les ruiner. Il se fit précéder par cette proclamation : Que ceux qui obéissent h Dieu
et au Sultan, se rendent avec nous auprès du cheykh el-belâd ! Cet appel, qui n avoit
d’autre but que de soulever le peuple contre les beys, leur ayant été communiqué,
ils envoyèrent sur-le-champ avertir Mohammed - bey, dont la mère avoit
épousé Rodouân, et qui avoit son palais sur la route que le pacha devoit tenir,
de s’opposer à ce qu’il passât outre. Mohammed, d’après cet avis, plaça aux avenues
de son palais des gens armés, qui assaillirent dune grêle de balles le pacha qui
s'y présenta, tuèrent deux de ses gardes a ses cotes, et le fiient tombei lui-meme
sans connoissance. Le voyant en cet état, Mohammed le fit transporter a son palais,
lui administra toute sorte de secours, et, lorsquil eut repris ses esprits, lui dit,
en feignant le bon serviteur : « Seigneur, la multitude de gens armés qui obstrue
y> la rue, me fait craindre pour vos jours. Restez ici jusqua ce que le tumulte soit
» dissipé. » Le pâchâ remercia le bey de son attention apparente, et accepta le
refuge qui lui étoit offert. Mohammed envoya dire à f Hoseyn - bey : Le pâchâ
vient d ’être tué; tremble pour toi. Saisi de terreur à cette, nouvelle, Hoseyn-bey fit
monter à cheval tous ses Mamlouks, gagna la haute Égypte , et de là Ibrym, où,
exilé peu de temps après sa fuite, il alla terminer ses jours.
Cette révolution valut la liberté à Ibrâhym et a Rodouân, qui, ayant fait la paix
avec le pâchâ par l’entremise du cheykh Abcl-allah, reprirent une seconde fois
les rênes du gouvernement. Quelque temps après cette réconciliation factice,
le pâchâ fut mandé à Consiantinople, où on le fit mourir, ï.
Avec la reprise de l’autorité absolue, les proscriptions recommencèrent. Un
nombre infini de personnes de toutes les classes, et meme de beys de la propre
création d’Ibrâhym et Rodouân, tombèrent victimes de leurs soupçons et de leur
avidité. Ceux qui, par le sacrifice de leur fortune, purent se soustraire à leur
fureur, mirent leurs jours à l’abri par un exil volontaire. Parmi ces derniers, on
compte A ’bd-el-Rahmân ketkhoudah, fils du patron d’Ibrâhym, qui se retira à
Tfayneh proche Rosette.
La désolation étoit à son comble : on desiroit un libérateur ; mais personne
n’osoit le devenir. Le hasard fit ce que la peur avoit empêché de tenter, et 1a
ruse, ce que la force n’avoït pu opérer. Ibrâhym tomba malade : les beys se servirent
de l’ami.d'Àhmed el-Asty, son barbier et son chirurgien, pour se défaire de
lui. Ahmed el-Asty reçut des mains du serviteur gagné un remède que celui-ci lùi
assuroit devoir être très-efficace contre lafcnaladie de son maître, et le porta sans
malice au cheykh el-belâd, qui, se méfiant, dit au barbier: « Goute-Ie et me le donne.*
Asty, de bonne foi, le goûta, et le remit à Ibrâhym, qui, l’ayant pris en même temps,
mourut avec lui au milieu des plus horribles tourmens, J an i 162. Ainsi finit cet
homme qui forma tant d’intrigues et fit verser tant de sang. Victime d un breuvage
perfide, il repose actuellement oublié au fond dun tombeau près de 1 imam
Châfe’y. Il construisit des mosquées, des oratoires, croyant par-la expier ses
cruautés; mais ces édifices, ouvrages de l’orgueil et non de la piété, sont autant
de monumens qui déposent contre lui.
