
Le haut prix que prefque tous les hommes mettent
aux métaux n’ eft pas fondé fur leur utilité
réelle, mais fur leur rareté , 8c fur une convention
prefque auflî ancienne que le monde ; tic
d’après cette convention ils deviennent réellement
précieux , puifque par eux on obtient, à-peu-près
par-tout, ce qu’on peut defirer.
Un état doit donc tâcher de s’en procurer ,
non pas pour avoir des monnoies, mais pour les
avoir comme métaux , objets d’une recherche générale
; le coin dont on les marque n’eft que la
caution dü poids tic du titre; tic n’augmente pas
fenfiblement leur valeur.
- Comment fe procure-t-on ces métaux ? c’eft en
donnant des denrées ou du travail. Ayez donc
beaucoup de denrées & beaucoup de gens qui
travaillent, & alors on vous en donnera une re-
préfentation en efpèces, avec laquelle vous pourrez
avoir tout-à-la-fois les denrées que vous aurez
cédées, & le travail que vous aurez fait en
un long laps de temps.
En voici un exemple très-fimple , qui fervira
de preuve ; fuppofons qu’un homme ait à faire
un ouvrage qui exige le concours de trois individus.
Il y travailleront inutilement trois jours ,
mais s’il travaille le même temps chez autrui ,
il aura le droit de réunir les trois hommes dont
il aura befoin , & fon titre n’eft autre chofe que
le falaire qu’il a reçu & qu’il tranfmet ; Ton voit
aifément que le prix des métaux eft étranger à
cette négociation, c’eft une valeur en compte ; fi
les trois hommes rendent eux-mêmes le travail
qu’on a, fait pour eux , c’eft un revirement ou un
mandat t fi ce font des étrangers.
L’argent, ni l’o r , ne contiennent donc pas la ri-
cheffe d’un état ; ils en font le figne, comme de
belles couleurs font le diagnoftic de la fanté ; vouloir
attirer le figne indépendamment des circonf-
tances qui doivent feules le déterminer, ce n’eft
autre chofe que de procurer à un moribond une
y vreffe paffagère qui lui fait foulever la paupière ,
ou lui peindre la face avec des couleurs corro-
fives qui achèvent de détruire le peu de vie qui
lui refte.
Faifons trois parts des biens de la France, la
première, qu’elle confomme en nature; la deuxième,
qu’elle échange contre les denrées qui lui manquent
& dont elle veut jouir ; la troifième , qui
elt excédent des deux autres & qu’elle échange
contre des métaux pour les conferver.
11 eft évident que fi la malle des productions
eft confiante, en diminuant la première partie par
l’économie, tic la fécondé par ia modération qui
fait qu'on.fe contente des jouiffances de fon propre
fo l , il eft évident , dis-je, que la troifieme
fera augmentée de tout ce qu’on gagnera fur les
deux autres , tic alors l’argent, figue certain du
travail, de l’abondance, de l’économie & de la
modération, entrera de lui-même. ( i) .
Donc toute opération violente pour faire entier,
dans un état plus de métaux qu’il ne doit
réellement y en avoir, eft abfurde ; ils reflorti-
ront en nature , pour acquitter la dette contrariée ,
& toujours avec dêfavantage pour l’emprunteur ,
à moins qu’on n’en donne la valeur en denrées;
O r , nous avons vû qu’une feule partie de ces
denrées eft fufceptible d’étre échangée contre
des métaux ; fon exiftence ou quotité ne dépend
pas du gouvernement : de quelque façon qu il s y
prenne , l’état perdra donc toujours l’intérêt du
temps qu’il a joui de ces métaux , la façon qu’il
y aura mife, tic les frais de rranfport qui lont
conftitué toùr-à-tour débiteur Sc crediteur, ce
qui repréfente à-peu-près 1 è . change.
Nous n’avons encore confidéré qu’un métal,
ou plutôt nous les avons tous confondus en un ;
venons actuellement au rapport qui doit exifter
entre les deux qui font regardés comme les plus
précieux , l'or tic l’argent.
Ces deux métaux, confidérés comme marchan-
difes , tic rapportés à une mefure-commune, doivent
varier de" rapports comme toutes les autres
denrées ; ainfi, toutes les fois qu’on voudra regarder
un des deux métaux comme ayant une valeur
fixe tic déterminée , il faut absolument que
l’autre foit variable : ainfi nous commençons par
pofer que toute fixation relative fur ces deux métaux
, eft aufli impoflible à maintenir , que celle
qu’on ètabliroit fur deux autres denrées quelconques
, par exemple, fi l’on vouloit que dix moutons
valuffent toujours un boeuf. £
Il eft vrai que la variation eft moins fenfible fur
les métaux , tic cela par une raifon toute fimple ;
c’eft qu’étant indeftru&ibles de leur nature, étant
apportés annuellement en Europe en quantités
proportionelles, à peu de chofe près, ils ne font
pas fujets aux révolutions des autres denrées, tic
d’ailleurs il y a peu de concurrence; expliquons-
nous. •
Dans chaque état, nous pouvons réduire à deux
le nombre des concurrens, pour l’or tic l’argent ;
Je gouvernement qui fixe fon prix , tir tous les
ouvriers en métaux qu’on peut confidérer comme
une feule tir unique perionne, puifque le prix
de tous ces individus , eft-à-peu-près le même ;
de forte, que dans dix Royaumes, nous ne pou-
(r) On peut tirei delà, la vraie définition du luxe ; cas
fi un homme trouve le moyen de confommer a lui feul autant
que dix, s’il fait ou fait faire un travail oifeux, c’eft
comme s’il anéànriflbit le figne de valeur, Ou comnv s’il
payoit des gens pour ne rien faire, dans ce fèns le luxe eft
la ruine des Empires.
vons trouver que 2.0 acheteurs, dont 10 le font
fans befoin urgent, tic toujours à prix fixe.
