
paffer la morue du pont dans l'entre-pont, où
le trancheur l’ouvre, lui tire l’arrête, 8c par une
autre écoutille il la renvoie dans la cale, où on la
met en pile, comme nous l’avons déjà dit : on
met allez de fel entre les peaux de morue pour
qu’elles ne fe touchent pas ; on a foin aufti de
ne pas en mettre trop, parce que la morue fe-
roit avariée, s’il y avoit trop ou trop peu de fel.
• Comme le poids de la morue Jeche n’eft pas
relatif a fon volume ", on fe fert plus Couvent
d’un vaiffeau d’un plus grand fond que d’autres ;
& comme, elle ne fèche qu’au foleil, les navires
partent pour le plus tard à la fin d’avril, pour
profiter des chaleurs de l’été.
Cutre - la côte de Plaifance, où fe fait la plus
grande pêche de la morue deftinée à être féchée,
on en prend encore fur celle du petit-nord; mais
celle-ci ne fe conferve pas aufti long-temps que
celle dé Plaifance 8c du Cap-Breton, parce qu’elle
eft trop chargée de fel, que l’humidité la fait reverdir
, & la corrompt aifément.
Lorfque plufieurs navires font route enfemble
pour le même endroit & la même pêche, celui
qui arrive le premier à terre, a le rang d’amiral ;
il dreffe & tait mettre à l’échafaud l’affiche où
chaque maître de vaiffeau eft obligé de faire écrire
fon nom & le jour de fon arrivée, choifit le galet
ou gravier qu’il veut, 8c a par préférence tous
les bois de charpente qui fe trouvent propres à
conftruire des échafauds fur le bord de la mer,
pour y recevoir le poiffon qu’on y apporte, l’y
décoller, & le faire paffer au trancheur qui l’ouvre
met dans le fe l, où il le laiffe pendant
huit à dix jours fur une table, qu’on nomme vi-
giiot, 8c qui eft élevée de terre de trois pieds.
Après que la morue-a demeuré fur cette table
pendant le temps preferit, on la fort du fe l, on
la lave, on la met enfuite fécher pendant quatre
ou cinq jours, après quoi on letend fur le gravier
pour lui donner de la couleur : on la laiffe
en cet état pendant un jou r, vers le foir on la
met en javelle lorfque le temps le permet.
Le lendemain on l’étend de nouveau, & le foir
on la ramaffeen petites piles, la queue en haut;
on la laiffe ainfi pendant quelques jours , après
quoi on l’étend, on la remet en petites piles, dont
on fait enfuite une groffe p ile, où on la laiffe
lejourner pendant huit à dix jours; on letend
de rechef, on la remet fur le gravier pour y
finir de fécher & de prendre couleur, ce qu’on
connoît au coup-d’oe il, quand on en a acquis
une certaine expérience.
La pêche finie, on échoue les chaloupes, on
les enfouit dans le fable, afin que les Jauvages
ne les brûlent pas, & qu’on puiffe les retrouver
l’année fui vante.
Pour préferver la morue de l’humidité qu’elle
contra&eroit dans le vaiffeau, on y fait des greniers
avec des bois de fapin de deux pieds de
hauteur, fur lefquels, ainfi que fur les côtés du
vaiffeau, on met une couche, épaiffe de brouf.
failles fêches.
La morue qu’on prépare au printemps & avant
les grandes chaleurs, eft plus belle, dune meilleure
qualité, 8c a la peau plus brune lorfqu’elle
eft falée comme il faur.
Trop de fel la rend plus blanche, plus fujette
à .fe rompre & à paroître humide, dans le mauvais
temps; trop peu de fel la fait corrompre.
La bonne qualité de ce poiffon dépend tou-
jours de favoir le préparer à propos 8c dans une
faifon favorable.
^La morue des Anglois eft très-inférieure à la
notre , parce qu’ils la façonnent avec moins de
foin, ou que leur fel , qui eft plus corrofif que
celui de France, lui donne nne certaine âcreté.
