
Les gardes d’osjou d’ivoire font faites de la même
manière que les précédentes ; on fefert, pour les
travailler , de râpes à bois ou de limes , dont les
dents foient un peu fortes : fi les os font affez
longs pour qu’on puiffe trouver les deux gardes
l’une au bout de l’autre, il eft à propos de les faire
ainfi, elles en font toujours mieux traitées.
Les perfonnes qui ont quelque ufage du travail
des mains, favent par expérience qu’une pièce un
peu longue fe façonne plus aifément qu’une courte,
& qu’il n’eft prefque pas poffible de faire féparé-
ment deux pièces parfaitement femblables.
Lorfqu’elles font finies , on les »coupé, & on
fait les tenons.
Les gardes de laiton ou de bronze fe jettent en
moule dans du fable, comme toutes lés pièces
de fonte ; mais il eft peu d’ouvriers qui puiffent
faire eux-mêmes ce travail : ainfi l’on fait faire un
modèle en bois comme on veut qu’elles foient ,
ayant foin de le tenir un peu plus fort, parce que
la croûte que forme le fable , & qu’il faut oter à
la lime, diminueroit trop ces pièces, fi l’on n’y
avait pourvu d’avance.
On le donne au fondeur , qui fouvent même
étant pourvu des uftenfiles néceffaires pour travailler
le métal , tels qu’un étau & des. limes de toute
efpèce , peut mieux que le peigner la finir comme
il convient ; mais dans ce cas on lui donne un
fécond modèle de bois, dont les dimenfions foient
juft«s, & il h’a qu’à fe régler deffus. -
Il faut que ces gardes foient polies fur le devant,
pour diminuer les frottemens qu’y éprouveroit fans
cela la pointe de la navette.
Manière d ' conper les cannes à la longueur que les
dents/doivent avoir pour monter les peignes.
Dans les villes voifmes des endroits où l’on cultive
les cannes, on les vend aux peigners couvertes
de leurs feuilles ; elles fe confervent mieux
dans cet état que fi elles en étoient dépouillées.
Quand on veut choifir les tuyaux propres à faire
des dents, on a foin de les effeuiller d’abord & de
les bien racler & polir, pour les mettre en état
de fervir.
Mais quelque befoin qu’on ait de cannes I on
ne les dépouille jamais de leurs feuilles qu’un an
après avoir été coupées fur pied ; & quoiqu’on
les cueille fuffifamment mûres , il leur faut cet
intervalle pour les bien fécher, & leur procurer la
confiftanee & la dureté qu’on leur voit.
Pendant qu’elles font en magafin , il faut les
prèferver de toute humidité ; car fi l’écorce avoit
fouffert la moindre atteinte de moififlùre , elles ne
pourroient plus fervir à faire des dents de peigne
Pour ôter les feuilles de deflus les cannes, on
commence par les arracher avec les mains le plus
qu’il eft poflible , ce qui eft affez facile ; puis avec
un couteau l’on coupe tout ce qui tient davantage
aux noeuds qui féparent les tuyaux dont la canne
femble être compofée comme d’autant de bouts.
Enfin, on coupe chaque canne en deux fur fi
longueur, faifant attention de féparer le côté le
plus mince du plus gros ; car la moitié vers le
pied eft d’une bonne groffeur, & l’autre eft ordinairement
trop menue ; pour cela on prend garde
fi les tuyaux dont on veut fe fervir, peuvent four-
nir aux dents une écorce fuffifamment longue
large & épaiffe ; car ce n’eft que de l’écorce qu’on
fe fert pour faire les dents d’un peigne.
Lorfque les cannes font coupées par moitié
on coupe toutes celles qu’on deftine à faire des
dents , en autant de bouts qu’on y rencontre de
noeuds fur la longueur ; & fi quelques-uns de ces
bouts font allez longs pour donner deux longueurs
de dents , on les coupe le plus près des noeuds
qu’il eft poffible, pour leur donner plus de longueur
, ce qui en facilite le travail, mais cepen*
dant fans anticiper fur la partie non vernie que la
feuille a découverte.
S!il n’eft pas poflible d’en trouver deux longueurs
, on les coupe le plus loin des noeuds qug
la longueur des dents peut le permettre.
