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 » Ibrâhym  et Mourâd  résidoient  depuis  cinq  ans,  l’un  à Manfalout,  et  l’autre à  I  
 Girgeh,  lorsqfi'Isma’y l ,  quelques  autres  beys  et  beaucoup  de Mamlouks  attaches  
 a  sa  fortune,  moururent  au  Kaire  de  la  peste.  Hasan  presque  seul,  trahi  par  le  I  
 plus grand nombre de ceux  qui  restoient,  prévint,  en  fuyant  une  seconde fois dans  I  
 leSa’yd,  la  vengeance  de  Mourâd  et d’Ibrâhym,  qui  s’étoient  rendus  maîtres  du  I  
 Kaire  sans  combat :  ils marchèrent sur-le-champ  à  la poursuite  de  leur ennemi, et  I   
 le  poussèrent jusqu’au-delà de la première  cataracte.  Enfin, fatigues de  la guerre  et  I   
 désespérant de  le forcer en Nubie,  ils conclurent  un  traité  en  vertu  duquel Hasan-  I  
 bey, avec O ’tmân  et  Sâleh, qui  l’avoient  suivi,  obtinrent,  pour  l’entretien  de leurs  I   
 maisons, le  revenu  du  territoire  compris  depuis  Syène  jusqu’à  Gibleyn,  à condi-  I  
 non- qu’ils ne  descendroient  jamais  au-dessous  de  ce  dernier  point ;  ils  livrèrent  I  
 pour  la  garantie  de  ce  traité,  deux  beys  de  leur  parti,  dont  l’un  vivoit  encore  I  
 au  Kaire  lorsque  les  Français  se  sont  emparés  de  l’Egypte. 
 C’est  ainsi que  le Sa’yd,  gouverné, depuis  la mort  du  cheykh Hammam, par des  I  
 beys  proscrits  qui  s’occupoient  du  rétablissement  de  leur  fortune,  n’a  reçu  d’eux  I  
 aucune amélioration : aussi  le  peuple  des campagnes y est-il  dans  la  plus  profonde  I  
 misère.  Les  villages sont  composés  de huttes  en briques  crues,  presque  tous envi-  I   
 ronnés de ruines  qui annoncent le  décroissement de  la population. Leurs  habitans,  I  
 employés  une  partie  de  l’année  aux  travaux  pénibles  des  arrosemens,  se  nour-  I   
 rissent, comme nous 1 avons dit, de pain de dourah et de  quelques  légumes, et n’ont  I   
 pour  mobilier  qu’un  petit  nombre  de  vases  de  terre  et  d’autres misérables usten-  I   
 siles,  qu’ils  trouvent  à  peine  les  moyens'de renouveler  avec  le  produit  de  leur  I   
 travail,  quand  il  en  reste  quelque chose  après  le  paiement  des  impôts.,. 
 La puissance  qu’exerçoit  le cheykh Hammam  dans  les  provinces  les plus méri-  I   
 dionales de l ’Egypte, avoit enlevé aux diverses tribus  Arabes qui occupent l'extrême  I   
 lisière  de  la  vallée  du  N il,  l’influence  que  ces  tribus  exercent  sur  les  cultivateurs  I   
 dans  d’autres  parties  de  l’Egypte;  et  c’est  par  un  effet  de  l’ancienne  police  qu’il I   
 avoit  établie  dans  son  gouvernement,  que  les  beys  exilés  du  Kaire  y  ont  toujours  I   
 trouvé  des  ressources  que  les  autres  provinces  n’auroient  pu  leur  procurer. 
 Les deux rives  du  canal de Joseph sur la gauche  du Nil.,  et la province d’Atfÿeh, ■  
 du  côté  opposé,  sont  occupées  par  des  Arabes devenus  cultivateurs,  et  qui  sont  I   
 maîtres  de  plusieurs  villages.  Ces Arabes,  en  embrassant  un nouveau genre de vie,  I   
 n’ont pas,  pour  cela,  renoncé  à  leurs  anciennes  habitudes,  et  notamment  à  celle  I   
 de se procurer  par la violence  ce  qu’ils  ne  veulent point  acquérir  par  leur travail:  I   
 ils  s’emparent  de  vive  force  des meilleures  terres,  dirigent  le  cours  des  eaux  de ■  
 l’inondation,  et rompent les  digues,  aux  époques  qui  leur  conviennent  le mieux,  I   
 sans  s’embarrasser  des  intérêts  de  leurs  voisins,'  s’ils  les  croient  hors  d’état  de ■  
 leur  résister.  Ces  espèces  de  cultivateurs  qui  labourent  pour  ainsi  dire  la  lance ■  
 à  la  main,  exercent  une  sorte  de  suzeraineté  sur  lesfcllâh;  e t,  comme  il  n’est  I   
 pas  toujours  facile  de  leur  faire  payer  les  impôts  que  supportent  les  terres  cul-  I  
 tivées,  attendu  la  résistance  avec  laquelle  ils  sont  en  état  d’appuyer  leur  refus,  ■  
 le  privilège  qu’ils s’arrogent  tourne  au  détriment des anciens  habitans,  qui payent  I   
 d autant  plus  que  ces  Arabes  payent  moins. 
