
D ’ailleurs, nous ferons un choix ; nous rie confierons
à notre preffe que les oeuvres dont la réputation
fera méritée : en amplifiant d’un eôté par
la dimenfion de nos cataâères, nous abrégerons
de l’autre par le difcernement ; & peut-être un
jour la bibliothèque de l’aveugle fera celle de
l’homme de goût.
» 30. Mais avouez donc que vos aveugles li-
r> fent lentement, & que le difcours le plus ani-
» mè femble venir expirer fur leurs lèvres , fans
» vie &• fans mouvement. » .
Nos élèves, il eft v ra ilifq n t avec lenteur^. O utre
le trop peu' d’ufage que la nouveauté de notre
inftitution leur a permis d’acquêt:!? dans la le élu-
r e , ils ont encore le défavantage de ne voir en
lifant ( fi nous pouvons nous exprimer ainfi )
qu’une feule lettre à la fois, comme ferdit notre
leileur lui-même, en ne lifant qu’à travers une
ouverture de la grandeur d’un des caraélères de
cet ouvrage. Mais nous efpérons qu’après un fréquent
ufage de la leéture, & en fe fervant des
abréviations dont nous avons parlé ci-dèffus , nos
aveugles liront avec plus de célérité. D si-leurs
nous n’avons jamais eu l’ambition d’en faire des
leileurs pour placer auprès des Princes, ou dans
les chaires d’éloquence. Qu’ils prennent feulement,
parle moyen de la lecture, les élémèns des
fciences , qu'ils y trouvent un remède contre l’ennui
, nos voeux feront comblés.
» 4°. Mais à quoi bon enfeigner les lettres aux
» aveugles ? pourquoi imprimer des livres à leur
» ufage ? ils ne liront jamais les nôtres. Et de la
» connoiffance qu’ils auront des principes de la
« leéture, réfultera-t-il quelques avantages pour
- » la fociété > ? »
A notre tour, permettez-nous de vous.interroger.
Que fert il que l’on imprime des-livres chez
tous les peuples qui vous environnent ? Lifez-vous
le Chinois , le Malabar , le Turc, les Quipos du
Péruvien, & tant d’autres langages fi néceffaires
à ceux qui les" entendent ? Eh bien ! vous ne
feriez qu’un aveugle à la Chine, fur les rives du
Gange, dans l’empire Ottoman , au Pérou.
Quant à l’ utilité dont il peut être pour la fociété
qu’un aveugle fâche lire , nous en appelons avec
plaifir à l’expérience que nous avons vu fe réitérer
plufieurs fois fous nos y eu x , & dont le public
lui-^ême a été témoin dans nos exercices ;
c’eft celle d’un enfant aveugle enfeignant à lire à
un enfant clairvoyant ; pendant les leçons le maître
aveugle avoit un livre en relief blanc fous les
doigts, tandis que l’élève clairvoyant avoit devant
les yeux la même édition en noir. Nous en appelons
à l’exemple de l’aveugle du Fuyfeaux, qui
donnoit des leçons de leéhire à fon fils clairvoyant
à l’aide de; caractères en r'elief & mobiles
fur une planche.
Nous en appelons à vous enfin , tendres & ref-
pectables époux ! nés dans le fein d’une fortune
honnête j vous dont le fils vient de naître &
cependant ne verra jamais le jour, quelle doue«
fatisfa&ion pour nous de pouvoir modérer les tranf-
ports de votre douleur ! Oui, notre plan d’in Ai tu.
tion v a , d’un côté ren d re à ce fils, déjà tendrement
aimé , la moitié de fon exiftence ; de l’autre
, vous fournir les moyens de fatisfaire le défir
que votre goût pour les fciences & les talens vous
infpire, de lui procurer une éducation digne d’un
enfant bien-né.
