rentes époques l'étendue des terres ensemencées. C ’étoit un Qobte choisi par
l’intendant principal ou les écrivains des kâchef, qui, sous la dénomination de
messâh, en faisoit l’arpentage; il étoit accompagné d’un homme du pays .chargé
de lui indiquer les noms des cultivateurs r ils étoient inscrits sur un registre
avec la quantité de terre qu’ils exploitoicnt. Le messâh recevoit d’eux pour cette
opération une rétribution de 18 à 30 parats, qui varioit suivant les localités.
L ’état des terres mesurées étoit remis dans chaque arrondissement aux premiers
écrivains ; ils le faisoient passer à l’intendant du bey, et celui-ci, sur le vu de cet
état, fégloit le montant de l’impositioh par feddân : car la quotité de 1 impôt
n’étoit point fixe , elle augmentoit ou diminuoit suivant que l’inondation avoit
été plus ou moins abondante ; usage fondé sur la hausse du prix des denrées
lorsqu’elles sont en petite quantité,« qui conservoit au Gouvernement un revenu
à peu près constant, indépendant de la crue du Nil.
L ’impôt étoit ensuite perçu dans les villages, soit après l’ensemencement des
terres, soit immédiatement avant les récoltes ; mais il ne produisoit jamais ce qu’il
auroit dû produire, parce que l’état fourni par l’arpenteur étoit toujours inexact.
C ’est en effet sur cette opération que les fraudes des Qobtes sont les plus lucratives,
les plus aisées à commettre, et les plus difficiles à découvrir.
Lorsqu’une portion de terre est mesurée, l’arpenteur en calcule sur le lieu
même la superficie, et la proclame à haute voix en présence des habitans du
village, qui assistent ordinairement à cette opération. Cette publicité, chez un
peuple moins ignorant, seroit la sauvegarde des intérêts de chacun; mais cest
ici une forme illusoire, qui ne sert qu’à assurer d’une manière plus authentique
les marchés scandaleux dont l’arpentage est l’objet, quand on en altère les résultats,
soit en augmentant, soit en diminuant la quantité de feddân réellement en exploitation.
Dans le premier cas, le particulier qui se voit chargé d’un nombre de feddân
supérieur à celui qu’il croyoit avoir ensemencé, marchande avec l’arpenteur pour
obtenir de lui, moyennant une certaine somme, la remise de quelques feddân : si
ses propositions sont acceptées, il n’est inscrit sur le registre que pour une quantité
de terre à peu près égale à celle qu’il exploite ; si, au contraire, il ne fait aucune
réclamation, et ne prend point d’arrangemens particuliers, il paye en temps et
lieu un impôt qui excède plus ou moins celui dont il est véritablement redevable,
et dont le montant reste disponible entre les mains des percepteurs.
D a n s le se cond cas, un particulier qui a ensemencé une certaine étendue de
terre, e t qui ne v eu t payer l’im p ô t que d ’une p a r tie , s’a c com m o d e a v e c les Qobtes,
qui lui v en d en t ce tte réd u c tion.
L ’impôt perçu en nature fournit la matière d’une fraude encore plus productive,
et qui se commet publiquement. Lorsque les grains sont reçus par les Qobtes,
ils se servent d’une mesure beaucoup plus grande que celle qu’ils emploient quand
ils en font le versement dans les magasins publics ; et la différence entre ces
mesures, tout entière à leur bénéfice, monte quelquefois jusqua 2 y et 30 nrdcli
pour cent.
l ’ i n d u s t r i e e t l e c o m m e r c e d e l ’ é g y p t e . 580
Ces gains illicites, et quelques autres de moindre importance, étoient répartis
entre tous les individus de cette corporation, depuis le dernier scribe jusqu’aux
écrivains des kâchef. Quant à l’intendant du bey, qui étoit ordinairement un
personnage en crédit, et qui nommoit aux premiers emplois, il n’entroit point
dans les détails du partage ; mais il exigeoit une rétribution annuelle de deux
ou trois mille pataquès de chacun des écrivains principaux, qui trafiquoient à
leur tour des places d’arpenteur et d’écrivain subalterne.
Nous avons dit qu’il y avoit au moins un de ces écrivains dans chaque village;
ils étoient au nombre de trois ou quatre dans quelques endroits, et tous avoient
une famille à entretenir et des domestiques à leurs gages. Je ne crois donc pas
m’écarter de la vérité en portant à trente mille le nombre des individus qui vivent
en Égypte de la perception des droits du fisc, et en avançant que le découragement
absolu de l'agriculture et le dépeuplement des campagnes sont moins le
résultat du despotisme des beys que des manoeuvres frauduleuses de cette espèce
de financiers.