Comme leur pêche eft plus abondante & moins
coûteufe, ils donnent leur morue à beaucoup
meilleur marché que nous , & s’en procurent le
débit en Efpagrte, en Italie & ailleurs.
Nous avons déjà dit qu’on mettoit les foies
de morue corrompre dans des cuves.pour en tirer
1 huile ; à mefure qu’elle fumage on la fort
pour l’entonner dans.des barils.
Un navire qui a péché fix mille quintaux de
morue , a ordinairement quatre-vingts banques
de cette huile, & chaque pièce pèfe quatre ou
cinq cents livres : on en envoie beaucoup à
Gènes ; il s’en confomme aufti une grande quantité
dans nos tanneries , lorfque les huiles de
noix & de lin viennent à manquer.
On tire quatre fortes de marchandifes de la morue,
les noues ou tripes, les langues, les rognes,
qui font les oeufs ? dont on fe fert pour la pêche
de la fardine, & l'huile qu’on extrait des foies.
La pêche de la morue eft quelquefois troublée
par les Sauvages, qui tuent les matelots quand
ils s’écartent de leurs vaiffeaux. On oppofe ordinairement
à cette petite guerre des Sauvages,
des chaloupes armées en courfe, qui, pendant
le temps de la peche, rôdent continuellement le
long de la côte où elle fe fait. Comme ce petit
armement eft pour le bien de la caufe commune,
chaque vaiffeau eft obligé d’y contribuer.
Par l’arret du Confeil d’Etat, du 20 décembre
*6^7 i les droits d’entrée de la morue verte font
réglés à huit livres par cent , & ceux de la morue
fèche à quarante fols par cent.
Celles qui proviennent de nos -pêches ont été
affranchies de tous droits par l’arrêt du Confeil
d’Etat du 2 avril 1754.
D i Et. des A. & M.
Delà Merluche.
La Merluche eft une morue deflechêe. Elle
s’appelle morue fèche ou parée, ou merlu, 0»
merluche.
Quand la pêche, qui fe fait de la même manière
que celle de la morue verte, eft achevée,
I on laiffe le poiffon au foleil : ainfi il faut profiter
de l’été, 8c partir dans le mois de mars ou
d’avril.
La morue fèche eft plus petite que la verte ;
pour préparer la première, on établit à tei re une
tente avec des troncs de fapin de 1 2, 15 à 20
pieds de longueur, 8c dans cette tente un
échafaud de 40 à 60 pieds de long, fur 1Ç à 20
de/ large.
A mefure que l’on pêche, on fale fur des établis
volans ; mais la grande falaifon fe fait fur
l'échafaud.
Lorfque la morue a pris fe l, on la la v e , on la
fait égoutter fur de petits établis ; lorfqu’elle eft
égouttée on l’arrange fur des claies particulières
à une feule épaiffeur, queue contre tête, & la
peau en haut : on la retourne quatre fois par jour :
étant retournée & à-peu-près féchée , on la met
en moutons ou dix à douze l’une fur l’autre, pour
qu’elles conl’ervent leur chaleur.
De jour en jour on augmente le ; mouton
jufqu’à vingt ou vingt-cinq morues s cela fait, on
porte la morue fur la grève, où de deux moutons
on n’en forme qu’un, qu’on retourne chaque
jour. On la refàle en commençant par la plus
vieille falée : on en fait des piles hautes comme
des tours de moulin à vent, & on la laiffe ainfi
jufqu’à ce qu’on l'embarque.
On arrange - les morues dans le . vaiffeau fur
des branches d’arbres que l’on met à fond fur le
left, avec des nattes autour.
Du Congre.
