D E SC R IP T IO N HY DROG RA PHIQU E DE BENY-SOUEYF ET DU FAYOUM. 2 11
Les Sammâlou sont les seuls Arabes qui aient une résidence fixe dans le
Fayoum. Ils y sont très-anciens et très - puissans , mais souvent en guerre avec les
tribus étrangères, qui viennent faire des incursions dans la province. Ce sont
les Da’f t de Beny-Soueyf, qui entrent par Tâmyeh, lorsque les eaux atteignent les
terres cultivées des villages de Menfast et d’Ouboueyt, où ils font leur résidence
Ce sont aussi les Fergân, qui habitent les déserts d’Alexandrie et de la Bahyreh, et
qui, entrant par le Qasr-Qeroun, où est leur rendez-vous, viennent faire des expéditions
nombreuses, dans lesquelles ils pillent les villages des Sammâlou.
Les craintes de cheykh A ’iy n’étoient donc pas sans fondement; mais, les a y a n t
une fois vaincues; je me crus sans danger et ne pensai plus qu’à mon projet. J’endossai
le burnous, je couvris ma tête d’un tarbouch enveloppé du châle, et je
partis seul Français au milieu de trente Arabes bien armés, et résolus, me.disoiem-
ils du moins, à ne pas se laisser intimider. Cheykh A iy, voulant sans doute me donner
une bonne opinion de sa tribu, me parut, dès ce moment, animé d’un courage
que je ne lui avois pas vu jusqu’alors, et qu’il communiqua sans peine à toute
sa suite.
Nous quittâmes Médine le 16 nivôse an 9 [6 janvier 1801], à midi précis, et
nous suivîmes notre route exactement au nord, entre plusieurs canaux. Nous laissâmes
a gauche un canal sur les bords duquel je vis un petit déversoir en maçonnerie.
Nous passâmes bientôt près du village d’el-A’lâm, que nous avions à notre
droite, et nous entrâmes dans un bois clair et planté de palmiers, après lequel nous
arrivâmes au village de Ka aby el-Gedyd. Notre chemin le plus court étoit de suivre
au nord-est, vers Ma’sarah et Tâmyeh; mais, sur ce qu’on me dit qu’un monument
dont parle Pococke, et qui est connu sous le nom de Pieds de Pharaon, se trou-
voit près de là, nous continuâmes au nord, en traversant le canal qui passe à
Kaâby, et nous arrivâmes à une grande plage de grève, où est situé le village de
Bayhamou, auprès duquel s élèvent les prétendus pieds de Pharaon. Ces pieds ne
sontaütre chose que deux énormes masses formées de grosses pierres calcaires, portant
chacune environ 6 mètres de longueur sur un mètre 30 centimètres de largeur
et un mètre de hauteur, posées l’une sur l’autre sans ciment ni liaison. Les
deux tas, distans l’un de l’autre d’environ 120 mètres, sont entourés d’autres petits
tas disposés de même. On voit aussi de grosses pierres éparses, qui indiquenl
que ces tas étoient beaucoup plus élevés que je ne les ai vus; car ils n’avoient plus
alors que dix assises, portant ensemble une hauteur de 1 o mètres : leur plan forme
un carré d’environ 8 mètres de côté.
J avois remarqué que, depuis environ 4°o mètres au sud, la pente du terrain
commençoit à devenir légèrement sensible; ce qui pourroit faire penser que le lac
s’étendoit jusqu’à ce point. Notre marche avoit été réglée depuis Médine, et nous
faisions environ 3 5 ° ° mètres à l’heure : il étoit alors deux heures moins un quart
De ces ruines, j apercevois au milieu d’un grand groupe de palmiers au nord le village
de Sennoures, où j arrivai à trois heures, étant parti des Pieds de Pharaon à deus
heures précises.
Sennoures est un assez grand village, bâti sur un monticule, le plus élevé de tous
ceux que jai vus en Egypte, et dont jai estime la hauteur à environ yo mètres.
Il formort vraisemblablement autrefors une île du lac, dont on commence à apercevoir
les eaux lorsqu’on est arrivé au haut du monticule.'Sennoures est un dépôt
des salines que 1 on exploite sur Je lac. Je descendis dans la maison du cheykh el-
Habachy, de qui je reçus l’accueil le plus amical. J’achetai dans le village l’orge et
les fèves nécessaires pour les chevaux dans le désert, et je partis à cinq heures,
dirigeant ma routé encore au nord. Nous marchâmes de jour jusqu’à six heures
et demie, quoique nous fussions au solstice dhiver, et nous arrivâmes sur le
bord d’un petit ruisseau nommé Batch, qui coule de l’est à l’ouest, et porte J’eau
depuis Tâmyeh jusqu’au Birket-Qeroun. Elle est amenée de Tâmyeh par un canal
venant de Roudah, et à. Roudali par celui qui passe au pied de la pyramide du
labyrinthe, et par les suintemens du Bahr-belâ-mâ.
Au point où- notre câravane arriva, le ruisseau étoit guéable; il avoit environ
8 mètres de. largeur et 32 centimètres de profondeur d’eau; mais j’observai
qu’il étoit creusé en formé de canal, sur une profondeur d’environ 10 mètres et
une largeur de 80 mètres. Nous étions à deux lieues ouest de Tâmyeh, et l’eau,
encore très-bonne, ne se ressentoit nullement de la proximité du lac. Nous y
fîmes notre provision d’eau, et nous remplîmes nos outres pour toute la traversée
du désert.
Cheykh A ’iy me dit que ce point/étoit celui du passage des caravanes qui vont
directement de Gyzeh à Sennoures. L ’inondation n’interrompt même pas la marche
de ces caravanes, qui alors remontent jusqu’à Selleh.
l’observai que, dépuis Sennoures, la pente vers le lac étoit encore plus sensible
qua Bayhamou, et que Je plan suivoit une seconde pente de l’est à l’ouest ces
pentes étoient tellement marquées, que de la crête du Batch je ne voyois plus au
sud qu’une bande générale, tranchant fortement sur l’horizon.
Lorsque nous eûmes rempli nos outres, l’obscurité étoit déjà complète ; car
on sait que, dans ces climats, le crépuscule est beaucoup plus court qu’en Europe;
nous nous déterminâmes donc a passer la nuit dans ce lieu. Cependant nous allâmes
établir notre camp sur la crête du bord septentrional, à environ une demi-heure
de distance ouest du point où nous avions passé à gué le canal de Batch.
Depuis notre départ de Médine, mes compagnons de voyage composoient
leurs maniérés sur la conduite de cheykh A ly envers moi. Celui-ci ne me quittoit
pas; et, malgré la difficulté que j’éprouvois de m’exprimer dans sa langue, il ne
parloit qu’avec moi. Dans la vue de me distraire, et de me plaire sans doute, il
me racontoit des histoires dont j’avois, je l’avoue, grande peine à suivre le fil,
mais qui me donnoient plus de distractions que je ne voulois, parce que j’étois
tout entier a.mes observations. Quelquefois, au milieu de son récit, j’apercevois
au loin un objet qui piquoit ma curiosité; j’y courois ; mais aussitôt son cheval
au galop etoit sur les traces du mien. Les Arabes, voulant aussi me distraire,
executoient des combats simulés, en courant alternativement les uns sur les
autres; après quoi, l’un d’eux venoit auprès de moi me faire entendre les chants
héroïques de la tribu. L ’air de satisfaction que je lui montrois, étoit sa récom-
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