
Il s’en trouve pour lefquels il faut y revenir
trois ou quatre jours de fuite ; mais je prie qu’on
fe -fouvienne fur-tout qu’il faut prendre garde de
les rebuter.
Quand on voit qu’ils s’impatientent ou qu’ils fe
découragent fur une lettre, il faut paffer à une
autre : peut-être qu’une heure après ils diront tout
d un coud celle qu’on a été obligé d’abandonner :
alors il faudra la leur faire répéter plufieurs fois
de fuite.
Il arrive auffi quelquefois qu’en voulant leur
faire prononcer une fyllabe qu’on leur montre hic
& nunc, ils en prono.nçent d’eux-mêmes une autre
qu’on ne leur a point encore apprife.
J’en ai trouvé, par exemple, qui, pendant que je
voulois leur faire dire pour la première fois cha ,
ont prononcé d’eux- mêmes qua : il faut alors écrire
qua, que, qui, quo, eu, & le leur faire répéter
plufieurs fois : c’eft autant de peine épargnée pour
le maître.
Les petits fourds & muets éprouvent allez longtemps
de la difficulté à. prononcer le ca, s’ils ne
mettent pas le doigt dans leur bouche, pour dif-
pofer leur langue comme elle l’eft dans la prononciation
de la lettre é : cette première opéra-
tion les conduit facilement à l’attacher à leur palais
, autant qu’il eft néceflaire pour la prononciation
de la fyîlable ca.
Lorfque les fourds & muets font parvenus à
prononcer le ca, toutes les autres fyllabes, que
nous avons rangées ci-deffiis fous trois lignes ,
ne fouffrent plus aucune difficulté.
Ga, gué, gui, go , gu, font des adouci ffemens
de qua, qué, qui, &c. mais nous avons foin d’avertir
que lorfque le g fe trouva feul avec un c ou
un i , il fe prononce comme jé & ji.
Nous faifons auffi obferver que dans ces mots ,
gabion, galère , la prononciation du g eft dure, &
qu’alors la langue eft prefque .auffi profondément
retirée vers le gofter, qu’en prononçant le qua ,
& que l’impulfion de l’air eft prefque auffi forte.
2°. Que dans la prononciation de guerre ou guidon,
il y a plus de douceur. La langue eft moins
retirée, St l’impulfion de l’air eft moins forte.
3°. Enfin, que dans cette fyllabegneur, la langue
n’eft prefque plus retirée, & i’impulfion de
l’air eft plus foible.
Cette troifième prononciation du g avec une n
doit fortir par le nez ; auffi la langue doit-elle fe
porter derrière les dents incifives iupérieures ,
comme nous le dirons en parlant de la lettre n.
Nous n’enfeignons point particulièrement la
lettre x , nous montrons feulement qu’elle fe prononce
quelquefois comme qs, St d’autres fois g-.
Nous dirons ci-après de quelle manière nous apprenons
aux fourds & muets à joindre enfemble ces
deux confonnes.
II ne nous refte plus que les quatre confonnes
appelées liquides / ,m ,n , r , parce que nous n’avons
pas voulu féparer toutes celles q u i, étant
dures par elles-mêmes, en ont fous elles d’autrej
plus douces.
J’écris donc la , le , li , l o , lu , Sa je prônonc«
la. Je fais obferver, i°. que ma langue fe replk
fur elle -mçme, & que fa pointe en s’élevant frappe
mon palais. -
2°* Qu’elle s’élargit d’une manière fenfiblepour
prononcer la lettre l de cette fyllabe, mais qu’elle
fe rétrécit auffi-tôtpour en prononcer la lettre 4.
Les fourds & muets faififfent affez facilement cette
prononciation , dans laquelle il fe pafte quelque
chofe à-peu-près femblable à ce qui ferait dans
la langue du chat lorfqu’il boit.
En écrivant ma, me, mi, mo, mu, & prononçant/^
, je fais obferver que la fituation de mes
lèvres femble être la même que pour la prononciation
du p & du b ; mais, i°. QueJa preffion des
lèvres l’une contre l’autre n’eft pas auffi forte que
celle du p , & qu’elle eft même plus foible que
celle du b. 20. Qu’en prononçant cette lettre, mes
lèvres ne font aucun mouvement fenfible en avant.
3°. Que la prononciation de cette lettre doit for-
tir par le nez.
Je prends donc le dos de la main du fourd &
muet, & je le mets fur ma bouche : je lui fais fen*
tir combien eft foible la preffion de mes livres,
qui ne font en quelque forte, que s’approcher l’une
de l’autre, & qui ne font aucun mouvement pour
faire fortir la parole ; enfuite je mets fes deux
index fur les deux côtés de mes narines, & je lui
fais fentir le mouvement qui s’y pafte, en faifant
fortir par le nez la prononciation de cette lettre.
Il fe trouve des fourds & muets qui ont de la
peine à fâiflr ce fécond adouciffement du p 8i
l’émiffion de l’air par les narines ; mais avec un
peu de patience on les y amène par le moyen que
je viens d’expliquer, en leur faifant faire fur eux-
mêmes ce qu’ils ont éprouvé fur moi lorfque je
prononçois cette lettre.
Quelques favans en ce genre ont dit que la lettre
wz était un p qui fortoit par le nez, & la lettre
n un t qui fortoit pas la même voie : au moins
eft-il certain que la lettre n peut fo prononcer
très-diftinâement, en obfervant la. même pofition
que pour le t.
Il eft cependant plus commode de porter 1«
bout de la langue derrière les dents incifives fupé-
rieures , en les preftfant fortement, & cette pofr-
tion fficilite bien davantage la fortie de la refpi-
ration par le nez ; c’eft ce que je fais obferver au
fourd & muet, en prononçant moi-même na pendant
qu’il r. fes.deux doigts fur mes deux narines,
& en lui faifant enfuite prononcer na , né, ni,
no nu.
