il se retira au Kaire, fit charger précipitamment ses trésors sur des chameaux,
et se rendit auprès du cheykh Dâher, à qui il offrit son bras et les troupes q u i
l’avoient suivi.
Après la fuite d’A ’ly, c’est-à-dire, en i 186 de l’hégire, Mohammed se fit recon
noître cheykh el-belâd. 11 renchérit en vexations sur ceux qui l’avoient précédé ; il
doubla les impôts, et en créa un d’un genre nouveau, celui dit rafa cl-mazâlcm,
c’est-à-dire, extinction d’avanies, qui doit son origine aux actes arbitraires que les kà-
chefs se perinettoient, dans les provinces, sur tous les villages par où ils passoient.
Mohammed défendit aux kâchefs les actes arbitraires, et se fit payer une rétribution
annuelle, qu’il étendit à toutes les provinces de l’Egypte.
Cependant les Égyptiens, fatigués de la tyrannie du cheykh el-belâd, firent savoir
à A ’Iy qu’ils soupiroient après son retour. A ’iy, au milieu des succès qu’il obtenoit
pour le cheykh Dàher, se rendit à leurs voeux, prit congé de son allié, dont il
reçut quelques renforts, et se dirigea, plein d’espoir, vers l’Egypte, où une nouvelle
trahison devoit enfin le conduire à sa perte. Parmi les beys de sa maison
on en comptoit un, le jeune Morâd, qui devint amoureux de son épouse, Sitty
Nefyçah, Géorgienne aussi belle que pleine d’esprit. Morâd passa au parti de
Mohammed, et lui promit de lui livrer son ennemi, s'il vouloit lui donner en
récompense l’objet de sa passion. Mohammed s’y étant engagé, le jeune bey s’embusqua
avec mille Mamlouks choisis, dans les dattiers de Sâlhyeh, où A ’iy devoit
indispensablement passer, fondit sur lui, et eut le bonheur de lui donner, dans
la mêlée, un coup de sabre qui lui coupa le visage et le désarçonna. On dit que
lorsque Morâd le vit étendu sur le sable, il descendit de cheval, lui baisa les
genoux, et s’écria : « Pardonne-moi, mon maître ; je ne t’ai pas reconnu. » Il le fit
relever et porter à la tente de Mohammed. De là on le transporta à la capitale, où
il mourut peu de temps après de sa blessure, dont Abou-deheb fit empoisonner
l’appareil. Morâd hérita de son harem et de ses biens.
Le cheykh el-belâd résolut ensuite de se venger du cheykh Dâher. II écrivit
en conséquence au divan de Constantinople, qui lui envoya le firman de pâchâ
d’Egypte, et l’autorisa à châtier le rebellé. Ce fut vers la fin de l’an i 189 que
Mohammed-pâchâ, après avoir établi Isma’yl-bey cheykh el-belâd, marcha contre
la Palestine. Il prit Yaffâ d’assaut, et massacra un grand nombre d’habitans. Il 'alla
ensuite assiéger Saint-Jean-d’A c re , qui, quoique défendue par A ’iy le plus vaillant des
fils de Dâher, ne put résister : elle fut emportée et livrée au pillage. Le fils de Dâher,
quelques heures auparavant, avoit abandonné la place, ainsi que son pèrel’avoit fait
au commencement du siège. Mohammed n’eut pas le temps de jouir des fruits de la
barbarie qu’il exerça contre cette malheureuse cité : il mourut trois jours après, les
uns disent de poison ; les autres, de la contagion qui régnoit dans son camp. Son
cadavre, ouvert et embaumé, fut transporté au Kaire, et déposé dans l’oratoire
construit par lui près de la mosquée des Fleurs’ où il s’étoit réservé un tombeau.
Ce qui attira le plus l’attention dans son expédition delà Palestine, fut le luxe de
sa tente, qui surpassa en richesse tout ce qu’on avoit encore vu en ce genre.
CHAPITRE XV.
Ismayl. Ibrâhym. Isnui’y l pour la seconde fo is . O'tmân. Ihrâhym pour la
seconde fo is .
I sm a ’y l - b e y vit sortir des cendres de Mohammed deux rivaux redoutables,
Ibrâhym-bey 1 assassin de Sâlh, et Morâd le meurtrier d’A ’ly. L ’armée Égyptienne
étant revenue de laSyrie, dont elle avoit abandonné la conquête, ils se lièrent contre
lui d’amitié et d’intérêt, et se concertèrent pour lui enlever le cheykh-belâdat et
chasser Hasan-bey Gedclâouy, son ami particulier. Ils ne réussirent pas néanmoins
dans cette première entreprise. Isma’yl et Hasan la prévinrent en les attaquant à la
citadelle, dont ils s etoient emparés, et en les forçant de prendre la route du Sa’yd,
où ils allèrent créer un nouveau plan d’attaque ; ils en descendirent pour livrer
bataille à Ismayl, dont ils taillèrent les troupes en pièces. Isma’yl, après sa défaite,
alla à Constantinople ; et Hasan-bey Geddâouy, exilé à Geddah, gagna le patron
delà barque qui l’y conduisoit, vint débarquer à Qoçeyr sur la mer Rouge, et
se rendit dans la haute Egypte.
Ibrâhym et Morâd s’emparèrent çle l’autorité. Ibrâhym se fit reconnoître cheykh
el-belad, et Alorad, emyr des pelerins. Plusieurs de leurs Mamlouks furentnommés
beys, et une infinité d’autres, kâchefs. Leur conduite administrative fut, comme
celle de leurs prédécesseurs, signalée par des usurpations et des rapines. Enfin ils gou-
vernoient au milieu des malédictions de tout le monde, quand on leur annonça
qu’Isma’yl avoit été vu se dirigeant sur Halouân, village de la province d’Atfyeh. Ils
envoyèrent à ses trousses un gros corps de Mamlouks qui l’atteignit. Il y eut une
action sanglante, dans laquelle presque toute la maison d’Isma’yl périt : il ne dut
lui même son salut qu’à une caverne où il resta trois jours entiers, après lesquels il
gagna1 les cataractes , où il trouva Hasan-bey. Ils vécurent ensemble dans les
rochers arides de Gennâdel, nom que l’on donne aux rocs où le Nil vient se
briser, et qui forment l’avant-dernière cataracte.
Ce nouveau succès ayant permis, à Morâd de remplir ses fonctions d’émyr des
pelerins, il en conduisit la caravane au milieu des plus grands dangers. De retour au
Kaire, il survint entre lui et son collègue un refroidissement qui eut pour cause l’évasion
d Ismayl, et à la suite duquel Ibrâhym se retira courroucé à Minyeh, ville de la
haute Egypte. Il y resta quelque temps, nourrissant son ressentiment et préparant sa
vengeance. Enfin, fléchi parla prière des premiers docteurs de la loi, que Morâd lui
avoit députés, il retourna se joindre à son collègue, avec qui cependant il ne vécut
pas long-temps ami; car Aiorâd, l’accusant de s’entendre contre lui avec les beys
Otman Cherqâouy, Ayoub el-Soghayr, Solymân, Ibrâhym el-Soghayr et Mostafâ
el-Soghayr, tous cinq chefs de maisons ennemies de la sienne, se retira brusquement
a Minyeh. Ibrâhym crut d’abord que cette fuite n’étoit que l’effet du naturel
bilieux de Morâd : mais, ne le voyant pas revenir après cinq mois d'absence, il comprit
que les choses deviendroient sérieuses, et prit le parti de lui députer, comme Morâd
I avoit pratiqué, les principaux docteurs de la loi. L ’ame altière de Morâd lui ayant