
Pour corriger ce défaut, nous leur montrons
qu’ils font deux èmillions de v o ix , & que nous
n’en, faifons qu’une. Nous leur faifons mettre deux
doigts de leur main droite, fur notre bouche, &
deux doigts de leur main gauche fur notre gofter ;
enfuite nous prononçons comme eux très-tranquillement.
peura , peurépeuri, & c . , en complut
avec nos doigts une & deux, à me fore que nous
prononçons chacune de ces fyilabes, & nous-les
avertiffons que ce n’eft point comme cela qu’il
faut fairq.
Alors- nous leur difons par figues, qu’il faut
ferrer & unir' ces deux fyilabes que nous avons
féparées, & n’en faire qu’une feule; Leurs doigts
étant donc toujours fur notre bouche & fur notre,
gofier , nous prononçons très-précipitamment pfa^
8c enfuite de même, pré 9 pri ^pro , priti
Nous leur montrons ..à .chaque fois que nous
ne faifons qu’une feule émiflion de voix : ilsatey
Tentent, ils effaient de faire la meme chofe , &
pour l’ordinaire en peu de temps ils y rév$iffent.
Mais, comme je l’ai remarqué ci-deffus-ÿ il faut
bien prendre garde de les rebuter, s’ilsvft’y réuf-
Affent pas en peu de;(temps. To-td hommô.flrop vif
& fujet à l'impatience., ne feediç’ pas presse à ce
miniftêre.
D'après l’opératiorf qde je viens d’expliquer ,
on concevra facilement commedl faudra s’y prendre
pour faire.pronoricer,toutes\ les fyilabes qui
commencent par une confonne „fuiyie d’une r.
Quant à celles qui , comme p la , plé y p li , plo ,
plu, font fuivies d’une / , il faut faire fentir au
fourd 8c muet le retrouffement de fa langue vers
fon palais, qui doit fe faire pour IV immédiatement
avec la prononciation de la confonne p.
Des fyilabes qui finiffent par une n.
Pour les fyilabes qui finirent en n, comme tran ,
pan, fan, nous difons aux fourds & muets que
la voix doit fe jeter dans le nez : alors nous leur
faifons mettre leurs deux doigts indexant le côté
de chacune de nos narines les preffer doucement.
Enfuite nous prononçons trd, pa, f a , êf. nous
leur faifons obferver qu’ils ne léntent aucun mouvement
qui fe faffe dans nos narines.
Après cela nous difons tran, pan, fan, & nous,
leur faifons remarquer le mouvement très-fenfi-
ble qu’ils y éprouvent.
Nous mettons à notre tour nos doigts Aij- leurs
narines , & nous leur faifons prononcer d’abord
trà t pa, fa ; mais nous les avertirons enfuite de
jeter leur voix dans-leurs narines , ;comme ils ont
fenti que nous avions fait nous-mêmes pour dire
tran, pan , fan.
Quelques-uns d’entr’eux nous exercent un
peu long-temps , d’autres le font dès: la première
foiî.
Nous aidons cette opération , en leur faifant s
fentir que lorfqu’ils diient iras, pa >.,ft r L’air qui,
fort de leur bouche , éçhauffe-le^dos de leur main
& qu’il n’en eftpas de même lorfque, leur, bouche
étant fermée-, l’air ne fort que par leurs na-
j rines.
Des mots qui fe terminent en a l , ou en el’, ou
J en - il.
Lorfque les mots natal-y immortel, fubtil, font
au mafculin, & pat confcquent ne fe terminent
point par un è muet, nous montrons aux fourds
8c muets que nous laiffons notre, langue dans la
, pofition de l’alphabet labial , qui convient à la
prononciation de la lettre /. Nous n’abaiffons point
notre langue pour laitier l’air fortir librement ,
8c nous fermons notre bouche avec notre main.
Nous faifons enfuite. la, même chofe avec les
fourds & muets pour toutes les fyilabes de la
même efpèce : il. n’importe par quelles conformes
ellçs f§ terminent ; nous leur, fermons la bouche ,
& nous.,n’en laiffons pas fortir l’air. Alors ces confondes
reçoivent leur fon de la voyelle qui les
précède ,& à laquelle elles, font immédiatement
upips.
