tivement le cheykh-belâdat, selon que le nombre de leurs Mamlouks les rend
plus ou moins puissans.
On a généralement remarqué que les Mamlouks .ainsi que les beys, qui dévoient
à leur seule beauté le rang où ils parvenoient, mouroient la plupart sans postérité. J
Livrés aux plus honteuses débauches, la perversité de leurs moe,urs aura sans doute
contribué à leur stérilité ; ou plutôt Dieu, dans sa colère, n’aura pas voulit permettre
que de tels monstres laissassent après eux des descendans qui les auroient imités.
, Ce que je vais rapporter concernant les Mamlouks Beiks et Ghozzes, est presque
entièrement inconnu. J’ai été guidé dans mon récit par la tradition de témoins
oculaires et par une petite histoire que le cheykh Isma’yl-khachchâb, secrétaire
du divan du Kaire, mon professeur, en traça d’après ma demande. Ce petit manuscrit,
que j’ai rapporté avec moi d’Egypte, se trouve actuellement à la Bibliothèque
du Roi.
L ’Egypte coniptoit déjà quatre-vingts pâchâs qui l’avoient gouvernée, sous la I
dépendance absolue.du grand-seigneur, lorsqu’en 1 1 19 de l’hégire, c’est-à-dire,
sous Hasan, la discorde éclata entre deux beys, Qâsem Ayouâz, qui étoit alors
cheykh el-belâd, et Zou-l-foqâr, qui lui disputa le gouvernement du Kaire les I
armes à la main. Leurs deux maisons, l’une appelée Qâsemyeh et l’autre Zoti-l-1
foqâryeli, qui, avant l'arrivée de Hasan, vivoient en bonne intelligence j devinrent, I
aussitôt après, ennemiés irréconciliables, et se firent, excitées par le pâchâ, une I
guerre à mort qui dura quatre-vingts jours continuels.
Ces deux maisons, qui avoient leur séjour dans le sein de la capitale, ne vou- I
lant pas rendre les habitans victimes de leur haine personnelle, se donnèrent ren-1
dez-vous dans une plaine au-dehors du Kaire, nommée Qobbct el-A ’zeb, et là elles I
alloient chaque jour se mesurer. Les premiers rayons du soleil éclairoient les pre- I
miers coups, et l’action ne cessoit qu’à son coucher. Après avoir combattu toute I
la journée, chacun retournoit chez soi par une rue différente. Ce défi, qui se I
termina par la mort d’Ayouâz, n’altéra en rien la tranquillité générale : les marchés I
étoient ouverts et chacun vaquoit à ses affaires comme si l’harmon'ie la plus I
parfaite avoit régné parmi les chefs. Ayouâz fut. regretté de tous. Le peuple le I
pleura comme un juge équitable, et les beiks ses collègues et ses rivaux, comme I
un guerrier valeureux : aussi réclama-t-on pour Isma’yl son fils, jeune homme à 11 I
fleur de son âge, le cheykh-belâdat, que le pâchâ accorda d’autant plus volontiers I
qui! espéroit manier à son gré l’esprit du jeune Ismayl; Zou-l-foqâr, à qui cette I
charge avoit été promise, s’en vit frustré.
Ismayl, revêtu du gouvernement du Kaire, se comporta politiquement à l’égard I
de la maison Zou-l-foqâryeh, qui devoit être et étoit naturellement opposée à la I
sienne. Il réunit tous ses efforts contre le pâchâ, dont il connoissoit les menées I
secrètes. Sa conduite à l’égard de ce prince fut dissimulée, comme celle que les I
princes foibles ont coutume de tenir. Il condescendit extérieurement à tout ce I
que le pâchâ voulut, fit travailler sourdement contre lui à la Porte, et parvint I
a obtenir son rappel. On donna à Hasan divers successeurs qui eurent le même I
sort, parce qu’ils déplurent à Ismayl.
