Moïse a désigné le Nil sous le nom de Gehon[ Gyhhoun] , ce seroit lui attribuer
une erreur trop grossière en géographie, à cause de leloignement considérable qui
existe réellement entre la source du Nil et celles des autres fleuves qu’il place
auprès de lui dans Eclenfi).
On peutse contenter de répondre à ces objections, que lccrivain du Pentateuque,
ainsi que les auteurs des autres livres qui composent la Bible, ont fait d’autres fautes
aussi palpables et dont on ne peut s’empêcher de convenir , soit en géographie,
soit en physique; flattes qui tiennent uniquement à l’état peu avancé où étoient
les connoissances de leur temps, sans qu’il en puisse cependant résulter, de la
part de ceux qui les ont remarquées, le moindre préjugé défavorable au respect
qui est dû à ces ouvrages comme livres sacrés, et auquel, indépendamment de
ce motif, ils auroient d’ailleurs un droit bien authentique, quand bien même
on ne les considéreroit que sous le rapport des plus anciens livres historiques
qui existent.
Cette erreur même n’est pas particulière à Moïse; les anciens .«très-mauvais
géographes pour la plupart, n’avoient pas une idée bien certaine et bien distincte
de la direction du Nil et du lieu où il prenoit sa source. Pausanias et Philostrate
nous apprennent qu’on croyoit que le Nil étoit un écoulement de l’Euphrate,
qui, ayant plongé ses eaux dans un marais, renaissoit dans l’Ethiopie sous le
nom de N il; et Alexandre le Grand, ayant trouvé des crocodiles dans le fleuve
Indus et des fèves semblables à celles d’Egypte sur les bords de l’Acesine, autre
rivière qui se décharge dans l’Indus, ne douta point qu’il n’eût réellement découvert
la véritable source du Nil.
D ’ailleurs le texte de Moïse est positif, et d’un sens clair qui se.compose des
acceptions bien connues et bien constatées des expressions partielles de la phrase
Hébraïque : toute autre interprétation me semble donc forcée, et ne pouvoir s’en
tirer qu’en tourmentant les mots, et en les éloignant abusivement de leur signification
précise et littérale.
C e texte (2) porte en effet, sans qu’il puisse y,avoir aucune espèce d’ambiguité,
que le fleuve auquel ildonne le nom de Gehon, arrose la terre de Chus [ Kouss ],
et tous les interprètes se sont accordés unanimement à traduire ce dernier nom
de pays par Ethiopie.
Au reste, dans leurs versions, les Septante et l’auteur de la Vulgate, au lieu de
traduire le mot Hébreu Gyhhoun pm a , se sont contentés de le transcrire, en le rendant,
les premiers,par r««», et le second par Gehon. On retrouve encore ce même nom
rendu dans la version Arabe (3) par Gyhân, dans la version Syriaque par
(1) E ’den ou A Jden p y est, comme on le sait, le nom (z ) Voici le texte entier de ce passage avec sa traduc-
du lieu où Moïse place le Paradis terrestre : ce nom vient tion littérale et mot à mot :
de la racine a’dan ou e’den p y , qui signifie en hébreu, : ans piN n x aaiDH pnu Utf n “inan nt/i
suivant les Concordances de Calasio (tome III, col. 457), E t nomen fluvii secundi Gyhhoun : ¡lie circumiens totam
voluptas, delicice (d’où peut dériver le mot hJbril des terram Kouss.
Grecs), et en chaldéen, veluptuosus, delicatus, quoiqu’il (3) Cette version a été faite par le célèbre Rabby
ait aussi, dans cette dernière langue, le même sens que Saadiah m y o *3*1, de l’école de Babylone, vers l’an 900
le mot Syriaque a’dan , tempus, occasio, opportu- de l’ère chrétienne. Saadiah fut surnommé el-Fayoumy,
nitas‘ ’QVdSx, à cause du Fayoum dont il étoit originaire: il
v û~ - *< ^ G y h h o u n , dans les paraphrases Chaldaïques d’Gnkelos et de Jonathan
( 1 ) par | l p p Gyhhoun , et dans le texte Hébréo - Samaritain par
E fÇ bÇ&C(ï~Ç Gyhhoun.
A l’égard de la version Samaritaine, elle est la seule qui, traduisant ce nom au
lieu de le copier simplement, l’ait remplacé par un mot bien différent, celui
de Z3?'*2î^>V A 'sqouf, sur lequel nous reviendrons d’une manière plus étendue
à la fin de ce paragraphe.
La version Persane du Pentateuque par Ya’qoub Taousy (2) porte, comme la
version Syriaque, le mot de Gyhoun ¿¡ys&s*..
