
Quels beaux ouvrages ne fit-on pas avec cette
matière ! Quelle magnificence que celle du théâtre
de M. Scaurus, dont le fécond étage étoit entièrement
incrufté de verre i Quoi de plus fuperbe,
fuivant le récit de St. Clément d’Alexandrie, que
ces colonnes de verre , d’une grandeur & dhine
grofleur extraordinaires, qui ornoient le temple
de Tifle d’Aradus!
Il n’eft pas moins furprenant que les anciens
connoiffant l’ufage du criftal, plus propre encore que
le verre à être employé dans la fabrication des miroirs
, ils ne s’en loient pas fervi pourcet objet.
Nous ignorons le temps où les anciens commencèrent
à faire des miroirs de verre. Nous favons
feulement que ce fut des verreries de Sidon que
fortirent les premiers miroirs de cette matière :
on y trvailloit très-bien le verre, & on en faifoit
de très-beaux ouvrages , qu’on polifloit au tour,
avec des figures & des ornemens de plat & de
relief, comme on auroit pu faire fur des vafes d’or
& d’argent.
Les anciens avoient encore connu une forte de
miroir, qui étoit d’un verre que Pline appelle vitrum
obfidianum, du nom d’Obfidius qui l’avoit découvert
en Ethiopie ; mais on ne peut lui donner qu’im-
proprement le nom de verre. La matière qu’on y
employoit étoit noire comme le jais, ôc ne rend
i t que des repréfentations fort imparfaites.
Il ne faut pas confondre les miroirs des anciens
avec la pierre fpéculaire : cette pierre étoit d’une
nature toute différente, & employée à un tout
autre vüfage : on ne lui donnoit le nom de fpe-
cularis qu’à caufe de fa tranfparence ; c’étoit une
forte de pierre blanche & tranfparente, qui fe
coupoit par feuilles, mais qui ne réfîftoit point au
feu. Ceci doit la faire diftinguer du talc, qui en a
bien la blancheur & la tranfpr.rence, mais qui réfifle
à la violence des flammes.
On doi‘ rapporter au temps de Sénèque l’origine
de l’ufage des pierres fpéculaires ; fon témoignage
y eft formel. Les Romains s’en fervoient à garnir
leurs fenêtres , comme nous nous fervons du
verre ; furt-tput dans les falles à manger pendant
Phiver, pour fe garantir des pluies & des orages
de la faiton : ils s’en fervoient aufFi pour les litières
des dames , comme nous mettons des glaces à nos carroffes ; il les employoient encore pour
les ruches , afin d’y pouvoir confldérer l’ingénieux
travail des abeilles. .
L’ufage des pierres fpéculaires étoit fi général,
qu’il y avoit des ouvriers dont la profefüon n’a-
voit d’autre objet que celui de les travailler, &
de les mettre en place.
Outre la pierre appelée fpéculaire, les anciens en
connoiffoientune antre appellée pheugitès, qui ne cé*
doitpas à la première en tranfparence : on la tiroit de
la Cappadoce ; elle étoit blanche & avoit la dureté
du marbre. L’ufage en commença du temps de
Néron ; il s’en fer vit pour conflruire le temple de
la Fortune , renfermée dans l’enceinte immenfe
de ce riche palais qu’il appela la maifon dorée.
Ces pierres répandoient une lumière éclatante dans
l’intérieur du temple : il fembloit, félon 1 expref-
fion de Pline, que le jour y étoit plutôt renfermé
qu’introduit, tanquam inclufd luce, non tranfrtùjja,
Nous n’avons pas de preuves que la pierre
fpéculaire ait été employée pour les miroirs v mais
l’hiftoire nous apprend que Domitien , dévoré
d’inquiétudes, & agité de frayeurs, avoit fait garnir
de carreaux de pierre pheugite les murs de fes
portiques, pour appercevoir, lorfqu’il s’y prome-
noit, tout ce qui fe faifoit derrière lui , & fe
prémunir contre lés dangers dont fa vie etoit
menacée.
Etamage.