• Il s’enfuit de là deux confidérations également
importantes.
• Le gouvernement recevant toujours des métaux
aux hôtels des monnoies, tic n’en ayant jamais
befoin, il peut donc, jufqu’à un certain point,
faire la loi au vendeur, & ne jamais la recevoir.
Les ouvriers paieront toujours les métaux
plus chers que le gouvernement, parce qu’ils en
ont befoin , tic celui-ci n’aura, par la même raifon
, que ce que les ouvriers né pourront pas employer.
Mais ce partage entre les acheteurs, fuppofe
l’exflftence de l’objet à marchander, tic nous avons
vu ci-deflus comment on fe procuroit les métaux
en général.
Ils entrent pour folder les comptes refpeftifs
des nations, comme nous l’avons fait voir. La
valeur refpeâive que l’on doit donc mettre entre
eux,, dépend des relations qu’on a avec les
différents états avec lefquels on eft en commerce.
Et cela feul doit rendre très - circonfpeét
fur tous les changemens qu’on pourroit faire fous
ce rapport.
Prenons un exemple un peu exagéré, tic fuppofons
que le Roi déclare tour-à-tour qu’il donnera
20 marcs d’argent pour un marc d’or , tic
en une autre occafion , feulement 10 marcs d’argent
pour un marc d’or.
i°. Cette évaluation ne change rien au commerce
général des autres denrées, ainfi en fup-
pofant qu’il y ait actuellement dans l’état cinq
marcs en or 8c 100 en argent, il eft bien évident
que les étrangers porteront encore 5 marcs en or
tic enlèveront les 100 marcs d'argent, il y aura
alors 10 marcs d’o r , tic point du tout d’argent.
2°. Dans le cas où le gouvernement donnera
feulement dix marcs d’argent pour un d’o r , alors
on lui achètera les cinq marcs d’or pour 50 marcs
d’argent, tic l’or aura difparu.
Quelque moyen qu’on prenne donc fur la valeur
refpeâive des métaux , il eft évident que l’on
ne peut favorifer l’un qu’aux dépens de l’autre,
tic que confidérés collectivement , ils n’entrent ni
plus ni moins abondamment, quelque parti que
puiffe prendre le gouvernement.
L’Auteur des obfervatiqns a prouvé, par le fait,
que les ouvriers ont payé les métaux, toujours
plus chers que le gouvernement ; nous avons
prouvé que la chofe étoit néceffaire tic ne pou-
voit être autrement ; nous pouvons donc conclure
avec lui que la taxe de la mon noie, établit
toujours le prix de l’or tic de l’argent.
Confidérés comme matière première, on doit
toujours tacher de fe procurer ces métaux au
meilleur marché poflâble, donc le gouvernement
doit tendre à en abaiffer le prix ; mais ce n’eft
à coup fur qu’en en augmentant la quantité, tic
favorifant par conféquem toutes les branches extérieures
du commerce, qu’il remplira fon objet,,
tic non par des taxations arbitraires tic non fon.,
dées.
Mais, fous ce point de vue , la faveur que l’on
donnera à un métal fur l’autre nous paroît abfo-
Jument indifférente , pourvu qu’elle ne pafle pas
certaines bornes très-étroites , circonfcrites par
des circonftances extérieures, dans l’efpèce générale
; nous ne.ferions donc pas tout a fait de
l’avis de l’auteur des obferratiens, mais en revanche
nous approuvons l’application qu’il en
fait au cas particulier & nous reconnoiffons avec
lui :
i \ Que fi les différents états avec lefquels la
France avoit des relations, n’avoient pas touché
depuis long-temps aux rapports des métaux, il
étoit abfolument inutile de changer celui qui exif»
toit chez nous.
N’étoit-il pas évident que, puifque nous avons tout à la fois de l’or tic de l’argent , leur rapport étoit
néceffairement tel qu’il falloit qu’il fût pour que ces
deux métaux entraflent en France dans un rapport
quelconque, 8c fi l’on a cru s’appercevoir
que l’or prenoit un peu plus çle faveur , il falloit
l’attribuer à une caufe particulière tic paffagère ,
puifqu’il étoit abfolument impoflible de l’attribuer
aux caufes extérieures qui n’avoient pas changé.
2®. Que cette caufe paffagère, n’étoit autre
que la faufle fpéculation du gouvernement, qui
nous a rendu le change défavantageux , par une
introdu&ion forcée des métaux qui ne nous étoient
pas dûs., tic qui nous a conftitués débiteurs des
autres nations, au lieu d’être créanciers, comme
nous devons l’être habituellement.
Il fe préfente à ce fujet une queftion importante
à traiter.
Suppofons que l’on reconnoiffe que l’opération
de là refonte des louis a été un peu précipitée ,
tic même qu’elle eft défavantageufe, convient-il
aujourd’hui de l’anéantir tic de remettre les cho-
fes fur l’ancien pied ?
Nous croyons devoir foutenir la négative: les
métaux doivent toujours entrer en France à peu-
prés pour une même valeur ; il entroir ci-devant
une certaine quantité de marc d’or tic d’argent,
il rentrera un peu moins d’argent aujourd’hui tic
plus d’or: ce qui n’éft pas très-important, au lieu que
tout changement quelconque dans les monnoies ,
eft une crife violente qui devient un mal réel
par les effets qui l’accompagnent. On peut donc
, laiffer les chofes comme elles font, puifqu’on n’a
pas voulu les laiffçr comme elles étoient.
Mais y a-t-il un moyen de diminuer dans l’état
a&uel, l’inconvénient qui réfuhe pour les fabri-
H h h h h ij