M. Amman regarde la lettre r comme la plus
difficile' de toutes, & ne fait point difficulté de
dire : fola littera , poteflati me ce non fubjacet.
Voici de quelle manière je m’y fuis toujours
pris , lorfque je ne pourvois la faire prononcer à
quelques fourds & muets : jemettois de l’eau dans
„ a bouche, & je faifois tous les mouvemens
qui font néceffaires pour fo gargarifor : enfuite je
flifois faire la- même chofe aux fourds & muets, oc.
pour l’ordinaire ils difoient fur-le-champ ra , re ,
ri, ro, ru. ~ , ,
Je confeillerois donc volontiers, qu en cas de
befoin , on fit la même chofe ; mais comme il s’en
trouve quelques-uns qui pleurent lorfqu’on veut
leur faire faire cette opération , pour ceux-la, il
faut leur faire fentir iur foi-même ou fur quel-
qu’autre perfonne le mouvenunt qui fe fait dans
le gofier en prononçant cette lettre.
Si cela ne réuffit pas, il ne faut qu’un peu de
patience, parce que ceux-mêmes qui ne peuvent
la prononcer, difent ordinairement très-bien la
fyllabe pra, lorfqu’on en eft à cet endroit de l’iju-
tru&ion, ce qui les conduit à la fyllabe , qu ils
ne pouvoient prononcer ; car alors il eft très-facile
de leur faire fentir fur eux-mêmes la différence de
ce qui fe paffe fur leurs lèvres pour la prononciation
du p , d’avec ce qui fe paffe dans leur gofier
pour la prononciation de la lettre r. ^
Nous n’expliquons point en- détail, a nos fourds
& muets les petites différences quife trouvent dans
les pofitions de la langue , en prononçant nos
quatre différens e : nous leur faifons remarquer
feulement l’ouverture plus ou moins grande de
la bouche, & cela leur fuffit à l’inftant meme ;
cependant la moue que l’on fait en prononçant
l’e muet ou la diphtongue eu, mérite une attention
particulière.
11 n’eft pas toujours bien facile de leur faire
faifir la différence de cette moue , d’avec celle
que nous faifons en prononçant ou ; cependant la
leconde refferre le gofier & la bouche : la première
dilâte l’un & l’autre ; en prononçant eu, la lèvre
inférieure eft tant foit peu plus pendante : nous
faifons obferver aux fourds & muets, qu’en fouf-
flant dans nos mains pendant l’hiver pour nous
échauffer, nous difons naturellement eu.
Observations néceffaires pour la leélure & la prononciation
des fourds & muet.s.
Nous avons fu prononcer les différentes mots
de notre langue avant que d’apprendre à lire. La
première de ces deux études s’eft faite de notre
part fans nous en apercevoir, & toutes les per-
fonnes avec qui nous vivions, étoient nos maîtres
fans s’en douter.
1er toutes ces lettres, aurolent-ils dû nous dire
de les oublier- pour prononcer fé.*mb
Comment on apprend aux fourds & muets a prononcer
de même des fyllabes qui s écrivent différemment.
Il n’en eft pas des fourds & muets comme des
antres enfans : de la prononciation à la le&ure il
n’y a pour eux qu’un feul pas ; difons mieux , us
apprennent l’une & l’autre en même-temps. Nous
avons foin de leur bien inculquer ce principe, que
nous ne parlons pas comme nous écrivons.
C’eft un défaut- de nôtre langue ; mais nous
ne fomraes pas maîtres de le corriger : nous écrivons
pour les y eu x , & nous parlons pour les
oreilles. : ■ ^
Nous mettons donc l’une fur 1 autre ditt-e-
, rentes fyllabes dans le même ordre qu on les
voit ici :
tê lê mê
tes les ' mes
tais lais mais
fois lois mois
toient loient moient
& nous difons à nos fourds & muets, qu elles fe
prononcent toutes de même en cette manière,-^,
te, té, te, te, ... le, le , le, le, l é , ... me, me, me, -
mê, mê ; enfuite nous leur faifons prononcer de
cette manière chacune de ces fyllabes : ils l’entendent,
c’eft-à-dire, qu’ils le comprennent,-& nous
voyons qu’ils ne s’y trompent jamais.
Nous obfervons la même méthode pour toutes
les fyllabes qui fe prononcent les unes comme
les autres, & qui s’écrivent différemment ; & cela
entre fi bien dans leur efprit, que fous notre dictée,
lorfqu’elle fe fait par le mouvement des levres,
fans être accompagné'e d’aucun figne, comme nous
le dirons ci-après, ils écrivent tout autrement
qu’ils ne nous voient prononcer.
Par exemple, nous prononçons leu mouà deu me ,
& ils écrivent le mois de mai j nous prononçons
Vo deu fontene, & ils écrivent Veau de fontaine ; je
prononce/«' deu la peine , & ils écrivent j ai de la
peine, &c. &c.
Des fyllabes compofées de deux confonnes & dune
■ voyelle.
Les fourds & muets n’ayant eu dans leurs premières
leçons que des fyllabes dont la prononciation
étoit abfolument indivifible, lorfque nous
leur en écrivons qui commencent par deux confonnes
, & q-ui exigent par conféquent deux diffé-
i rentes difpofitions de l’organe avant la prononciation
de la voyelle qu’elles précèdent, cette opération
fouffre de la difficulté.
Ainfi nous écrivons pra, pré, pri, pro, pru ;
mais les fourds & muets ne manquent point de
dire peur a , peuré , peurï, peuro , péuru.
Q q *