Tous les rabbins et les lexicographes de la langue Hébraïque se sont accordés
à faire dériver le mot pnu Gyhhoun, de la racine f lU gouehh, qui signifie
sortir avec violence, s élancer, et, en parlant particulièrement de la mer ou de toute
autre grande masse d eau, frémir, gronder, lutter contre ses bords (3). Les dérivés
de cette racine participent à ce même sens (4), qui se retrouve encore dans les
mots homogènes des autres langues Orientales , collatérales ou dérivées de la
langue Hébraïque (y).
C ’est en suivant cette opinion, bien ou mal fondée , et que je ne me permettrai
point de discuter davantage ici, de l’identité du Nil et du Gehon dont
parle Moïse, que les vocabulaires modernes de la langue Qobte désignent communément
le Nil par le nom de n i 3£E(AJN pi-Keon, qui n’est que le même
mot précédé de 1 article propre à cette langue.
C est aussi d après les mêmes motifs que les Éthiopiens donnent au Nil le nom
de i ’hH : al'C\ : Taka^é Geycn.[ le fleuve Gehon], C e nom de ‘7F’’} : Geyon, est
quelquefois encore écrit dans leur langue de deux autres manières, 2P’’} : Giyon
et IP ’i : Géy/on.
est aussi connu sous le surnom de Gnon ¡1(0 , ’ c’est-
à-dire 1 Èleyé,yme honorifique dont se qualifioient
à cette,époque les docteurs de son école.,Sa version du
Pentateuque est la première qui ait paru en langue Arabe;
elle a été imprimée pour la première fois,en caractères
Hébreux à Constantinople en 1546.
(■)’ Onbelis, Dl'jpjlN, est l’auteur d’une paraphrase
Chaldaïque du Pentateuque, fort renommée pour son
exactitude et pour la pureté et l’élégance de sa diction.
Ce traducteur a vécu environ quarante ans avant l’ère
Chrétienne; il fut contemporain du faméux Hilltl bVn;
savant docteur, qui rendit célèbre dans ce temps l’école
de Jérusalem, et de Jonathan ben U^iel f e lp ¡jjn jv ,
qui traduisit en chaldéen les Prophètes et les livres connus
en btbhologic sous le nom d'Hagèopapha, et auquel on
attribue aussi une paraphrase du Pentateuque. Plusieurs
rabbins ont confondu mal-à-propos Onkelos avec Aquila
(en chaldeen A ’qilas oS’pp), auteur d’une version Grecque
de toute la Bible, et qui vivoit dans le siècle suivant.
(a) La version Persane du Pentateuque a été faite par
Ya qoub ben Yeuse/c i- jJ ^ , J „ if natif de Tons
g - A . Ville considérable du Khorassân, d’où il reçut le
surnom de Tous, ou Taousy Cette version fut imprimée
par des Juifs en caractères Hébreux à Constan-
tmopleen ij/(6, avec la paraphrase Chaldaïque d’Ontelos
et la version Arabe de Saadiah-Gaon en regard. Cette
édition étoit déjà extrêmement rare au temps de Walton,
qui reimprima la version Persane en caractères Persans
dan s sa magnifique Polyglotte.
(3) n u , prodiit, exivit, prodire fecit, protrusit, eduxit,
edid.it, erupit, effluxit. Voyez, tome I.er, colonne 5 11 ,
Lexicon heptaglotton, Hebraicum, Chaldaicum, Sÿriacum ,
Samaritanum, yEthiopicum , Arabicum, conjunctim, et
Persicum separatim ; autbore Edmundo Castello , S. T. D.
Londini, 1669.
n u , exivit, erupit cum impetu, Jluxit cum impetu,
fluxit, effluxit ; inde nomen pnu, fluvfius magnus i Paradiso
egrediens et admodùm se diffundens ; isque circuit
universam terram Æthiopice, inquit R. D. K. A t R. Joseph
flumen arbitratur esse Ægypti, id est, Nilum, sic appella-
tumquodegrediens irriget terram. Voyez Calasio, tom. I " ,
col. to6y. '
(4) n u , eductor. Cas tell. ibid. nu, eruptio. Cas tell,
col. 1 12.
(5) Chald. ru , exivit, erupit cum impetu, effluxit,- nUN,
eduxit, emisit, extraxit. Calasio, ibid.
Chald. nu exivit, prodivit, erupit.
Syr‘ fu d it, effudit, exundavit, erupit aqua.
, inundavit, turgefecit. ) - - abundantia,
L. abrupit, V- aqua effluxit. Casteli. col. 512.