle que je fais en prononçant cette fyllabe.
Auffi-tôt il la prononce lui-même, pour peu qu’il ;
ait d’intelligence. 8 '
Va v é ,v i ,.v o , v u , n en eft.que ladoucitie-
ment, qui fouffre quelquefois un peu de difficul- .
ié,mais avec de la patience on en vient aifément
* Tout ce que nous venons de dire n’eft en quel- ‘
que forte qu’un jeu ,• & pour peu que les fourds ,
& muets aient d’attention & de capacité, il ne
leur faut pas une. heure' entière pour l’apprendre !
& l’exécuter affez clairement. Cependant ils favent t
déjà treize lettres ( en Comptant Xh & l’y ) , qui
font plus de la moitié de notre alphabet. Ce qui ;
fuit devient plus difficile , & demande plus d’attention
de la part des élèves : auffi le fuccès n’;en efl-
il pas également prompt.
J’écris fà , f é , Ji', fo ,. fu , & je prononce fortement,
fa. Alors je prends ;la main du fourd &
jnuet,,& je la mets dans une fituatlon horifontale?, 1
à trois ou quatre pouces àurdçffous de mon menton.
Je lui fais obferver i° . qu’en prononçant fortement
une ƒ , je fouffle fur le dos de fa main
d’une manière très-fenfible, quoique ma tête &
par conféquént ma bouche ne foit pas inclinée
pour y fouffler ; z°. que cela arrive ainfr; parce
que le bout de ma langue touchant prefque aux
dents incifives fupérieures * ne laiffe qu’une trèsf
petite ifliie à l’air, que je chaffe fortement &
empêche de fortir en droiture : d’un autre côté ,
cet air fortement pouffé ne pouvant retourner erç
arrière, il eft obligé de defeendre perpendiculairement
fur le dos de la main qui eft au-deffous
de mon menton , où il produit une impreffion
très-fenfible ; 30. que ma langue preffe affez fortement
les dents canines fupérieures.
Il arrive fouvent qu’un fourd & muet, attentif
à ce qu’il me voit faire moi-même, & mettant fa
main fous fon menton, prononce tout d’un coup
ƒ<*, & fur le champ f é , f i , f o , fu. Nous avertii-
fons que le c avec un é ou un i fe prononcé coiii-
me f i t fi -, & que même avec un a , un 0 ou un
«»il fe prononce comme fa., fo , fu , lorfqu’on
met au-deffous du ç une cédille, c’eft-à-dire, une
petite virgule.
Le [ai | 1 | f i , %o , %u, eft l’adouciffement du
f i , f o , fu : on y amène quelquefois le
fourd & muet dès le premier inftant, mais il en
eft d’autres pour lefquels il faut y revenir plus
d’une fois.
Le fa , fé ,fi ,fo , f u , nous conduit au cha, ché,
chi, cho, chu, qui préfente d’abord plus de difficulté.
Je l’écris, & je prononce fortement c&x, en
fanant obferver au fourd & muet la moue que
Arts & Métiers, Tome V. Partie, J*
nous faifons tous naturellement ,• lorfque nous
prononçons fortement ce mot pour faire pveur à
un chat ; enfuite je mets fon doigt dans ma bouche,
& je lui fais remarquer, i° . l’impulfion forte
que je donne à l’air en prononçant la lettre f ;
2°. que le milieu de ma langue touche prefque à
mon palais ; 3®. qu’elle s’étend & vient comme
frapper mes dents molaires ; 40. qu'elle laiffe à l’air
affez de paffage pour fortir direâement ‘ de ma
bouche, & n’être point obligé de defeendre perpendiculairement
,comm'e ii le fait lorfque je prononce
la lettre f . Le fourd & muet aperçoit très-
clairement cette ^différence , parce qu’en mettant
fa main vis-à-vis de ma bouche , l’air vient la
frapper direélement lorfque je prononce la fy l-
Jabe cha.
■ Je mets alors mon doigt dans fa bouché, & lui
faifant faire ce que -j’ai- faite moi-même , il prononce
cfia & enfuite ché ^- chi, cho , chu ; mais
pendant un temps plus ou moins long , il revient
toujours au fa^ fé'; f i , fô f fu , tant qu’il n’a pas
lui-même fon doigt dans'fa bouché pour diriger
les opérations dé'là langue. Ce n’éftque par l’habitude
qu’il apprend à fé paffer de ce moyen.
Ja; , ié; j i , jq , j u , èft l’àdouciffement de cha ,
-ché + mi , cho , chu, 8c^ s’enfeigne comme les autres
adouÇiffemens, par la différe nce delà preffiôn ,
avec de l’ufage & de l’atteritioh , tant de la part
du maître que du difdplé. 2
Mais voici de quoi exercer notre patience. J’é-
cris fur la table.
Ç a , . i . . . . , co , eu.
K a , k é , k i , k o ,“ ku.
Qua , qué, vqui, quo*
Enfuite je prononce fermement ca. Je prends
alors la main du fourd & muet , & je la mets
doucement à mon gofier, dans la fituation extérieure
d’un homme qui me prendront à la gorge
pour m’étrangler. Je lui fais obferver, & ii le
lent d’une manière palpable, qu’en prononçant
fortement cette fyllabe mon gofier s’enfle.
Je lui montre enfuite que ma langue fe retire,
qu’elle s’attache fortement à mon palais, & ne
laiffe à ri’air intérieur aucune iflùe pour fortir ,
jufqu’à ce que je la force dé s’abaifler pour prononcer
cette fyllabe. Je lui fais auffi remarquer
l’efpèce d’effort qui fe paffe dans les flancs en prononçant
cette fyllabe. Après cela je mets moi-
même ma main fur fon gofier , comme je lui ai
fait mettre la fienne fur le mien , & je l’engage
à faire lui-même ce qu’il m’a vu faire.
Il n’^ft qu’un très-petit nombre de fourds &
muets , pour lefquels cette opération réuffiffe dès
la première fois ; avec les autres, il faut la répé-»
ter, & leur faire fentir l’effet que la prononciation
de cette fyllabe produit dans le gofier de Jeurs
compagnons ou compagnes, & de quelle manière
leur langue tient à leur palais , tant qu’ils fe préparent
à hr prononcer.