Pour, couper les cannes comme il faut , on fe
fert d’un couteau en forme de ferpette, pareil à
celui dont on fe fert pour racler les noeuds.
On tient ce couteau de la main droite, enforte
que le tranchant foit en deffus ; puis prenant une
canne de la main gauche , on appuie le pouce
droit fur la canne qui, par ce moyen, fe trouve
preffée fortement contre le tranchant duîcputeau.
En même tems on fait tourner la canne fur elle*
même avec la main gauche, ce qui imprime fur
l’écorce une entaille circulaire ; après quoi on
fépare les deux morceaux au .moindre effort, en'
les tenant des deux mains près de l’entaille, pour
prévenir les éclats qui pourroient. fe faire fans cette^
précaution.
Chaque fois que l'ouvrier coupe les cannes pour
en féparer les tuyaux, il a foin de féparer les
noeuds qu’il jette à terre : comme ils ne font propres
qu’à être brûlés, on ne prend aucun foin de
les ranger, & on les ramaffe en balayant.
Aux pieds de l’ouvrier eft une. corbeille, dans
laquelle il jette les bouts à mefure qu’il les coupe,
pour, après cela , en faire un choix.
Quelques ouvriers commencent par féparer èn
deux les cannes fur leur hauteur , & ayant mis à
part la partie d’en-bas qui peut fervir , ils la coupent
enfuite par longueurs ; mais d’autres ne prennent
pas cette précaution , & coupent les cannes par
bouts, jufqu’à ce qu’ils voient que ce qui refte à
gauche^ eft trop menu pour l’ufage auquel ils le
deftinent : alors ils jettent cet excédent en un tas
devant eux.
L’xpériencea appris qu’une même canne n’avoit
pas l’écorce également dure dans toute fa longueur ;
& en fuivant la nature dans fa marche, il eft aifé
de s’apercevoir que le bas doit toujours être plus
fort,
fort. En effet, placé plus près de la racine, il eft
plus abreuvé de fucs nourriciers qui lui donnent
en peu de tems une perfection que le fommet de
la plante n’acquiert jamais , n’étant nourri que des
fucs les plus fubtils qui ont la force d’y atteindre.
D’après cette obfervation, les tuyaux qu on coupe
par bouts , auront leur écorce d’autant plus dure
qu’ils approcheront plus près de la racine ; & c’eft
cet affortiment'qu’il eft à propos de faire, en choi-
fiffant & mettant enfemble ceux d’une même
qualité; maison ne faur-oit fur cela établir de règle
générale , &. conclure qu’à une même hauteur les
tuyaux feront également forts ; car dans une même
touffe de cannes , il y en a toujours de mieux
nourries que les autres , & c’eft à l’ouvrier in tel- !
îigent à déterminer celles qu’il doit mettre enfemble.
Pour bien connoître l’égalité des tuyaux qu’on
choifit pour un genre de peigne , on regarde l’écorce
par le bout coupé , & l’on compare ceux où elle
eft d’une même épaiffeur , dont le brillant & la couleur
font les mêmes , la fineffe ou la groflièretédes
filamens femblables , & dont enfin l’écorce femble
également lâche ou compa&e.
Par ce moyen on parvient à appareiller les qualités
autant qu’il eft poffible ; & dans un nombre
infini de tuyaux , il n’eft pas difficile d’en trouver
de cinq ou fix- efpèces , plus ou moins, félon la
quantité de tuyaux ou la nature des cannes.
Ces différentes efpèces font bonnes chacune
pour différentes fortes de peignes ; & pour donner
: là-deffus des idées générales , on convient que
ceux dont l’écorce eft. plus fine & plus mince ,
j doivent être employés à des peignes où , dans une
; longueur donnée, on doit faire entrer une plus grande
| quantité de dents : ainfi , par exemple , fi dans
vingt pouces on doit faire entrer mille dents , il ..
eft évident qu’elles doivent être plus minces que fi ,
I fur une même longueur r on n’en mettoit que huit
cents. .