Le C o n g r e eft un poiffon de mer fort alongé;
il a ordinairement quatre ou cinq coudées de
longueur, & il eft fouvent de la groffeur de la
cuiïTe d’un homme. Sa peau eft liffe 8c gliffante
comme celle de l’anguille, à laquelle il reftêmble
beaucoup. L ’extrémité du bec eft charnue : on
voit au-deffus deux petits prolongemens de même
fubflance. Ses dents font petites & les yeux
grands; la couverture des ouies n’eft pas offeufe,
ceft une peau qui ne laiffe que deux petits trous
fous les nageoires qui font de chaque côté. Il y
p| a une qui s’étend depuis la fin du cou jufqu’à
la queue, & une autre depuis l’anus aufti juf-
qua la queue, qui eft terminée en pointe. Ces
deux nageoires font d’une confiftance ferme : leur
bord eft noir; les narines font petites, rondes, 8c
placées près des yeux. Il y a une bande blanchâtre,
fermée par un double rang de points , qui s?é-
tend fur chacun des côtés de ce poiffon depuis
la tête jufqu’à la queue. Le ventre eft blanc, 8c
Ie n°ft dans les congres qui reftent contre
es rivages : ceux qui font dans la haute mer ont
6 blanc comme le ventre. La chair de ce
poiffon eft dure.
La pêche du congre eft affez confidérable ; elle
e fait dans de grands bateaux, qui ne font alors
montes que de quatre hommes : elle commence
ordinairement vers la faint-jean , 8t dure juf-
qu’après la faint-michel. Pendant Les trois premiers
mois de l’été, les vents d’oueft y font fort
contraires, parce qu’ils empêchent les pêcheurs
de fortir des ports 8c petites bayes qui font le
long de la côte de l'amirauté de Quimper en
Bretagne , où fe fait la pêche que nous allons
décrire.
Les congres fe prennent entre les roches; chaque
matelot a trois lignes , longues de cent-cinquante
braffes chacune, 8c de la groffeur des lignes des
pêcheurs de Terre-nenve : elles font chargées par
le bout d’un plomb du poids de dix livres pour
les faire caler.
Depuis le plomb jufqu’à cinquante braffes, il
y a vingt-cinq à trente piles d’une braffe de long ,
éloignées chacune d’une braffe 8c demie, garnies
d’un claveau amorcé d’un morceau de la
chair du premier poiffon que les pêcheurs prennent
quand ils commencent leur pêche, foit. fèche,
orphie, ou maquereau, 8cc.
Il faut, pour la faire avec fuccès, une mer baffe
ôc fans agitation, & que le bateau foit à l’ancre.
Les pêcheurs d’Audierne, après leur pêche finie,.
reviennent de temps à autre à la maifon; au lieu
que ceux de l’ille des Saints, qui panent de chez
eux le lundi, n’y reviennent ordinairement que
le famedi. Le nombre des équipages d’un bateau
pour faire cette pêche n’eft point limité; ils font
tantôt, plus, tantôt moins, 8c le plus fouvent
jufqu’à fept à huit hommes.
Quand ils font leur pêche, ils relèvent leurs-
lignes de deux heures en deux heures, pour en
ôter le poiffon qui s’y trouve arrêté.
Les pêcheurs font à la part ; le maître & le
bateau ont chacun une part 8c demie, 8c les autres
matelots de l’équipage chacun une part feulement*
Ceux qui achètent des congres pour les faire
fécher, les ouvrent par le venue depuis Ja tête
jiufqu’au bout de ta queue; on leur laiffe la têter
on ne les fale point ; on fait des taillades dans
les chairs qui font épaiffes, pour faciliter à l ’air
le moyen de les deffècher plus aifément; 011
paffe un bâton de l’extrémité du corps du poiffon;
à l’autre pour le tenir ouvert, 8c on le pend à
l’air.
Quand ils font bien fecs, on en fait des paquets
de deux cents livres pefant, qu’on envoie
à leur deftination ; ils paffent ordinairement à
Bordeaux pour le temps de la foire.
Ce poiffon fec déchoit confidérablement de
poids dans la garde 8c dans le tranfport.
Les merluches 8c les congres étant un aliment
principalement deftiné pour le peuple, par fon
abondance 8c par fon peu de valeur, il eft fans
doute à propos de lui en faciliter l’ufage, en
rapportant ici les •préparations & les accommo-
dages q u i font le plus pratiqués & les plus convenables,.