-point d’expliquer la cause de cette différence de niveau entre ces deux parties de
la vallée ; elle a été suffisamment développée dans le Mémoire de M. Girard sur
l’agriculture de la haute Egypte (i). Ces deux pentes sont tellement sensibles, que
■le sol se trouve au moins à deux mètres aii-dessous des hautes eaux pendant l’inondation;
et la campagne présente, à cette époque, l’aspect dune vaste mer. Une
disposition aussi favorable rend inutiles tous les travaux mécaniques pour ¡’arrosement
: mais elle nécessite de grands ouvrages pour conserver les eaux pendant
Je temps nécessaire à la fertilisation ; car la pente au nord, les entraînant avec la
même rapidité que celles du fleuve lors de sa décroissance, les empêche de séjourner
assez long-temps sur les terres.
Pour obvier à cet inconvénient, on a construit dans la largeur de cette partie
de l’Egypte, et à des distances déterminées par les localités, des digues en terre,
qui s’appuient, d’un côté, aux montagnes dans toute leur hauteur, et, de l’autre,
viennent mourir à zéro vers les terres élevées sur le bord du Nil. Ces digues font
refluer l’eau jusqu’au niveau des parties supérieures, et les conservent ainsi jusqu’à
ce que les terres saturées permettent de les laisser s’écouler par des coupures que
l’on y pratique.
Ces ouvrages sont donc d’une importance majeure dans le système d’irrigation:
leur existence combinée avec‘celle des canaux a dû dans tous les temps exciter
l’attention des gouverneurs. On les distingue en grandes, moyennes et petites
digues. Les grandes sont construites sur la largeur entière de la vallée; on en
compte onze dans la province de Beny-Soueyf. L ’une des plus considérables, qui
porte le nom d’Oukcliechy, est située à environ deux myriamètres au nord de
Beny-Soueyf: elle commence d’un côté vers le Nil,.au sud des villages de. Zâouy
et de.Masloub, passe au nord des villages de Qemen el-A’rous et de Begyg, et
va s’appuyer au désert, touchant presque les villages d’Ouboueyt et de Koum-Abou-
râdy. La plaine pour laquelle elle a été construite, se termine vers les villages de
Behâbchyn, Dalâs, Zeytoun, &c. , et comprend une superficie, d’environ,.dix
mille hectares, sur laquelle sont répartis dix-huit villages.
Les autres grandes digues sont celles de Behâbchyn, Safanyeh, Saft-raehyn,
el-Noueyreh, Choubak, Ehoueh, Badahal ou el-Chantour,,Samalout, Menbâl et
Bardanouâh.
Les moyennes digues, qui n’intéressent que quelques territoires, partent'.ou des
bords du Nil, ou des grandes digues même, pour aller s’attacher à l’un des monticules
sur lesquels sont construits les villages.
Enfin les petites digues sont locales, et seulement dans l’intérêt de quelques
qirât ou portions de village.
La même disposition de pentes transversales de la vallée a exigé deux espèces
de canaux : les grands portent l’eau sur la partie la plus occidentale , jusqu’au
pied de la montagne; et les petits, partant du Nil, ou formant rameau sur les
grands, se terminent au pied des monticules disséminés sur la bande élevée la
plus rapprochée du fleuve.
(i) Voye^ la Décade Egyptienne, tom. I I I , pag. jo et j i
D E B E N Y - S O U E Y F E T D U F A Y O U M . I p ÿ
On pourroit penser, d’après cette disposition, que les terres situées vers la
montagne sont toujours susceptibles d’être arrosées naturellement au moyen des
grands canaux, quelle que soit la hauteur de la crue du fleuve, puisque leur niveau
’est inférieur à celui des moindres crues; mais il n’en est pas ainsi. Pour qu’elles
soient arrosées , il ne suffit pas que l’inondation arrive à leur hauteur ; il faut
qu’elle dépasse celle du fond des canaux qui doivent porter l’eau dans ces vastes
campagnes. Cette condition ne peut être remplie que par les soins constans d’un
gouvernement sage et éclairé ; et c’est un avantage que les Égyptiens ne con-
noissent pas depuis bien des siècles. Ces terres de l’ouest si favorisées de la nature,
• et sur lesquelles devroient toujours reposer les espérances du reste de l’Egypte, sont
les plus malheureuses; elles manquent totalement d’eau dans les crues foiblés, et
ne peuvent en recevoir qu’en très-petite quantité dans les crues les plus fortes :
l’exhaussement des canaux, causé par l’abandon dans lequel on les a laissés si
long-temps, s’oppose à l’écoulement des eaux dans ces parties basses; et ce n’est
que lorsque l’inondation a dépassé cet exhaussement, qu’elles'descendent, pour
ainsi dire, en cataracte, et couvrent instantanément les terres sur une très-grande
hauteur. Je les ai vues à sec le i 4 thermidor an 8 [12 août 1800] et le 10 fructidor
suivant [28 août]; j’y ai mesuré une hauteur d’eau de 2 mètres et demi
vers le milieu, et de 3 mètres au pied du désert, tandis que la crue effective du
fleuve n’avoit été pendant ce temps que d’un mètre y 2 centimètres.
La crue de l’an 7 [ 1799 ], qui n’avoit pu dépasser le fond d’une grande partie
de ces canaux, laissa près des trois quarts des terres sans culture, ce qui porta le
malheur et la désolation dans une infinité de familles ; tandis que la hauteur des eaux
étoit cependant bien au-dessus du niveau de ces terres, sur lesquelles elles auroient
répandu la vie et l’abondance, si elles avoient trouvé des issues pour y couler. ï
Les grands canaux d’irrigation ne doivent donc pas être considérés en Egypte
’ comme de simples réservoirs auxquels on fait des saignées de dérivation le long
de leur cours ; mais ce sont des routes ou des tuyaux qui conduisent l’eau dans
les parties les. plus éloignées. Combien il est donc important que ces routes ne
soient pas obstruées, et que le fluide puisse les parcourir librement dès qu’il a
atteint une des extrémités ! La moindre hauteur possible de cette extrémité vers
le fleuve, et sa correspondance par une ligne droite avec le point le plus bas
des terres intérieures, tel est le but qu’on doit se proposer dans l’aménagement
des canaux en Egypte. C’est vraisemblablement celui qu’atteignit Ptolémée Épi-
phane dans les travaux immenses qu’il exécuta, et pour lequel la triple inscription
du monument de Rosette a consacré son nom parmi les bienfaiteurs de
l’Egypte. Les gouverneurs avides et barbares qui se sont succédés depuis (sans
en excepter les Romains), ont négligé cette branche essentielle de l’économie
politique. Heureux les Français s’ils eussent pu, comme ils en avoient l’intention,
réunir dans l’histoire le souvenir de leur gouvernement avec celui du prince dont
je viens de parler'!
Le nord de la province de Beny-Soueyf est coupé par plusieurs petits canaux
dérivés du Nil; on n’y en trouve qu’un seul grand, appelé Canal de Beny-A’dy,