 Les  I 
 L  I NDUSTRIE  ET  L,E  COMMERCE  DE  l ’ÉGYPTE.  j   I  5 
 Les  droits  qu’ils usurpent  sont  tels,  que,  sans  aucune  formalité,  iis  s’emparent  
 de  la  récolte  des  villages  situés  à  leur  portée,  quand  celle  qu’ils  ont  faite  sur  
 leurs  propres  terres,  ne  suffit  point  à  leur  approvisionnement.  A   la vérité,  ils  
 accordent  en  retour  une  sorte  de  protection  à  ces  villages,  devenus  ainsi  leurs  
 tributaires;  mais  cette  protection,  toujours  chèrement  achetée,  n’est  pas  constamment  
 efficace,  de  sorte  que  tel  village  situé  entre  des  tribus  ennemies  est  
 pillé  alternativement  par  chacune d’elles. 
 Si  le  voisinage  des  Arabes  devenus  cultivateurs  est  aussi  dangereux  pour les  
 fellâh,  on  peut  juger  de  ce  que ces  derniers  ont à  craindre  des  Arabes  qui  vivent  
 encore  sous  des  tentes,  et  qui viennent  se  fixer,  suivant  les  saisons,  tantôt  sur  un  
 point,  tantôt sur  un  autre,  toujours  prêts  à s'emparer  de  ce  qu’ils  trouvent  à  leur  
 convenance,  et  à  s’enfuir  avec  leurs  troupeaux  ,  quand  on  peut  les  combattre  
 avec  des  forces  plus  grandes  que  celles  dont  ils  disposent. 
 Au  reste,  il  n’est  aùcun  de  ces  Bédouins  qui  ne  se  croie  fort  au-dessus  d’un  
 ftllâh,  au  travail  duquel  ils  attribuent  une  sorte  de  honte  :  comme  ils ne  recon-  
 noissent pas  de  droit plus  légitime que celui de  la force,  et qu’ils  n’attaquent pour  
 l’ordinaire  que  des gens  sans  défense, les avantages  qu’ils  obtiennent  les  disposent  
 naturellement  à  se  regarder  comme  les  véritables  propriétaires  du  pays. 
 Ce  n’est  pas  seulement  dans  l’Egypte  moyenne  que  les  fellâh  ont  à  redouter  
 le voisinage  des  Arabes  :  quelques  parties  de  la  province  du  Fayoum  sont  aussi  
 exposées  au  pillage  que  des  tribus  errantes  viennent  y  exercer  de  temps  en  
 temps. 
 Ces  tribus,  toutes  originaires  de  la  Barbarie,  sont,  il  est  vrai,  ennemies  les  
 unes  des  autres ;  et  peut-être  se  détruiroient-elles  mutuellement,  si  les  récoltes  
 et les  bestiaux  des  cultivateurs  leur  offfoient  un  butin moins  sûr : mais  elles  inspirent  
 une  telle  épouvante ,  que  tout  est  abandonné  à leur approche.  Elles sont  
 d’ailleurs  fort attentives  à s’éviter  réciproquement. 
 Deux  de  ces  tribus  s’étoient  établies  dans  le  Fayoum  lorsque  je  parcourois  
 cette  province,  les  Foi-gân  au  nord,  et  les  Somanlou  au  midi  ;  elles  sont  toutes  
 deux  composées  d’Arabes,  dont  les  uns  ont  conservé  les  habitudes  de  la  vie  
 errante,  tandis  que  les  autres  se  sont  répandus  dans  quelques  villages  et  ont  
 pris  les  moeurs  des  fellâh.  Ces  villages,  soutenus  par  la  tribu  à  laquelle  appartiennent  
 les  Arabes  qui  s’y  sont retirés,  ont  au moins  l’espérance  de  n’être pillés  
 que  par  la  ligue  opposée  :  quant  à  ceux qui  n’ont  point  l’appui  de  cette  espèce  
 de  patrons,  ils  courent  la  chance  presque  certaine  d’être  fréquemment  dévastés  
 parles uns  ou par  les autres de  ces  dangereux  voisins. 
 Les environs  des grandes  villes où le Gouvernement entretient  quelques forces,  
 sont  plus  a  iabri  des vexations  de  ces  Arabes  :  mais  la plupart  des  campagnes  de  
 la  basse  Egypte  sont  exposées,  comme  celles  du  Fayoum,  à  être  ravagées  
 par  les  tribus  nombreuses  qui  fréquentent  les  déserts  de  l’isthme  de  Suez  ou  les  
 bords  de  1 ancien  lac  Mareoùs ;  des  cavaliers  de  ces  tribus  passent  le Nil  à  l’im-  
 proviste,  et  viennent  enlever  dans  les  villages  les  bestiaux  et les  denrées  qu’ils y  
 trouvent.  Une  circonstance  particulière  sert  de  prétexte  à  ces  pillages. 
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