iorsqu’en nivôse an 9 il-retourna dans l’Ouâdy - Toumylât (1). Les résultats du
nivellement et I aspect du terrain devoient d’ailleurs le faire prévoir ; car les
lagunes nommées krah, au nord du Serapeum et de Cheykh-Henâdy, reçoivent
les eaux du Nil dans les inondations extraordinaires. Le général Reynier, qui a
long-temps commandé dans cette partie de i’Égypte, et qui a été à portée de questionner
souvent les habitans, le dit positivement (2), et il paroît n’avoir point
appris d eux que les eaux du Nil se soient jamais versées dans le bassin de l’isthme :
nous sommes même en état d'affirmer que cela n’a eu lieu à aucune époque,
quelque reculée quon la suppose; car on y trouveroit des traces du limon du Nil,
ainsi qu’on en découvre dans tous les endroits où se sont portées les eaux de ce
fleuve. Or nous avons fait, dans le bassin de l’isthme, plusieurs fouilles, sans
rencontrer la moindre parcelle de limon, tandis que, dans la vallée de Saba’h-byâr,
on le trouve par couches horizontales.
C e seroit: à tort que l’on opposeroit à notre témoignage un passage du Mémoire
de M. Le Père où il dit que les eaux du Nil arrivoient jusqu’à Cheykh-Henâdy (3) ;
car cet ingénieur en chef entendoit par-là le pied de la butte sur laquelle est
bati le santon, et il ne s est dispensé de le dire que parce que sa carte l’indiquoit
suffisamment. M. Devilliers, qui accompagnoit M. Le Père, s’exprime à cet égard
d’une manière très-précise dans son journal de voyage. Voici ses propres paroles:
« L ’eau s’étend jusqu’au pied de la dune sur laquelle est bâti Cheykh-Henâdy, et
» entoure une partie du plateau voisin, auquel on peut communiquer par une
” i^ S 116 de terre- ” Ce Poteau, nommé Gebel-Ifrayeh ou Krah, prend son nom
des lagunes nommées krah, qui lavoisinent, et qui, dans les crues extraordinaires
du Nil, forment le lac indiqué sur la cane sous le nom de Temsâh, ou lac du Crocodile(
4). L e Gebel-Krayeh est supérieur de 4o à j o pieds aux terrains fangeux qui
le bordent dans la partie nord; c’est dans ces bas-fonds que les eaux arrivoient, et
aucun des ingénieurs qui les ont vues, n’a eu l’idée qu’elles aient pu s’élever jusque
sur le plateau qui ferme et domine au nord le bassin de l’isthme.
Nous avons déjà dit que, le 30 brumaire an 9, les eaux du Nil n’avoient que
4 pieds 6 pouces 3 lignes de profondeur dans l’endroit le plus bas du canal
près le Mouqfàr, où elles ne cessèrent point d’être guéables; et l’on a vu que,
pour franchir les rives du bassin de l’isthme, il auroit fallu qu’elles s’élevassent de
(1) M. Devilliers avoit été chargé à cette époque, avec
M . V ia rd , de relever les canaux du N i l , depuis le Kaire
jusque dans la vallée de Saba’h-byâr. Voye^, page 734 ,
les renseignemens qu’il recueillit.
(2) D e l'Egypte après la bataille d'Héliopolis, par le
général Reynier.
(3) M. Le Père, page ¡6 4 , donne 151 pieds 11 pouces
*o lignes pour 1 ordonnée de nivellement d’un lieu
comme , dit-il, Henâdy el-Cheykh j ce qui semble placer
ce point à 1 pied 11 pouces 10 lignes au-dessous de la mer
Rouge. Mais il faut savoir que ce n’est point là l’ordonnée
du bâtiment lui-meme de Cheykh-Henâdy: car ce santon
n’a point été une de nos stations; notre ligne de nivellement
1 a laissé au nord. On voit donc que M. L e Père
.a étendu la dénomination de Cheykh-Henâdy à des terp
rains qui I’avoisinent. L a carte du nivellement fait voir
d ailleurs que la station n.° 16 4 , à laquelle correspond
1 ordonnée de 151 pieds 11 pouces 10 lignes, est à environ
3000 mètres de Cheykh-Henâdy. Enfin, lorsque
M . Le Père ajoute que toute cette partie du désert étoit
couverte des eaux de l’ inondation du N il en 1800, il n’a pas
meme entendu dire qu’elles arrivoient jusqu’à la station
n.° 164 ; ca r , pour cela, il auroit fallu que les eaux du
N il eussent été élevées au moins de 13 pieds 10 pouces
4 lignes au Mouqfar, tandis qu’elles n’y ont eu pour
maximum d élévation que 4 pieds 6 pouces 3 lignes.