Et vous, favans, qui nous éclairez de vos lumières
! fi les fuites d’un travail opiniâtre éteignent
un jour cette vue que vous avez fatiguée
pour notre inftru&ion, permettez-nous alors de
vous offrir une reffource faite pour prolonger tout
à la fois, à nous , lé bienfait de vos leçons, à
vous , la jouiffance d’un avantage dont elles font
en partie le fruit agréable. Homère, Bélizaire
Milton, affligés de la cécité, euffent été charmés
de confacrer encore au fervice de la patrie, les
années de leur vie qui fuivirent la perte de leur
vue.
De l'imprimerie des aveugles, à leur propre ufage.
L’analogie qu’a la manière de lire des aveugles
aVec leur imoreflion, nous a forcés de donner par
anticipation, quelques détails relatifs à la naiffance
de leur imprimerie : il nous refie à développer les
principales parties de cet Art, foumifes à leur
ufage.
Il en fera chez les aveugles, à l’égard de l’exercice
de l’imprimerie , comme chez les clairvoyans.
Chaque individu ne pourra , fans doute , en avoir
une poffefiion privée. La Jiéceflité des connoiffan-
ces relatives à cet art, la multiplicité & la cherté
de fes ufienfiles , la fan&'.on requife pour en faire
profefüon ; tout reftreindra l’ufage de la preffe à
une fociété d’aveugles uniquement defiinés à
l’exercer.
C ’eft de notre maifon d’infiitution que nous efpé.
rons faire le chef-lieu ( fi nous pouvons parler ainfi)
d’où se tireront les produirions typographiques à
l’ufage , par exemple , de tous les aveugles, qui,
dans leur infortune, nuront'la douce confolation
d’être'nés fous l’empire de notre monarque. Et en
attendant qu’on ait formé chez lés autres nations
des établiffemens femblables, nous nous ferons
un plaifir, dit M. Haüy, de faire imprimer en
relief, & en langues étrangères, par nos aveugles,
les livres defiinés à 1’ ffage des étrangers privés de
la vue.
Venons à la manière dont nos élèves-aveugles
exécutent leurs travaux typographiques.
Nous avons donné à leur cafte l’ordre alphabé-
rique, tout en leur confervant fous la main les
caraélères d’un fréquent ufage. Nous avons préféré
cette diftribution , dans la crainte que les aveugle*
ne fuirent moins adroits que nous ne les avons
trouvés; . W m ' .
T’eft d’ après le même principe que nous les
, .^ n, cotopofer dans un chaffis doublé d'un
fofd de cuivre, percé de plufieurs rangs de petits
1 " par lefquels ils font fortir, a laide dune
pointé , les caraftères qui font à changer.
C’eft encore d’après ie même principe que nous
avons fait ajufter, dans l’intérieur de ce chafl.s ,
deux réglettes enfer, ( mobiles au moyen de leurs
vis ) l’une fur le côté, l’autre au bas de la page ,
& fervant à la juftifier.
C’eft enfin d’après le même principe, que nous
élevons le chaffis horizontalement en longueur fur
auatre pieds, dont lés deux qui portent le commencement
de la page., font plus bas de moitié
nue les deux fur lefquels la fin eft appuyée ; afin
aue, fans fe fervir de compofteur, l’aveugle place
les mots à mefure , & qu’ils ne fe renverfent pas
lorfqu’il compofe le refte de la page.
Le fens dans lequel fe prèfentent les c a r a b e s
typographiques des aveugles, indique naturellement
que l’arrangement doit s en faire de gauche
à droite, comme nous l’avons ob.erve.
Pour faciliter laleSure aux aveugles , du moins
dans les premiers rems de leur éducation , il eft
‘ . r - - __ ____X r m if > ) .
Il eft aifé devoir qu’on ne peut faire de retiration,
lorfqu'on imprime en relief, fans s expofer
à détruire le foulage, d’après lequel feul les aveugles
peuvent lire.