Rodouân le remplaça, et eut pour antagoniste un bey nommé l'émyr Hoseynbey
el-Maqtoul, qui, ayant reuni les Mamlouks d Ibrâhym autour de lui, devint
chef de sa maison, et demanda à Rodouân le cheykh-beladât, qu’il disoit lui
appartenir à ce titre. Sur son refus, il monta un certain jour à la citadelle, s’empara,
avec l’aide de ses Mamlouks, des batteries qui commandoient la place dite Birket
el-Fyl, où Rodouân avoit son palais, et le battit en brèche.
Rodouân étoit occupé à se faire raser, lorsqu’une pluie de boulets et de mitraille
vint tomber dans sa cour et briser ses vitres. Il reconnut qu’on en vouloit à sa
personne, et se fit amener un cheval. Il étoit à peine en selle, qu’une balle lui
cassa la jambe. Malgré sa blessure, il n’en continua pas moins, à la tête de ses
Mamlouks, la fuite qu’il avoit projetée, jusqu’au village dit Cheykh-O’tmân, où la
douleur le força de s’arrêter, et où le destin avoit fixé Je terme de ses jours : il
y mourut, et ses restes sont encore déposés dans un petit tombeau qu’on lui
érigea auprès de celui de l’ouâly du lieu.
Hoseyn-bey prit la place de Rodouân qu’il avoit chassé, et chercha à se concilier
l’amitié de ses collègues; mais comment devenir l’ami de ses rivaux! II étoit
à peine cheykh el-belâd, qu’il fut attaqué par eux dans un lieu dit Moçâteb cl-
nachcliâb, c est-à-dire, le Banc des Jièches, où il étoit occupé à surveiller les évolutions
de ses Mamlouks. Ce lieu, nommé ainsi parce qu’on s’y exerçoit à tirer de l’arc,
est situé dans la plaine qui sépare le Kaire de la ferme d’Ibrâhym-bey. Cest là que
les beys les uns après les autres avoient coutume, à des jours déterminés, de présider
aux exercices de leurs Mamlouks, assis sur des tapis étendus à cet effet. Le banc des
flèches fut pour le cheykh el-belâd le lit de la mort : dans le moment où les évolutions
avoient éloigné ceux qui pouvoient le défendre, il fut attaqué inopinément
par deux assassins qui fondirent sur lui le sabre nu, et le taillèrent en pièces. Ils
portèrent à ceux qui leur avoient commandé ce meurtre, ses lambeaux sanglans
réunis dans une valise de cuir, et qui, transportés ensuite sur un âne à son palais,
furent lavés et déposés au Qorâfeh, nom du cimetière des grands.
Khalyl succédaà Hoseyn-bey el-Maqtoul. Il commença son gouvernement par de
nombreuses proscriptions. Il exila à Geddali A|bd-el-Rahmân ketkhoudah, qui, après
la mort d Ibrâhym, étoit sorti de son exil de Tfayneh, et vivoit tranquillement au
Kaire. Les aumônes de celui-ci, ses dépenses pour l’embellissement et les réparations
de diverses mosquées, la construction de celles de Sitty Zeynab et de Sitty Nefÿçah,
1 établissement qu’il fonda pour les veuves sans ressource, et le collège dont il enrichit
le Bymâristân, ne purent plaider en sa faveur auprès du cheykh el-belâd ; il
lui fallut subir son sort. Il se rendit à Geddali avec la satisfaction d’avoir fait le bien
et la douleur de s’en voir si mal récompensé. Ceux qui lui étoient attachés, l’y
suivirent.
La perte d’A ’Iy-bey surnommé el-Gcndâfy, dont l’histoire commence ici, occupa
toutes les pensées de Khalyl, qui songea sérieusement à s’en défaire, parce qu’il
craignoit son génie et qu’il prévit sa fortune. Cet A ’Iy, qui est le fameux A ’iy-bey,
chercha de son côté à supplanter le cheykh el-belâd, qu’il regardoit comme son
inférieur en talens, pour se venger d’avoir été omis dans les promotions faites à
la mort d’Ibrâhym, et il y travailla de tous ses moyens. Parmi les beys élevés en