servi des Français comme domestiques, leur ont généralement donné des preuves
d’attachement, de probité et de courage. L ’hospitalité, prescrite par leur religion,
sera d’ailleurs toujours une sauvegarde pour le voyageur qui, sachant leur langue,
marchera avec confiance au-devant de ceux qu il soupçonnera de mauvais desseins,
leur demandera d’être conduit à leur chef, et dira a celui-ci que, sur le bruit de
son courage, de ses vertus hospitalières, il est venu a lui avec confiance. Ce moyen
nous a toujours réussi, même dans des provinces encore peu soumises a nos
armes ; et nous n’hésiterions point à 1 employer chez quelque peuple que ce fût:
les hommes, bien que trop souvent cruels, bien que mechans pour la plupart,
sont presque toujours sensibles à la voix de l’honneur; il ne faut qué savoir à
propos la leur faire entendre.
Nous nous présentâmes chez le cheykh du village de Fara’ounyeh, lemyr Ahmed,
auquel la garde et l’entretien des digues du grand canal étoient confiés. L un de
nousavoit eu occasion de lui rendre un service important auprès du général en chef
de l’année Française; il nous reçut avec joie: nous soupâmes et couchâmes chez lui.
Le lendemain matin, il entra dans notre chambre avec sa fille, jolie enfant d’environ
sept ans, qui vint nous offrir des gâteaux et des fruits; elle avoit le visage
découvert et étoit fort blanche. La visite de cette jeune fille, ainsi dévoilée, etoit
certainement, dans les moeurs de l’Orient, la preuve d une grande bienveillance.
A notre départ, le cheykh voulut nous remettre une somme d argent assez
considérable; nous la refusâmes. Il nous offrit deux chevaux, et nous lui repondîmes
que les Français n’étoient point dans l’usage d accepter des objets de cette
valeur. Il nous regarda avec surprise, et nous entendîmes nos domestiques Arabes
se dire à voix basse que leurs maîtres étoient de braves gens, mais un peu fous]
refuser un don leur sembloit le comble de la démence. Cet usage de faire des
cadeaux à ceux envers lesquels on a exercé l’hospitalité, remonte a la plus Haute|
antiquité : Ulysse ne reçut-il pas de son hôte Alcinoüs un talent d or, une tunique,
une coupe î Nous eussions dû peut-être nous conformer aux usages de 1 Orient;
mais, dans nos moeurs, c’eût été, en quelque sorte, recevoir le paiement des services
que nous avions rendus : l’habitude prévalut, et nous mîmes a notre refus;
toutes les formes qui pouvoient le rendre moins désagréable.
Fara’ounyeh paroît dérivé du nom de Fara’oun [Pharaon] que Ion donnoit aux!
anciens souverains de l’Egypte; et comme c’est à ces princes que les habitansdu
pays attribuent encore aujourd’hui la construction des monumens que les étrangers
viennent admirer chez eux, on peut présumer que le village de Faraounyeh a renfermé
quelques débris d’antiquités que le temps et les barbares auront fait disparoitre:;
mais nous ignorons quelle ville ancienne a pu exister en ce lieu.
Nous levâmes le plan du cours entier du canal de Faraounyeh, et nous en
fîmes le nivellement. Le canal a son origine dans la branche de Damiette, a quelques
mètres au nord du village dont nous venons de parler; il coupe la partie supérieure
du Delta, et se termine à la branche de Rosette, au-dessus du village de
Nâdir. Sa pente totale, qui est de trois mètres neuf cent soixante-trois millièmes,
sur un développement de trente-sept mille deux cent cinquante mètres, d autres
nivellemens faits eh différens lieux du Delta, et sur-tout l'appauvrissement successif
de la branche de Damiette et la tendance qu’ont les eaux à se porter dans celle de
Rosette, notis portent à croire que toute la surface de cette partie de l’Egypte a
maintenant une inclinaison générale de l’est à l’ouest.
Les eaux de fa branche orientale, entraînées par la grande pente que nous venons
d’indiquer, se jetèrent autrefois avec une telle abondance dans le canal de Fara’ounyeh,
que les provinces inférieures, vers Damiette, ne reçurent plus la quantité
d’eau nécessaire à leur arrosement, et que la mer couvrit leurs terrains les plus bas.
Les dommages qui en résultoient, déterminèrent le Gouvernement du Kaire à faire
fermer ce canal. Mourâd-bey paroît avoir le premier entrepris ce travail ; mais les
digues, ayant été mal construites, ne purent résister à l’effort des eaux. Ayoub-bey
el-Chiq, s’étant emparé du gouvernement, reprit cette opération; et lorsqu’elle
fut achevée, ce même Ayoub-bey et O’smân-bey, entraînés par des intérêts particuliers
, firent couper les digues. La fermeture du canal fut enfin rétablie par ordre
de Mourâd, lorsque ce bey reparut à la tête des affaires; et ce fut l’émyr Ahmed,
que nous trouvâmes à Kafr-Fara’ounyeh, qu’il chargea de ce travail : celui-ci parvint
avec beaucoup de peine à l’exécuter, en faisant jeter à l’entrée du canal, à l’époque
des basses eaux, une quantité considérable de gros blocs de pierre.
L ’eau de la branche de Damiette qui, au temps de l’inondation, s’infiltre à
travers les digues dans le lit du.canal, et celle qui y remonte de la branche de
Rosette, permettent d’y naviguer-pendant quelques mois avec de petites barques (i).
Les rives du canal de Fara’ounyeh ne sont point, comme celles de la plupart
des canaux de l’Egypte, bordées de monticules de terre provenant des curages
annuels ; elles ressemblent à celles des branches principales du Nil : une plaine
rase se développe indéfiniment des deux côtés, et présente une culture soignée et
des villages fort rapprochés les uns des autres.
La province que nous parcourions, se nomme le Menoufyeh. Elle est moins
exposée aux courses des Arabes que le reste du Delta. Sa partie supérieure, principalement,
se trouvant renfermée entre la branche de Damiette, celle de Rosette
et le canal de Fara’ounyeh, est facile à défendre contre un ennemi dont les forces
ne consistent qu’en cavalerie (2). Nous nous- sommes avancés dans l’intérieur de
cette île, et nous avons reconnu qu’elle est principalement arrosée par lé: canal
d’Abou-Sarah, qui a son origine dans celui de Fara’ounyeh, où il revient se jeter
près de Ramleh par deux bouches différentes, après avoir porté les eaux du Nil,
par plusieurs ramifications, sur le territoire d’un assez grand nombre de villages.
Les eaux du Nil séjournent peu dans cette portion de l’Egypte ; ce qui contribue
nécessairement a y rendre lair plus salubre, et la peste moins dangereuse
et moins fréquente que dans le nord du Delta (3). On y cultive le froment,
- (1 ) Pendant la'grande crue de l’an 9, les eaux ont (2) Dans le temps des basses eaux, le Nil estguéable
tourné les digues par l’ouverture du' canal de Menouf, en quelques points de la’ basse Egypte, et c’est le .mo-
ct se sont versées dans l’ancien lit du canal de Fara’ou- ment que choisissent les Arabes , pour pénétrer dans le
nyeh, qui est redevenu navigable toute l’année/comme Delta.
un des grands bras du Nil. Notre voyage dans le Delta (3) La peste ëstendémiqueenÉgypte.Céux qui croient
est antérieur à cet événement. > qu’elle y est' transportée chaque anuée'de Coustantinople,