L’étamage des miroirs ou des glaces, confifte à
appliquer un amalgame d’étain & de mercure fur
une de leurs furfaces ; ce qui les rend infiniment
plus propres à réfléchir les rayons de lumière,
& par conféquent à repréfenter, d’une manière
très-vive & très-nette, les images des objets.
Cette propriété de l’étamage des glaces eft fondée
fur ce que les fubftances métalliques , étant les
corps les plus opaques de la nature , biffent paffer
à travers leur fubftance infiniment moins de rayons
de lumière , & par conféquent en réflèchiffent
beaucoup davantage que toute qütre matière.
Pour étamer les glaces , ce' qui s’appelle les
mettre au tain , on les pofe fur des tables dans
une fituation horizontale, parfaitement de niveau ,
après avoir nétoyé très-exa#ement la furface fu-
périeure qui doit recevoir le tain ; ou mieux
encore, l’on a pour étamer une pierre bien droite
& bien unie, entourée d’un cadre de bois, qui
préfente autour des trois *côtés de la pierre une
perite rigole percée à deux des coins.
Cette efpèce de table eft tellement difpofée
fur les pieds qui la Soutiennent , qu’on peut à
volonté la mettre de niveau , ou lui donner de
la pente du côté, où font les trous.
Gn couvre la furface de la glace de feuille?
d’étain, qui font auffi. minces que du papier, &
qui doivent être très-nettes, & ne pas former le
ïnoindre pli.
On verfe par-deffus une quantité de mercure
fuffifanté pour couvrir le tout exactement ; on le
frotte légèrement avec une patte de lièvre, & on
l’y laiffe fejourner affez long-temps pour qu’il s a-
malgame parfaitement avec les feuilles d’étain,
qui devient très-brillant,
Alors on donne un1 petit degré d’inclinaifon à
la glace, pour faire écouler doucement le mercure
furabondant : on augmente peu à peu cette incli-
naifon à mèfure que le mercure s’écoule ; enfin,
ou parvient à pofer la glace Verticalement, & on
la laiffe s’égouter entièrement dans cette dernière
fituation.
Quelquefois même on charge la glace de pierres,
I ou de plaques de plomb qui ont une poignée de
f . . . ftr
fer en mettant une pièce de flanelle ou de ferge
entre la glace & ces poids ; opération nèceflaire pour
que la glace s’applique plus immédiatement à la
feuille d’étain , & que le mercure fuperflu en
forte avec plus de facilité ; c’eft pour cette dernière
raifon que l’on penche la table lorfque la
glace eft chargée. Le mercure fuperflu coule dans
la rigole, & fe décharge, par les trous qui y font
pratiqués, dans des baffins de bois.
Lorfqu’on juge l’étamage affez parfait & folide,
on décharge fa glace & on la pofe fur des égouttoirs
de bois,’dont on rend la pente plus ou moins
rapide, à volonté , & fur lefquels elle achève de
perdre*le mercure fuperflu qui pourroit lui refter.
Par cette manoeuvre, il ne refte de mercure que
la portion qui s’eft véritablement amalgamée avec
la couche d’étain, qui devient alors très-brillante.
Comme cet amalgame a un conta# parfait avec
là furface de la glace, attendu que cette furface eft
très-polie , cet enduit métallique y adhère à raifon
de ce conta# ex a# , & la partie amalgamée du
mercure ne s’écoule point , parce qu’elle eft
retenue par l’adhérence qu’elle a contra#ée avec
l’étain.
11 fuffit d’environ deux onces de v if argent pour
couvrir trois pieds de glaCe.
La réuflite de cette opération dépend beaucoup
de la netteté de la furface de la glace ; car il
eft certain que la' moindre ordure, les parcelles
de pouffière interpofées entre l’amalgame & la
furface de la glace, empêcheroient abfolument
l’adhérencè de conta# entre ces deux corps.
