2 0 8 MÉMOIRE SUR L’ÉTAT ANCIEN ET MODERNE
métier des armes. Aujourd’hui elle renferme une plaine bien cultivée, de grands
bois de palmiers et des villages fort riches; entre autres, Qcnyet, cjui donne son
nom à la branche occidentale du canal.
A trois lieues de Bubaste, sur la même rive, se trouve une petite ville moderne,
nommée H ely eh , environnée d’une épaisse forêt de palmiers. Quoique son nom
ait été ignoré des géographes, et qu’elle ne soit pas même connue dans la partie du
pays qui se regarde comme civilisée, elle paroît renfermer une population nombreuse,
et il règne autour de ses murs un luxe d’agriculture que n ont pas les
provinces environnantes. La partie du bois de palmiers la plus rapprochée des
habitations est plantée en quinconce, et avec autant de soin qu’un jardin Européen.
La ville est enceinte d’un mur crénelé, de 5 mètres [environ 1 y pieds] de hauteur,
en fort bon état et flanqué de bonnes tours. Ces tours sont armées d’un double
rang de créneaux. Les portes sont pratiquées dans des tambours qui flanquent une
partie de l’enceinte. Les habitans de cette ville semblent bien plus civilisés que leurs
voisins. Depuis que nous avions quitté le N il, nous avions trouvé par-tout la
population sous les armes, et un esprit de mécontentement et de révolte:ici,
quoique nous fussions les premiers Européens qui s’offrissent à leurs yeux, les
habitans sortirent en foule de la ville pour nous présenter des vivres, et nous
n’aperçûmes pas au milieu d’eux un seul homme armé.
Depuis les environs dé cette ville jusqu’à la partie la plus inférieure du canal,
nous avons remarqué sur les deux rives un grand nombre de tours construites sans
portes et sans fenêtres : elles sont percées de quelques créneaux, et servent de refuge
aux habitans, quand ils sont surpris et poursuivis par les Arabes du désert; ils y
montent avec des échelles de cordes.
Au-delà de Hehyeh, au milieu d’une plaine basse et marécageuse, s’élèvent les
ruines d’une ville qui se nommoit Qonrb, selon le rapport des habitans. Le village
de Horbeyt y est établi. On y a trouvé un pied de colosse et un tronc de statue.
On y voit encoredes tronçons de colonnes et des débris de granit. Cette ville étoit
peu considérable ; elle avoit en étendue, tout au plus, le quart de Bubaste.
Une lieue plus loin, sur la rive opposée, se trouve un riche village nomme
K a fr Fournygeh. Il est regardé dans le pays comme la limite des terres civilisées:
jamais les barques de la partie supérieure n’ont osé descendre plus bas; jamais celles
de la partie inférieure n’ont remonté plus haut. Cette ligne de séparation est tellement
marquée, que le canal lui-même perd son nom, et prend celui de canaldt
S an . Les villages que nous avons trouvés au-delà de ce point, paroissent beaucoup
moins riches : on y voit beaucoup de terres incultes ; le terrain y est hérissé d’un
grand nombre de tours. Toutes les habitations sont enceintes de murs solides.
Chaque village n’a qu’une porte. Les habitans marchent toujours armés, même en
vaquant aux travaux de la campagne.
Depuis Fournygeh, la largeur du canal est resserrée ; elle n’est plus que d’environ
60 mètres • la profondeur est toujours la même ; aux approches du lac Menzaleh, ou
se décharge le canal, la profondeur est d’environ 4 mètres. Depuis el-Horbeyt,
le pays est coupé, sur les deux rives, d’une multitude de canaux, d’étangs et de
DES PROVINCES ORIENTALES DE LA BASSE EGYPTE. 3 O 9
marais, qui rendent les communications difficiles : plusieurs de ces étangs conservent
leurs eaux pendant six ou huit mois, En face d’el-Lebaydy, sur la rive
gau ch e , nous avons aperçu un lac immense/qui communique par plusieurs
branches au canal, et qui conserve ses eaux pendant huit mois de l’année ; il
est navigable pendant une partie de ce temps : il s’étend jusqu’à Abou-Dâoud.
Ce lac n’est séparé du lac Menzaleh que par une langue de terre; il n’y communique
pas.
A deux lieues de l’extrémité du canal, avant le point où il se jette dans le lac de
Menzaleh, s élevent les ruines de San ou Tanis ( t ), qui a donné son nom à cette
branche du fleuve. Cette ville est célèbre par la grande population qui J’habitoit,
par les monumens que les rois d’Égypte y avoient élevés, et par les miracles que
Moïse y fit avant de quitter 1 Égypte (2). On y voit encore plusieurs obélisques
renversés, des chapiteaux de colonnes dont le galbe a de l’analogie avec le genre
Corinthien, et un monument de granit brisé en deux parties, que nous avons présumé
avoir été un tombeau. Nous y avons rencontré des débris de vases d’une
terre très-fine, quelques-uns enduits d’un vernis qui a subsisté jusqu’à présent.
Nous y avons aussi trouvé des briques cuites de différentes espèces, des morceaux
de verre et du cristal très-bien poli.
En avant de Sân, se trouve un petit canal qui conduit à Sâlehyeh, mais qui
n’est navigable que pendant un mois.
La plaine qui est au-delà de cette ville jusqu’au lac Menzaleh, est traversée d’une
multitude de canaux qui se croisent en toùt sens. A l’extrémité de cette plaine,
lé canal entre dans le lac, et le traverse dans un espace de douze lieues jusqu’à la
mer, en conservant son cours et son lit. Leurs eaux ne se mêlent pas, et,
la profondeur du lac n’étant que d’environ un mètre, on distingue par-tout le lit
du canal.
Nous sommes ainsi parvenus à l’extrémité du canal, après nous être assurés
par nous-mêmes qu’il étoit navigable dans toute son étendue. D ’après les rensei-
gnemens que nous avons recueillis, nous avons appris qu’il n’étoit praticable,
pour les grandes germes, que pendant huit mois de l’année; passé ce terme,
on peut, pendant quelque temps, y faire naviguer de petites barques fort légères,
mais seulement dans la partie inférieure du canal. Pendant neuf'mois de l’année,
l’eau du Nil coule librement vers le lac Menzaleh ; pendant les trois derniers
mois, l’eau du lac reflue dans l’intérieur des terres. Pour éviter cet inconvénient,
on construit tous les ans à Kafr Moueys une digue qui dure trois mois. Malgré
cette précaution, l’eau salée reflue encore dans un espace de sept à huit lieues.
Lors du temps le plus éloigné des crues, en face d’el-Lebaydy, où il n’y a qu’un
seul pied d’eau, elle est entièrement salée.
Tels sont les renseignemens que nous avons pu nous procurer sur ce canal :
daprès sa largeur, ses sondes et le grand nombre de ruines qui se trouvent sur son
(1) Tawf, Strabon, Gcogr. Iib. XVII, pag. 552; Zocu, traduction des Septante; 2£&-HX, version Qobte; yL=,
Sân, version Arabe. Voyez la Description de Sân, par M. Cordier, A. D. ckap. X X III,
(2) Psalm, lx x v i i , v. 12 et 43. Ezechiel, cap. x x x , v. 14.