
34 MEÜ
Je vais m’y arrêter un moment, en cas que par
la fuite on foit tenté de former de grands éta-
bliffemens de greniers. '
De la conftru&ion du grenier. Les greniers ordinaires
font des efpèces de galeries au-deffous de
la toiture, avec des fenêtres & des portes mal
diftribuées & trop grandes ; ^enforte que pendant
l’été il y règne une chaleur étouffante , les infeéles
fe multiplient de toutes parts, & comme le comble
leur fert de retraite , il eft extrêmement difficile
de les détruire entièrement.
Si l’on étoit déterminé à conftruire exprès un
magafin à blé & à farine , il feroit d’abord né-
ceflaire que le fol fur lequel feroit élevé le bâtiment
, ne fut pas humide , & que la charpente fût
de bois coupé dans la bonne faifon , parce que
celui qui eft trop verd eft fujèt à produire des
infeéles , qui s’attachent aux poteaux , & fe communiquent
enfuite au grenier ; la charpente vieille
a le même inconvénient.
Il faudroit encore que le toit fût' revêtu intérieurement
de paillaffons, afin d’empêcher l’air chaud &
humide de pénétrer à travers ; qu’il fût plafonné ;
que les murs n’euffent aucune crevaffe, aucune
fente capable de receler les infedes , & de favori-
fer leur ponte ; il eft bon fur-tout qu’il n’y ait pas
fous le grenier , d’écuries , d’étables , aucunes
matières végétales ou animales en putréfâ&ion.
Le grenier devroit, félon le précepte de Colu-
melle, être garni’ de fenêtres petites , & très-mul-
tipliées du côté du nord, parce que cet àfpeéf
eft froid & fec; il fuffiroit feulement qu’il y eût
aux deux extrémités oppofées , une ouverture qui
produirait l’effet du ventilateur : on adapteroit
aux fenêtres une double crpifée , dont l’une en
châfîis feroit extérieure , & l’autre en vitrage revêtu
de coutil, qu’on ouvriroit & fermeroit alternativement
félon le temps & les opérations du
grenier.
On devroit préférer de planchéïer le grenier,
parce que le carreau le dégrade aifément, &
revient à la longue plus cher que ' le bois ; ménager
entre le plancher & le fol un intervalle
pour établir fous les facs de petites trappes qu’on
ouvriroit d’efpaces en efpace, ce qui ifoleroit de
toutes parts les facs, & produiroit en même temps
que les ventoufes un courant d’a:r frais , & em-
pêcheroit qu’en aucun temps on ne fût obligé
- d’ouvrir & de déplacer les facs.
Entretien du grenier. Si l’emplacement & la
bonne conftruâion des endroits où l’on met en
dépôt fes provifions influent fur la durée de leur
garde, on ne peut non plus fe difpenfer de convenir
que les foins qu’on apporte à la bonne tenue
du magafin, n’ajouteroient encore aux effets
des autres moyens qu’on y emploie ordinairement.
Il faudroit, avec des balais , nettoyer de temps
en temps les murs , afin d’enlever la pouflière
qui y adhère, ainfi que les papillons qui ont befoin
pour s’accoupler d’être fixés & en repos ; broffer
M E U
fouvent les facs, & ne laiffer fur le plancher aucunes
ordures qui puiffent exhaler de l’odeur;
enfin il faudroit intercepter les rayons du foleil
dans les temps chauds, 8c produire dans le grenier
la plus grande obfcurité.
Un grenier fitué , conftruit & entretenu fuivant
ces principes, feroit propre , non-feulement à la
confervation des grains, mais encore à celle des
farines , qui ne fe détériorent fouvent que par l’influence
du local ; ce qui donneront à la méthode
que nous avons propofée, les avantages qu’il eft
poflible de defirer. Terminons ce mémoire par les
expofer.
Des avantages de la méthode des facs ifolés.