D E S M A M L O U I C S D ’ É G Y P T E . 1 6 7 *
"Fout en se precautionnant contre la rivalité de ses collègues et les intrigues
des pâçhâs, ismayl s'occupent des devoirs rde sa place ■ il rendoit au peuple une
justice désjntéreisée, comme vont le prouver les anecdotes suivantes.
Un' ift-gociarit du Kaire, nommé O'tman, avoit livré à un qapygy arrivé à la
•'càjjitàie ‘jiô,iti' une mission importante,' trois cents farq de café sur un billet payable
accheSnoe. Pendant le clclai, vint de Constantinople un firman qui déclaroit traître
le gàpygÿ, et 'ordonnent au pâchâ de le faire décapiter. Les ordres du divan
ayant été exécutés, on séquestra au profit du pâchâ les biens du coupable, parmi
lesquels-se trouvoient les trois cents balles de café en question. O ’tmân, que cet
événement imprévu alloit pour ainsi dire ruiner, envoya un de ses amis au cheykh
e'1-b.elad pour le prier de s intéresser en sa faveur et pour lui remettre la créance du
qapygy- Ismayl ayant reconnu toute la justice de la demande du négociant, envoya
de suite deux de sçs officiers au pâchâ- pour reclamer sa propriété, et lui exhiber
le billet qui la constatoit; le pâchâ, plutôt intimidé à la vue des deux députés
qu’enclin a faire droit à l’obligation qu’ils lui présentèrent, ordonna la main levée
des marchandises, qui furent restituées à leur légitime propriétaire. VbulanWensuite
reconnoître le service que le cheykh el-belâd lui avoit rendu, O ’tmân- le'pria
dlaccepter un riche écrin et plusieurs quintaux de sucre raffiné ; mais Ismayl les
refusa en disant a celui qui en étoit porteur: «Votre ami est dans son droit, ou
» non. S’il est dans son droit, je ne veux pas faire tort à sa fortune, en prenant un
» don considérable qui la diminueroit. Dans le cas contraire, je ne veux pas qu’il
» soit dit que je laie aidé à dévorer le bien d’autrui, r, L ’envoyé, étonnéf de ce
réfus généreux, revint rapporter à son ami ce qui s’étoit passé, en lui disant qu’il
avoit gardé seulement la huitième partie du sucre, dont il avoit donné le prix.
O tmân resta émerveillé d’un désintéressement si rare parmi les grands de l’Orient,
qui demandent avec bassesse, exigent avec hauteur, reçoivent avec effronterie, et
ne donnent que par caprice ou ostentation.
La seconde anecdote qui caractérise Isma’yl, est la suivante. Un scieur de long,
homme fort pauvre et son voisin, tous les soirs, en revenant de-son travail, sentoit
sgn odorat flatté par le fumet des viandes qu’on préparoit dans la cuisine du cheykh
el-belad, sans pouvoir satisfaire son appétit. Durant le jeûne du ramadân-, Isma’yl
tenoit, après le coucher du soleil, table ouverte, où étoient invités tous les récita-
teurs du Qoran et autres gens de religion. Le scieur de long saisit cette occasion
pour se mêler un jour parmi les conviés et s’introduire au banquet du gouverneur:
mais les haillons dont il étoit.a peine couvert, ne plaidant pas en sa faveur, le
firent rebuter. Plutôt animé qu abattu par ce contre-temps, il courut le lendemain
chez un qady de sa connoissance, lui emprunta un habillement complet, s’en
revêtit, et vint se présenter à la porte qui lui avoit été refusée la veille; son
accoutrement ayant facilité son entrée, il s’assit parmi les docteurs de la loi, et se
mit a manger plus qu eux tous ensemble. Le gouverneur, à qui sa figure commune,
ses manières gênées et sur-tout sa gloutonnerie donnèrent des soupçons, ou qui
peut-etre avoit été informé, résolut de s’amuser un moment à ses dépens. Le
repas fini,»comme il alloit se retirer avec ceux parmi lesquels il s’étoit introduit,