canal de Suez a la Méditerranée comme ie premier des travaux dont nous dussions
nous occuper !
Cependant notre empressement à cet égard se seroit probablement refroidi
par une connoissance plus approfondie de la localité ; la nature même du commerce
auquel on auroit ouvert ce nouveau chemin , nous auroit portés à en
retarder 1 exécution. Les marchandises de l’Inde qui abordent à Suez, sont
en effet si légères et d’un si grand prix, que les frais de leur transport par terre
a travers 1 isthme ne peuvent adcroître sensiblement leur valeur vénale sur les
différentes places de 1 Europe. D un autre côté, tant que les Musulmans feront
en caravane le pèlerinage de la Mecque, cette ville continuera d’être un grand
maiche, dou les productions de llnd e et de l’Occident, qu’on y transportera
à dos de chameau, en seront expédiées de la même manière pour toutes les
contrées soumises à I islamisme. Le seul fait de l’existence de cette religion maintiendra,
comme on voit, le commerce dans ses voies actuelles. Une autre cause
tend encore à l’y maintenir ; c’est la difficulté de donner au canal de navigation
que Ion ouvriroit entre la mer Rouge et la Méditerranée, assez de profondeur
d eau et des dimensions suffisantes pour que les mêmes vaisseaux puissent passer
d une mer dans 1 autre en suivant ce canal. II faut donc admettre que ces vais-
séaux seront obligés de rompre charge à Suez et à Alexandrie : ces deux villes
sont par conséquent destinées à offrir un emplacement naturel de magasins
pour les productions de I Orient et de l’Occident. Qu’on en rende le séjour plus
commode ; une population commerçante, plus nombreuse et plus riche, ne tardera
pas à s’y fixer.
Or, sous le ciel et sur la côte de l’Égypte, on trouvera un séjour commode partout
où l’on sera abondamment approvisionné d’eau douce. Les anciens firent
à cet égard, pour Alexandrie, ce que réclamoient.non pa? seulement les nécessités
de la vie, mais encore les habitudes du luxe le plus recherché : une grande partie
de leurs ouvrages existe encore ; il suffira de les restituer et de les entretenir.
Il n en est pas de meme à Suez : on y a bien autrefois amené l’eau de quelques
sources qui surgissoient au pied de la côte Arabique ; mais la quantité en étoit
trop petite pour que cet établissement s’accrût : il ne doit son existence et sa
conservation qu aux lois de la nécessité, qui veut que l’Égypte et l’Arabie possèdent,
au fond du bras de mer qui les sépare, une station commune d’où puissent
s’expédier leurs productions respectives. Suez deviendra une ville considérable
et le second port de l’Égypte, du moment qu’on y aura amené de l’eau potable.
Il faudrait la dériver du Nil et la prendre au-dessus du Kaire, afin que le canal
ou aqueduc qui la conduirait, fût alimenté le plus long-temps possible, dans
I intervalle d une inondation a I autre. On pourrait même donner à ce canal des
dimensions telles, que pendant la crue il pût être navigable pour des barques qui
porteraient des grains à Suez et en rapporteroient les cafés et les drogues qu’on y
auroit approvisionnes dans le cours de I année. Après l’exécution de cet important
ouvrage, de grandes citernes que l’on établirait sous le sol, des greniers spacieux
que Ion éleveroit au-dessus, appelleraient des négocians dans ce port, et le
rendraient bientôt aussi florissant qu’il est susceptible de le devenir; car il ne
faut pas croire que sa prospérité s’étende indéfiniment, de quelques améliorations
qu’on le fasse jouir. La ville du Kaire sera toujours par sa position le centre
des relations commerciales de l’Égypte avec l’Éthiopie et l’intérieur de l’Afrique,
le centre où viendront s’accumuler les capitaux du pays, et, par suite, une station
nécessaire entre les ports de Suez et d’Alexandrie.
On sait comment la découverte du cap de Bonne-Espérance fit perdre à
l’Égypte les avantages du commerce de l’Inde, et comment un nouveau continent
attira pendant trois cents ans une partie de la population de l’ancien. Les
mines et les cultures particulières à ces régions ont été une source de richesses
vers laquelle se sont précipités tous ceux qu’un esprit entreprenant et aventureux
disposoit à chercher fortune hors de leur patrie : aussi, depuis le x v .' siècle,
l ’Amérique a-t-elle été plus explorée et est-elle aujourd’hui mieux connue que
la côte septentrionale de l’Afrique, dont nous sommes cependant bien plus
rapprochés.
Un nouvel ordre de choses se prépare; quelles que soient les destinés futures
du continent Américain, il offrira encore long-temps un champ immense aux
spéculations des Européens : mais, quand nous aurons des colonies à fonder, il
faudra les porter ailleurs, et là probablement où nous nous serions dirigés dans
le x v .c siècle, si, à cette époque et depuis, l’Amérique n’eût point fixé presque
exclusivement l’attention du monde civilisé. La mémorable découverte de Christophe
Colomb, le plus grand événement peut-être dont l’histoire des hommes
fasse mention, a reculé jusqu’à nos jours le moment où doivent s’établir entre
les peuples du levant et ceux de l’occident de l’Europe, des relations qui feront
disparaître peu à peu les différences de leurs moeurs et de leurs habitudes ; le
xix.'siècle nous retrouve, sous ce rapport, au même point où nous laissa le siècle
de Léon X. C ’est de ce point que nous allons partir : la civilisation va pénétrer
en Orient, par cela seul que les nations Européennes pourront en faire, pendant
quelque temps, le théâtre de leurs guerres. Déjà notre expédition en Égypte
en a familiarisé les habitans avec d’autres usages que les leurs ; elle a étendu leurs
idées, affoibli leurs préjugés; ils ont apprécié la supériorité que nous donne sur
eux la pratique de nos arts modernes ; ils sont plus disposés qu’ils ne l’étoient à
les exercer; et, si jamais ils sont soumis à un gouvernement raisonnable, il ne
leur manquera que de connoitre la richesse de leur sol et tous les avantages de
leur position, pour que leur pays devienne encore une fois l’entrepôt du commerce
de l’ancien continent.
E . M . T O M E 1 1 .
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