Auffi , pour conferver aux pages le même ordre
qu’elles ont dans les livres des clairvoyans, 1 a-
veugle eft-il obligé de coller dos à dos , par les
extrémités , les quatre pages d’une feuille en sortant
de la preffe, & alors l’impofition des chat-
fis fe fait dans un ordre différent de celui des
clairvoyans-.
Les feuilles étant ainfi collées , on en forme des
livres, en les brochant Amplement &les couvrant
en carton , fans les battre.
Le tirage de ce genre d’imprefïion fe fai; aifé-
ment, au moyen d’une preffe à cylindre qu un
levier fait mouvoir d’une extrémité à 1 autre ,
le long de deux bandes de fe r , entre lefquelles
font placées les formes à la maniéré des imprimeurs.
M. Hauy ajoute dans une noté, que cette preffe
eft de l’invention du fieur Beaucher, maître fer-
rurier machinifte. Elle a rempli, dit-il, nos vues
avec fuccès, quant à la facilité d’être fervie fans
efforts par un enfant aveugle, & de recevoir le
mécanifmç que nous avions à y adapter. Nous
croyons cependant qu’une prefiîon perpendiculaire
donnée au même infiant à toute la feuille, laifie-
roit à fon foulage plus de folidité : nous efpérons
trouver cette perfe&ion dans une preffe d un autre
genre à laquelle le fieur Beaucher travaille.
Nous emploierons avec fuccès les mêmes procédés
pour tirer en relief, à l’ufage des aveugles , la
mufiquë, les cartes de'géographie, les principaux
traits de deflins , & généralement toutes les figures
dont la connoiflance peut être prife par le
moyen du taéh -
a la preffe dont nous avons parlé ci-deffus ,
nous avons imaginé d’ajouter un tympan, à l’aide
duquel les aveugles tirent en noir, a leur gre ,
des exemplaires d’une édition absolument conforme
à ceux qu’ils font en blanc à leur ufage.
Ce procédé, qui s’applique également à la mufi-
que, aux cartes de géographie, aux deflins, &c.
met l’aveugle à portée , non-feulement de fe rendre
compte à lui-même de toutes les produftions
qu’il délire tranfmettte aux clairvoyans , mais
encore de diriger facilement leurs études par la
fimilitude des exemplaires, dans la fuppofition ou
l’on daigneroit le charger de leur donner des
leçons.
De tImprimerie des aveugles -, à Vufage des daï*-
voyans.
Si nous avons été allez heureux pour imaginer
les moyens de rendre l’imprimerie: u t l | aux aveugles
poir leur propre ufage ; fi c eft a "fus qu ils
doivent l’avantage de poffédér déformais des bibliothèques
, & de prendre dans des livres fans expies
pour eux les notions des lettres, des langues, de
l’hiftoire, de la géographie, des mathématiques ,
de la mufiaùe, & c . , nous ne fommes pas les pretypographiques.
Nous avons vu entre les mains de Mademoi-
felle Paradis, une lettre imprimée par elle en carac-
tpre de cicéro, & en langue allemande, pleine
des fentimens les plus délicats & les mieux peints.
Y Cette production étoit faite à l’aide dune pente
preffe que lui a formée M. de Kempellen, auteur
de l’automate joueurs d echecs. )
Cet effai nous a fait naître l’idée d’appliquer
les avueles à nmnrimerie pour le lervice des
Clairvoyans ; elle nous a réuffi pour tous les gem
res d’ouvrages greffiers & courans, comme on peut
en juger par les différera modèles qu ils ont exe-
cutés. x
D’après nos procédés, les aveugles formés a
notre inftitution, compofent une planche d imprimerie
du genre de ces modèles, avec damant
plus de facilité qu’étant prefque toujours de la
même teneur , 11 foffit de leur en ecnre la matière
avec une plume de fer dont le bec n eft pas fen-
d u , ou avec le manche d’un canif, ainfi que nous
• l’avons indique plus haut.
S s a