Cette méthode de conferver les grains & les
farines , réunit plufieurs avantages que je crois
devoir préfenter ici fous le point de-vue le plus
rapproché , afin qu’on puiffe les comparer aux in-
convéniens des autres pratiques ufitées.
i°. On peut placer dans le même endroit les
grains , ainfi que les farines de différentes qualités,
provenant de deux récoltes , fans confufion ni
mélange.
2°. Un feul grenier., quelle que foit fa conf-
truélion , fuffit pour ferrer le blé & la farine.
3°. Les fermiers feront à portée de conferver
les produits de leurs moiffons d’une année à l’autre
, fans danger , fans frais , fans quitter leur
champ un jour favorable aux labours, aux enfe-
mencemens , à la récolté.
‘ 4°. Les particuliers étroitement logés, auront
la faculté de conferver, à peu de frais , leur pro-
vifion dans tous .les endroits de la maifon , fans
courir aucuns rifques de la part, du local.
5°. Il eft poflible d’entrer à chaque inftant
dans le grenier, fans que i’aélion d’y marcher
gâte les grains & les farines.
6°. On a la facilité de vifiter ‘les facs quand
l’on veut, de les examiner, de les déplacer & de
les remuer, fans occafionner de déchet.
7°. Toutes les réparations que le g'renier exige ,
peuvent fe faire fans être obligé d’en retirer les
grains & les farines , fans que ceux-ci en fouffrent.
8°. On peut ouvrir ou fermer le grenier , le
nettoyer * fans craindre d’introduire dans les farines
des ordures & de l’humidité , qui en accélèrent
le dépériffement.
9°. Les grains bien fecs & parfaitement nettoyés,
la farine douée de toutes fes propriétés, ne de-,
mandent plus ni foins ni dépenfes ; ils n’éprouvent
aucun déchet ; enfin, on peut prefque les
oublier.
io°. Le grain étant bien criblé & parfaitement
net , ne fe charge plus d’aucune pouflière : on
peut l’envoyer au marché ou au moulin, fans
aucune nouvelle opération préalable.
i i °. Les farines étant marquées & numérotées,
on voit tout d’un coup le grain d’où elles provien-
M E U
nent, le pays & l’année de fa récolte , le nom' du
marchand qui les a vendues, la date de la mouture
& 1’âchat.
12°. Si lés rats' & les fouris percent un fac ,
ils ne pourront s’y retrancher long-temps fans
être aperçus ; s’ils parviennent à établir leur domicile
dans le grenier, les chats leur feront la
chaffe avec plus de facilité : on pourra dailleurs
fe fervir, pour les exterminer, de tous les moyens
connus, fans aucuns danger pour la denrée.
130. Ces animaux ne pourront plus dépofer
leurs fécrétions dans les grains & les farines,
ni leur communiquer cette odeur & ce goût dé-
fagréable , qu’il eft fouvent très-difficile d’anéantir
entièrement.
140. Toutes ces ordures qui tombent du plancher,
& qui falifferit la fuperneie du tas de farine,
fe dépoferont fur les facs, & on les nettoiera de
de temps e^temps.
1 50. L’énorme déchet occafionné dans les grains
& les farines, foit par les infeétes, foit par la
fermentation , foit par le remuage, tous les ac-
cidens qui en diminuent la qualité & le prix,
feront anéantis par ce -moyen.
160. Les grains 8c les farines renfermés ne répandront
plus au loin une odeur qui allèche les
infeétes ; cette odeur, qu’on peut comparer à l’ef-
prit reâeur, fera autant -de gagné pour la faveur
agréable du pain.
170. En fuppofant qu’il foit poflible aux papillons
qui voltigent en automne au déclin du
jour, aux fenêtres du grenier , d’y pénétrer, ils
ne pourront pas dépofer leur poftérité dans le
grain & dans la farine.
i8°. Un grain gâté peut agir à la manière des
levains , jeter la corruption dans des maffes où
il eft difficile d’arrêter fes effets, tandis que dans,
ce cas il n’y auroit qu’un fac à féparer & à travailler.