>rI^Qus^ avpqs_ encore, à parier d’une efpèce ,de
fyllabe qui (e,.i£rimne" par deux çorifonnes.qui;
donnent chacune : un fori diftinâ, comme fionf
dans confiâtes, & tranf dans tranfporter.
Il n’eft queftion que d’appliquer à ces fortes de
fyilabes les trois opérations que nous venons de
décrire. En montrant aux fourds & muets qu’il
faut jeter la voix dans le nez, on leur fait prononcer
con ,• ainA qu’il a été dit.
En les faifant refferrer & unir deux confonnes ,
on leur fait dire conf, ainA que nous l’avons
expliqué.
Enfin, en leur mettant la main fur la bouche ,
8c les obligeant de refter dans la difpofition des
organes qui conviennent à la lettre s , on les empêche
de dire confeu, delà manière dont nous l’avons
montré.;
Tel efl aujourd’hui, avec les fourds 8c muets ,
le nec plies ultra de mon miniftère pour ce qui
regarde la prononciation & .là' leéhire^
Je leur ai ouvert la bouche 8c délié la langue ;
je les ai mis en état de pouvoir prononcer plus
ou moins diftinâement toutes fortes de fyilabes*
Je puis dire tout Amplement qu’ils lavent lire ,
8c que tout eft çonfommé de ma part.
C ’eft; aux pères & merès, ou aux maîtres &
maîtreffes chez lefquels ils demeurent, à leur faire
acquérir de l’ufage, foit par eux-mêmes, foit en
leur- donnant le.plus Ample maître à lire, qui foit
exaâ à leur faire une leçon tous les jours après
avoir afilfté lui-même à nos premières opérations.
Il s’agit de dérouiller de plus en plus leurs organes
par un exercice continuel.
Il faut aulS les obliger de parler, en ne leur,
donnant tous leurs befoins qu’après qu’ils les ont
demandés.
-Si on ne, fe conduit pas de cette manière, tant
pis pour les fourds & muets, 8c ceux qui s’y inté-
reflent : quant à moi il ne m’eft pas poAibie d’en
faire davantage.
Lorfque je n’avois point a înltruire la quantité
de fourds & muets qui font venus fucceflivement
l’un après l’autre fondre fur moi, l’application que
je faifois par moi-même des règles que je viens
d’expofer, m’a fuffi pour mettre M. Louis-François
Gabriel de Clément de la Pujade en état de
prononcer en public , dans un de nos exercices ,
un dîfcours latin de cinq pages Ce demie ; & dans
l’exercice de l’année fuivante, il a foutenu une
difpute en règle fur la déAnition de la philofophie,
dont il avoit détaillé la preuve, 8c répondu en
toute forme fcholaftique aux objeâions de M.
François-Elifabeth Jean de Didier , l’un de fes
condifciples : ( les argumens étoient communiqués
).
J’ai mis auAi une lourde & muette en état de
réciter de vive-voix à fa maîtreffe les 28 chapitres
de l’évangile félon faint Mathieu , & de dire avec
elle l’office de primes tous les dimanches, 8cc. Ces
deux exemples doivent fuffire.
Mais il ne me feroit pas poAlble aujourd'hui de
faire la même chofe : en voici la raifon.
La leçon qu’on donne à un muet pour le langage,
ne fert qu’à lui feul : il faut néceffairement
ici du perfonnel.
Ayant donc plus de foixante fourds & muets à
inftruire, A je donnois feulement à chacun d’eux
dix minutes pour l’ufage de la prononciation &
de la leâure, cela me prendroit dix heures entières.
Et quel feroit l’homme d’une fanté allez robuf-
te pour foutenir une telle opération ?
Mais, d’ailleurs, comment pourrois-je continuer
leur inftruâion dans l’ordre fpirituel ? Or ,
c’eft le but principal que je me fuis propofé en me
chargeant de cette oeuvre.
Quand on voudra, dans un établillement, conduire
plufieurs fourds & muets jufqu’à une prononciation
& une leélure totalement diftinâes ,
on leur donnera des maîtres qui fe confacreront
par état à ce genre d’éducation, & qui les exerceront
tous les jours.