Par cet exemple on comprendra que les dents
| qu’on tire des tuyaux dont l’écorce eft la plus épaiffe
& la plus gro(Itère , ( & elle peut être l’une fans
l’autre ) doivent entrer dans les peignes qui, en
comparaifon des mêmes longueurs , exigent un
moindre nombre de dents.
Lorfque les qualités font bien afforties , il faut
I encore, autant qu’on le peut , affortirles tuyaux
pour là groffeur ; ce choix eft fort difficile à faire ,
à moins qu’on ne s’y prenne comme on va l’expliquer.
Quand on fait le choix dés qualités , on n’a
aucun égard à la groffeur des tuyaux , parce que
j fouvent l’écorce des deux tuyaux eft d’une même
épaiffeur , d’une même fineffe , &c. & cependant
1 étant pris fur des cannes de différens diamètres ou
a des hauteurs différentes , ils ne font pas d’une
même groffeur : alors il faut faire le fécond choix
entre les qualités déjà choifies ; & f i , par exemple
, on a féparé cinq qualités différentes, il peut
Arts & Métiers , Tome V. Part, II.
y avoir dans chacune des tuyaux de trois ou
quatre groffeurs , dont chacune doit être employée
à différens peignes.
Cette précaution eft d’autant plus importante
que, quoiqu’on divise un gros tuyau en plus de
parties qu’un petit, les dents qui proviennent d’un
petit font plus épaiffes que celles d’un plus gros ,
parce que la circonférence du gros donne une fur--
face moins convexe que l’autre.
Pour rendre cette remarque plus fenfible, tracez
deux cercles, dont l’un ait, par exemple , deux
pouces de diamètre, & l’autre trois; un même
efpace de deux lignes , pris fur la circonférence du
petit, fera beaucoup plus convexe que furie grand ;
& fi l’on veut donner une égale épaiffeur à ces
deux parties , il faut que la première devienne •
néceffairement plus étroite , ou que la fécondé
refte plus épaiffe : voilà la raifon pour laquelle les
peigners prennent un auffi grand foin pour affortir
les groffeurs des tuyaux deftinés à un même
emploi.
Indépendamment du triage dont on vient de
parler , il y a encore des défeéluofités particulières-
qui empêchent un tuyau de pouvoir lervir. Ceux
qui font tarés , c’eft-à-dire , percés de vers, dont
l’écorcè eft raboteufe, car on a vu plus haut qu’on
ne fe permet pas d’y toucher , même pour la
polir ; ceux dont le fil n’eft pas droit, ce qu’on
reconnoît lorfque quelque noeud ou oeil, autre
que ceux que laiffent les feuilles,. fe trouve fur
la partie vernie, ou enfin qui ont d’autres défauts ,
doivent être entièrement rejetés,
Il y a encore des tuyaux dont Fécorce eft trop
. tendre, & qui fe réduit en po.uffière en la. frottant
ou la grattant avec l’ongle : il faut abfolu-
ment les mettre de côté , parce que les dents n’au-
roient pas affez de confiftanee pour foutenir le
frottement continuel de la chaine d’une étoffe :
on ne doit pas même hafarder d’employer un tuyau
dont l’écorce paroît poudreufe , parce qu’ordinai-
rement cet effet eft produit par quelque humidité
qui a féjourné entre la feuille & le tuyau, & que
c’eft l’indication d’un commencement de pourriture.
Quand même ce défaut ne fe rencontrerok que
dans une partie du tuyau, il eft plus prudent de
n’employer ancune des parties , même celles qui
ne paroiffent aucunement affeâées , de peur qu’elles
ne participent du défaut qui leur eft fi voifin.
On ne fauroit prendre trop de précautions pour
donner aux peignes toutes les qualités néceffaires ,
puifque c’en de tous les uftenfiles qui fervent à
la fabrication des étoffes , celui qui contribue le
plus à fa perfeâion ; c’eft pourquoi on a dû prévenir
tous les inconvéniens qui peuvent réfulter
du choix des matières qu’on y emploie.
Il refte à obferver qu’il faut avoir grande attention
que les endroits où l’on tient la canne.cou-
pée, ne foient humides : l’humidité attaque d’abord
la partie intérieure du tuyau, qui eft fort
LU I