190. Si un fac placé au fond d’un bateau, ou
refté un certain temps près du mur, a déjà con-
traélé par l’humidité une difpofition à fe moifir ,
on peut l’éloigner des autres facs, le remplacer ou
l’employer, fans que la totalité puiffe en recevoir
de dommage.
20°. Le nombre des facs pouvant fe compter
par rangées, & le vide qu’un feul occafionneroit
devenant très-fenfible, on s’apercevroit à l’inf-
tant du tort qui fe feroit au grenier.
2i°. Comme il eft inconteftablement démontré
que les farines fe bonifient à la longue , on pour-
roit en avoir en avance au deffus de la confom-
m^tion, fans courir aucuns rifques.
220. On pourra profiter du temps favorable aux
moutures, faire des amas de farines, & fe précautionner
fur-tout contre ces difettes inftantanées
que fait naître, au fein même de l’abondance,
le chommage des moulins.
MEÜ 35
23°. Dans un jour chaud & orageux il ne fera
pas néceffaire de vider un fac pour s’affurer fi la
farine du milieu & du fond elt aufli fraîehe que
celle de la fuperficie ; on faura bientôt, à la faveur
d’une fonde, ce qui s’y paffe.
. 240. S’il eft néceffaire de déplacer les facs, de
les remuer fens deffus deffous , ce qui n’arrivera
que fort rarement , cette opération ne fera pas
aufli préjudiciable à la fan té des ouvriers , comme
celle du remuage à l’air libre , qui fait avaler ,
par les voies de la trachée & de la déglutition ,
une pouflière ténue , sèche & abforbante.
2<f°. Quand il s’agira de faire des mélanges
de farine provenante de blé nouveau ou v ieux ,
de b)é fec ou humide, de blé revêche ou tendre ,
il fuffira de déterminer la quantité de facs à vider.
26°. On peut en un clin d’oeil, vérifier l’état
du magafin, & fe rendre compte à volonté de
la recette , de la confommation & de ce qui refte
au bout du mois , du quartier ou de l’année.
270. Les grains & les farines fe trouvant en
petites piaffes, ils ne peuvent jamais fe nuire par
leurs qualités différentes : les facs ifolés doivent
être confidérés comme autant de petits greniers
renfermés dans un grand.
28°. Ceux qui auront la dire&ion des magafins,
n’auront plus de prétexte pour compter des frais
d’entretien & de déchet qui vont fouvent à deux
pour cent.
290. La méthode dont il s’agit , peut être
adoptée dans tous les climats , dans tous les pays
& par les citoyens de tous les ordres.
30°. Enfin , c’eft le feul moyen de mettre en
réferve , & fans frais ,• le fuperflu des bonnes
années , pour fubvenir aux befoins preffans que les
mauvaises occafionnent.
Moyen pour faire fuir les mites de la farine.
On confeille de mettre dans les tas de farine
des verges ou rameaux d’érable dépouillés de
feuilles. Après une demi-journée de ce mélange,
on prétend que les mites abandonneront les farines
, ne pouvant fupporter l’odeur de l’érable.
La préparation ou le mélange des farines.
Nous avons fait voir que fouvent il étoit bon
de mêler enfemble différens blés avant de les
moudre en farine ; mais il y a un bien plus grand
avantage à mélanger les farines avant de les employer
„foit en bouillie, foit en pain. Pour faire de
bon pain, il faut des blés mêlés ■; fur-tout à Paris ,
moins à Verfailles où l’on a du bon blé de Beauce.
Il faut le mélange de diverfes farines pour faire
de bon pain; la diverfitè des farines vient, comme
il a été expliqué , ou de la mouture qui eft différente
, qui tire du même grain différentes
farines. ou de la diverfitè des grains dont elles-
ont été tirées , ou de leùr ancienneté.
Pline favoit qu’en mêlant deux fortes de blés
E ij
I