Comme les matières vitrifiées , telles que le font
les glaces., ne peuvent point s’unir intimement avec
les fubftances métalliques, il s’en faut beaucoup que
l’adhérence de l’étamage des glaces foit aufli forte
que celle de l’adhérence de métaux fur méteaux ,
telle qu’elle fe trouve dans l’étamage du cuivre &
du fer ; dans ce dernier cas il y a diffolution, pénétration,
union intime de l’étain avec la furface du
métal étamé; dans celui des glacés , au contraire,
il n’y a que l’adhérence de {impie conta# ou de
juxta-poïition exa#e , qui peut avoir lieu entre les
corps quelconques , cuoiqtje de nature hétérogène
par l’application immédiate & jufte de leurs furfaces
polies. Auffi le tain des glaces eft-il fort fujet à s’enlever
: il faut, si l’on veut le conferver , qu’il foit à
l’abri de l’humidité & des fi ottemens, même les plus
légers. C’eft par cette raifon qu’il eft très-effentiel,
lorfqu’on met les glaces au tain, de ne faire écouler
le mercure furabondant que fort doucement, &
fort lentement ; autrement cette matière feroit
capable d’entraîner avec elle prefque fout l’étamage
par fon feul poids.
Kunckel, dans les remarques fur l’art de la
Verrerie, dit que pour étamer des boules ou des
bouteilles de verre , il faut,
i°. Fondre dans un creufet un quart-d’once
4’étain & autant de plomb.
Arts & Métiers. Tome V. Partie /.
a®. Y joindre enfuite demi-once de bifmuth.
, j° . Retirez le creufet du feu ; & lorfque la matière
fera prefque froide, vous y verferez peu à
peu une once de vif argent.
4°. Vous ferez un peu chauffer la boule de
verre, qui doit être bien nette & bien fèche, &
vous y inférerez, par le moyen d’un entonnoir,
l’amalgame ci - deffus , bien doucement-, en empêchant
qu’il ne s’écarte du fond de la bouteille ;
car s’il tomboit avec force fur du verre froid, il
le feroit éclater.
<r°. Enfuite vous roulerez la bouteille dans vos
mains , afin que l’amalgame étame, & s’étende
également par-tout.
Si la matière fe grumeloit, on chaufferoit un
peu la bouteille pour rendre cette matière Liquide.
Si l’amalgame eft trop liquide , on pourra y
ajouter , en même proportion, du bifmuth, du
plomb & de l’étain.
6°. On verfe dans un vafe l’amalgame qui eft
inutile.
* Différent étamages.
Voici quelques procédés que la phyfique expérimentale
ne permet pas d’omettre, en traitant
de l’art du miroitier.
Quoique ces procédés foient Amples, & d’une
exécution facile , les ouvriers, fur-tout ceux des
provinces , qui ne manient que des glaces planes,
s’y trouveroient arrêtés. L’amateur empreffé de
jouir, fera volontiers leur guide, & l’Encyclopédie
doit le mettre fur la voie.
i°. De Vétamage d'une glace dans fa concavité.
Prenez du plâtre bien recuit & bien puîvérifé,'
paffez fur toute la furface creufe du verre une
légère couche d’huile. Formez avec lé plâtre détrempé
, un moule exa#, en appuyant fur chaque
point de la concavité. Pour épaifiir le moule,
rechargez-le de matière , & que fon diamètre ne
furpaffe pas celui de la glace.
Vous l’enlèverez lorfqu’il fera fec ; mais comme
le verre pourroit n’être point parfaitement régulier
, ne féparez pas le verre du plâtre , qu’au-
paravant vous n’ayez tracé fur tous deux une
ligne de retrouve.
La concavité de la glace imprimera néceffaire-
ment au moule une figure convexe : on applique
fur cette convexité une feuille d’étain coupée cir-
culairement, & dans des’dimenfions qui l’excédent:
pour'la fixer invariablement , on en replie les
bords autour du plâtre ; quelques boulettes de
cire les y attachent fuffifamment.
Que cette feuille foit étendue avec foin : la moindre
crifpation produiroit une tache , & gâteroit
l’ouvrage. Prenez donc uniformément fa furface ;
l’étain tendre & du#ile s’emboutira fans con-
tra#er de défe#uofités.
Ce petit arrangement fini , placez de niveau