(C e t te note a été approuvée par M. Le Père , auquel
je me suis empressé de communiquer mon travail.)
(4 ) M. L e Père d it, page $8, que ce lac se nomme
i US
Deneb el-Temsâh [Q u e u e du crocodile].
plus de 22 pieds au même endroit, ou plus exactement de 22 pieds 11 pouces,
savoir: 15 pieds 10 pouces 2 lignes pour atteindre le niveau de la mer Rouge, et
7 pieds o pouce 1 o lignes pour arriver à la hauteur de la rive nord du bassin.
Or le Nil avoit cessé de croître au Kaire le 12 vendémiaire : la vitesse des eaux
au Mouqfar annonçoit qu’elles avoient trouvé des terrains beaucoup plus bas,
sur lesquels elles se répandoient; et MM. Le Père, Chabrol et Devilliers reconnurent,
en brumaire et frimaire an 9, que les eaux n’arrivoient cependant point
dans le bassin de l’isthme. Depuis, aucun ingénieur, aucun membre de la Commission
des sciences et des arts, n’a pu, en raison des événemens de la guerre, retourner
dans cette partie du désert; seulement,à la fin de nivôse, c’est-à-dire,un mois après,
M. Devilliers s’étant porté dans la vallée de Saba’h-byâr, un peu au-delà d’A ’bbâçeh,
il y questionna plusieurs cheykhs Arabes et nombre d’habitans, qui tous s’accordèrent
à lui dire que les eaux n’avoient pas dépassé à l’est Cheykh-Henâdy, et
qu’elles arrivoient au Râs el-Moyeh ou el-Ballah ; ce qui étoit dire qu’elles se ver-
soient dans le lac Menzaleh.
Dans mon Mémoire sur les anciennes limites de la mer Rouge, j’ai fait connoître
l’aspect de l’intérieur du bassin.de l’isthme : j’ajouterai que le sel marin [muriate de
soude, ou hydro-chlorate de soude] y est en plus grande abondance que tout autre
sel ; les Arabes en font l’objet d’un commerce assez considérable avec l’Egypte et
la Syrie. Les grandes masses qui formoient un terrain retentissant et caverneux,
étoient composées principalement de ce sel, recouvert, en quelques endroits, d’un
peu de sable : ce plateau salin est brisé çà et là ; ce qui l’a fait comparer par M. Le
Père aux amas de glaçons que formerait la débâcle d ’une rivière sur une plage aride
et sablonneuse (1). Et moi, en approuvant cette comparaison, je dirai encore que
ce plateau salin représentoit en grand ce que nous voyons dans nos laboratoires,
lorsqu’une dissolution saline, renfermée dans une capsule, a été tellement concentrée,
qu’une croûte s’est formée à la surface, et s’est ensuite soulevée et brisée
par l’évaporation du liquide qui étoit au-dessous. Nous n’avons rien vu de semblable
dans les autres parties de l’isthme; les parcelles d’hydro-chlorate de soude
trouvées ailleurs ne peuvent entrer en comparaison avec les masses qui existent ici.
Quant au gypse que nous avons vu dans le bassin de l’isthme, il est presque
toujours mêlé à d’autres sels. Les torrens d’eau pluviale, quoique rares en ces contrées,
auront cependant suffi avec le temps pour dissoudre les parties les plus
solubles et sillonner le terrain en certains endroits, de façon à former ces masses
isolées qui, à une certaine distance, ont l’aspect d’un bois coupé à deux ou
trois pieds de terre ; le sulfate de chaux s’y présente quelquefois" cristallisé en
aiguilles rayonnantes, de façon à former des couches concentriques.
(1) M. Le P è re , /Mge t 6 j , dit que l’on croit ces pla- de mes confrères. M. Devilliers, qui cultivoit aussi cette
teaux salins d’espèce gypseuse. On voit qu’ il n’émet point branche de l’histoire naturelle, d i t , comme moi, dans
ici une opinion qui lui soit propre; celle qu’il se borne son journal , que le muriate de soude est en grandes
à citer est de quelqu’un qui n’avoit pas visité les lieu x, masses dans les endroits où le sol présente des crevasses,
ou qui ne les avoit pas observés avec soin, sous le rap- et qu’à travers c e lle s - c i il n’a pu atteindre, avec une
port de la nature du sol. M. Le Père m’avoit attaché à mesure d’un mètre, le terrain qui est au-dessous. Les notes
l’opération du nivellement, parce que je m’étois plus par- mises au journal du nivellement ne nous furent point
ticulièrcment occupé de minéralogie que quelques autres communiquées.
F . M . T O M E I L Y y y y