battu inutilement, tirer enfin de sa bouche, ou des plis de son turban, l’argentI
demandé, et le remettre au percepteur. Etrange destinée ! Ces fellah musulmans I
descendent peut-être des compagnons de Mahomet, et ils sont battus de vergés«
par des Qobtes chrétiens, ou des Mamlouks renégats, dans une province musul-B
mane. Notre protection leur fut quelquefois utile; et l'intendant, sans oser nous!
le dire, nous maudissoit au fond de son coeur : mais on nous en aimoit davantagtl
à Menouf; et ce qui ailleurs eût été une simple jouissance personnelle, bien natu-l
relie à rechercher, étoit ici mêlé d’un sentiment d’orgueil national, inconnu à celui
qui n’a jamais quitté son pays. Loin de la patrie, on lui rapporte tout, rien à s o il
peu importe d’être nommé, pourvu que l’on entende dire : « C ’est un Français qu
a» m’a secouru de sa bourse, qui m’a protégé de son crédit ; c’est un Français qui n u l
» sauvé des mains de l’ennemi. »
SECTION II.
Départ de Menouf. — Description de la branche Thermutiaque. — RuinesM
d ’Atarbechis, de Byblos et de Busiris. — Arrivée à Semennoud.
• N o u s habitions Menouf depuis plusieurs mois, lorsqu’un détachement dtl
quinze hommes d’infanterie, tiré de la garnison de cette ville, reçut l’ordre de stl
rendre à Semennoud. Nous nous empressâmes de profiter de cette escorte pouil
parcourir une partie du Delta
Nous partîmes à pied le 20 frimaire; et, après trois heures de marche, non
arrivâmes à Chybyn-el-Koum, gros village situé sur le grand canal de Qaryneyn,!
deux lieues et demie de Menouf; nous y entrâmes avec l’intention d’y passe
le reste de la journée, et nous nous fîmes conduire en conséquence à la maisoi
des Mamlouks. Il y a de ces sortes de maisons dans la plupart des villages ; elle
sont destinées à loger les agens du Gouvernement qui parcourent les province.®
on n’y trouve aucun meuble, aucun ustensile ; mais les habitans sont obligés A ■
les meubler et de les pourvoir de tout ce qui peut être nécessaire.
Le cheykh envoya à notre détachement du pain et un mouton vivant, qir
l’on se partagea aussitôt ; quelques fellah vinrent nous vendre des poules et de
oeufs (1). Nos soldats se mirent à apprêter leur repas; et pendant que no
domestiques Egyptiens préparoient le nôtre, nous allâmes nous promener dan
le village. Nous remarquâmes des monceaux considérables de ruines et de dt
combres, qui annoncent une ville ancienne ; et nous ne doutions pas que si IV
y faisoit des fouilles, on n’y trouvât des monumens antiques. 11 est très-probable que ces débris appartiennent à la ville d’Atarbechis, don
parle Hérodote, et qui est désignée par Strabon sous le nom d'AphroditespdU
On en jugera du moins ainsi, si l’on adopte la position que nous avons crfl
devoir assigner à Nicü; car Hérodote place Atarbechis dans l’île Prosopitis, t
dit que l’on y voit un temple consacré à Vénus ; Strabon met la ville de Vénus
dans le nome Aprosopites, qui est certainement le même que le nome Proso-
pites ou Prosopitis des autres géographes, et Pline la che parmi les villes du
Delta. Son nom Grec d’Aphroditespoùs [ville de Vénus] lui avoit été donné à
cause du culte qu’on y rendoit à cette déesse. Son nom Égyptien d’Atarbechis
a la même étymologie. ’Amp, ou, comme l’écrit Orion, ’Ajàg, étoit le nom d une
divinité que les Grecs appelèrent Vénus (1) ; B*.¡u signiffoit une ville, et ce mot a
conservé la même valeur dans la langue Qobte.
(1) Dans les premiers temps de notre séjour en Egypte, en coûtoitcinq ou six. Ces prix-Ià doublèrent parlasuifl
on avoit une douzaine d’oeufs pour trois parahs; une poule Le parah vaut environ trois centimes et demi.
C ’est d’Atarbechis, suivant Hérodote, que partoient les bateaux qui alloient
dans toute l’Egypte chercher les osseniens des boeufs, pour les ensevelir religieusement
dans un même lieu (2). Cette navigation prouve qu Atarbechis éto'it
située sur un bras navigable du Nil; et Chybyn-el-Koum, placé sur le grand canal
dont nous avons parlé, satisfait à cette condition.
Ce canal ne présente nulle part les traces d’un travail fait de main d’homme :
dérivé, près du village de Qaryneyn, du principal bras du fleuve qui se dirige sur
Damiette, il coule d’un seul jet, à travers le Delta, jusqu’au village de Chybyn-el-
Koum, où il se divise en deux branches. L ’une de ces branches coupe obliquement
le Delta, et se jette, près du village de Farestaq, dans le bras du Nil qui passe à
Rosette. L ’autre, et c’est la plus considérable, se réunit, au-dessous de Sebennytus,
au canal de Tabanyeh, qui verse ses eaux dans le lac Bourlos, non loin de ruines
que l’on peut attribuer, avec beaucoup de vraisemblance, à l’antique Buto. Cette
seconde branche prend le nom de canal de Melyg, à partir de Chybyn-el-Koum,
jusqu’à sa jonction avec le canal de Tabanyeh.
Tout nous porte à croire que le canal que nous venons de décrire, depuis son
origine dans la branche de Damiette jusqu’à son embouchure dans le lac Bourlos,
n’est autre chose que l’ancienne branche Sebennytique de Strabon ; et l’on aura le
cours du fleuve Thermutiaque de Ptolémée, en y joignant la partie de la branche
de Damiette comprise entre le village de Qaryneyn et le sommet du Delta (3).
L ’ancienhe branche Sebennytique de Strabon est navigable ; elle a de l’eau toute 1 année, et le courant en est assez rapide. Elle a communément de cent cinquante
a deux cents mètres de largeur. Elle se divise quelquefois en plusieurs
bras pour former des îles, et elle alimente des canaux qui arrosent les territoires
des villes et des principaux villages du Delta. Cest ainsi que les eaux du fleuve
arrivent sous les murs de Mehallet-el-Kebyr et de Mehallet-Abou-Aîy.
Le 21 au matin, nous nous embarquâmes avec notre escorte sur le canal ;
nous en parcourûmes environ sept mille mètres avant d’arriver à Melyg,
dont il a pris le nom. Nous aperçûmes au sud de ce village, vers l’endroit
où le canal fait un coude, de hauts monticules en briques crues, qui indiquent 1 emplacement dune ville ancienne fort considérable. Nous croyons devoir
( 1 ) Jablonski, Panthéon Ægyptiomm, lib. t , cap. I, rassembler les os passent les retrouver facilement. ( He-
pag. 4 et 5. rod. lib. I l , J. 41. )
(2) On enterroit les boeufs les cornes hors de terre, {3) Vopeç le Mémoire sur les anciennes branches du
afin que les habitans d’Atarbechis chargés du soin d’en Nil.