Il n’eft pas néceflaire de choiftr pour cet emploi
des hommes à talens, il fuffit d’en trouver‘ qui
aient de la bonne volonté 8c du 2èle, & qui pratiquent
ftdèlement ce que fious avons expliqué.
Pour cette oeuvre purement mécanique , des
gens d’efprit font plus à craindre qu’à déftrer ,
parce qu’ils s’en laffèroient bientôt.
En fe rabattant au niveau des maîtres d’écoîe
oro.naires, on en trouvera qui s’y appliqueront
affiduement & perfévéramment, pourvu que cette
occupation forme pour eux un état dont ils foient
certains jufqu’à la An de leur vie , c’eft le feul
moyen d’y réuflir.
S’il fe trouve en province quelque père ou
mere , maître ou maîtreffe , qui ayent un fourd &
muet dans leur maifon , & qui ne foit pas en état de
comprendre tout ce que fai expliqué le plus clairement
qu’il m’a été poffible, fur la manière d'apprendre
aux fourds & muets à lire &. à prononcer ,
voici ce que je leur confeiile.
Dès l’âge de quatre ou cinq ans ils mettront
fouvent devant eux, où même prendront entre
leurs jambes le jeune fourd & muet ; ils lui lèveront
la; tête pour l’engager à les regarder, en lui
ptopofanr quelque récompenfe.
Lorfqu’il regardera , ils prononceront fortement
( il n’eît pas néceffaire de crier pour cela, ) &
tranquillement pa, pé. Ils ne feront-pas long-temps
fans obtenir ces deux fyilabes. Ils diront enfuite
p a 9pé , pi , & ils y joindront par degrés, po
&. pu.
Quand ils auront réufil, ils prendront de même
par degrés , ta , té , ti, to, tu, & enfuite f a , fé ,
ƒ , f o , fu., toujours en prononçant fortement 8c
tranquillement, 8c en faifant marcher les récom-
per.fes à proportion du fuccès.
Mais ils auront foin de ne point paffer d’une
première fyllabe à une fécondé, & de même de
la fécondé à la troiftème, jufqu’à ce que la précédente
ait été bien prononcée. Je vois tous les jours
de très-petits fourds & muets qui n’apprennent
que de cette manière. Ce mot fortement ne ftgni-
fte autre chofe, A ce n’eft qu’il faut appuyer longuement
fur la fyllabe qu’on prononce.
Les pères ou mères, maîtres ou maîtreffes porteront
alors cette méthode, que je fuppofe qu’ils
auront entre leurs mains , puifqu’ils auront fait ce
que je leur confeiile ic i, ils la porteront, dis-je,
à quelqu’un plus habile qu’eux ; & en lui montrant
la fécondé partie de cette inftruâion , qui n’eft pas
longue , ils le prieront de vouloir bien la lire ,
8c de leur montrer comment ils devront continuer
leurs opérations.
Comment on apprend aux fourds & muets à entendre
par les yeux d'apres le feul mouvement des
livres, & fans quon leur faffe aucun figne manuel.
Les fourds 8c muets n’ont appris à prononcer
nos lettres, qu’en conftdérant avec attention
quelles ctoient les différentes pofttions de nos organes
, à mefure que nous .prononcions très-diftinc-
tement chacune d’elles ; ils. ont compris qu’ils
dévoient faire en fécond ce qu’ils nou$ voyoient
faire avant eux.
Nous étions le tableau vivant, à la copie duquel
ils s’efforçoient de travailler ; & lorfqu’ils y réuf-
ftffoient avec notre fecours , ils éprouvoient dans
leurs organes une imp/effion très-fenftble, qu’ils
ne pouvoient confondre avec celle que produifoit
une autre poûtion des mêmes organes.
Par exemple, il leur étoit impoftible de ne pas
voir de leurs yeux, & de ne pas'fentir dans leurs
organes , que le pa, le ta 8c le fa y opéroient des
mouvemens biens différens les uns des autres.
Lors donc qu’ils apercevoient ces différences