La plupart des habitans du Delta, sous les noms de S ad et de Harâm, forment
entre eux deux partis ennemis qui se nuisent par toute sorte de moyens. Interrogés
sur l’origine de cette division, ils racontent des fables ridicules, ou
conviennent de bonne foi qu’ils l’ignorent. Cette origine est.au surplus, ce qui les
intéresse le moins : les hostilités n’ayant jamais été suspendues, chaque parti a
toujours des injures récentes à venger.
Quoique l’existence de ces deux partis soit généralement connue, les cheykhs
du Kaire, qui passent pour savoir le mieux l’histoire de leur pays, ne sont pas
d’accord sur les faits qui leur ont donné naissance. Ce que j’ai entendu de plus
raisonnable se réduit à ceci :
Pendant les guerres civiles qui désolèrent l’Arabie sous le calife Yezyd ben-
Hayoueh, vers l’an 65 de l’hégire, les deux armées prirent pour mot de ralliement,
dans un combat de nuit, les noms de S a d et de Harâm, sous lesquels on
connoissoit les familles de leurs chefs respèctifs. Les combattans et leur postérité
se les appliquèrent dans la suite; ce qui perpétua leurs discordes et mit un obstacle
invincible à leur rapprochement. Les Arabes qui sont venus à différentes époques
s’établir en Egypte, y ont apporté, avec le nom de la faction à laquelle leurs
ancêtres avoient été attachés, leur haine invétérée contre la faction ennemie, et
cette haine s’est perpétuée jusqu’à présent de génération en génération.
C ’est à ces divisions intestines qu’il faut attribuer l’influence des Arabes Bédouins
et la terreur qu’ils inspirent dans l’intérieur du Delta : un petit nombre de cavaliers
enlève ordinairement sans résistance des troupeaux qu’une population considérable
pourroit défendre à main armée; mais ces Arabes, toujours sûrs d’être accueillis
et secourus par les villages du parti contraire à ceux qu’ils dépouillent, et
ne conservant de liaison avec un parti qu’autant que l’exigent des intérêts momentanés,
exercent impunément leurs brigandages dans toute la province.
Quant àla police intérieure des villages, elle est maintenue, tant bien que mal, par
un ou plusieurs cheykhs, qui font avec les Qobtes percepteurs la répartition des
impôts: ces fonctions leur procurent une certaine considération, dont ils abusent
quelquefois. Au reste, ces cheykhs, divisés entre eux de village à village, arment sous
le moindre prétexte leurs paysans les uns contre les autres; et les Mamlouks, dont
l’autorité se trouvoit affermie par ces divisions, ne manquoient pas de les entretenir.
S E C T I O N V .
Des diverses Cultures de l ’Egypte.
L e s plantes cultivées en Egypte sont destinées à la nourriture de l ’h om m e , ou
propres à servir de fourrage pour les animaux, ou bien enfin elles trouvent leur
emploi dans différens arts.
Nous allons décrire séparément ces diverses cultures.
§. I ."
Culture du B lé.
L e h\é [Triticum] est cultivé dans toute l’étendue de l’Egypte, depuis le territoire
d’Edfoû, à dix-huit lieues au-dessous de Syène environ, jusqu’à l’extrémité septentrionale
du Delta. Mais tous les cantons ne sont pas également propres à cette
culture, et les procédés en varient suivant que les terres sont inondées naturellement
par le Nil et les canaux qui en sont dérivés, ou bien qu’elles sont arrosées
artificiellement, soit à bras d’homme, soit à l’aide de roues à pots, que l’on
appelle aussi sâayeh.
Les parties de l’Egypte les plus fertiles en blé sont, en descendant du midi
au nord, les provinces de Thèbes, de Girgeh, de Syout, de Minyeh, du Kaire, de
Menoufyeh et de Mansourah.
Les semailles commencent immédiatement après la retraite des eaux, c’est-à-
dire, vers le commencement d’octobre, dans la haute Egypte, et quinze jours
plus tard dans le Delta. On donne à la terre un premier labour, à J’aide d’une
charrue très-légère (1) : elle est attelée de deux boeufs, et conduite par un seul
homme. Il faut deux jours de.travail pour le labour d’un feddân.
Quand les terres ont été long-temps sous les eaux, comme il arrive à celles
qui sont situées en amont des digues transversales par lesquelles la vallée de la
haute Egypte est barrée, on est dispensé de ce premier labour. L ’ensemencement
a lieu pendant que la terre est encore en état de boue. On y procède toujours
en.jetant le grain à la volée, comme en Europe.
La quantité de semence employée dans le Sa'yd est généralement d’un demi-
wdeb par feddân. Un homme peut aisément ensemencer un feddân dans un jour.
Lorsque la terre présente un certain degré de consistance après la retraite des
eaux, on recouvre le grain par un second labour. Si la terre .ensemencée a été longtemps
submergée, et si, après l’ensemencement, elle est encore molle et fangeuse,
on recouvre le grain en y faisant traîner par deux boeufs un tronc de palmier
transversal, qui fait l’oifice d’une herse.
Dans les différentes provinces de la haute Egypte, la culture du blé qui a été
semé sur les terres inondées naturellement, n’exige aucun travail depuis l’époque
des semailles jusqu’à celle de la moisson, c’est-à-dire, pendant l’espace de cinq à
six mois.
La récolte sê fait à la fin de mars ou au commencement d’avril. L’état de
dessèchement où se trouve la terre dans cette saison, et les gerçures dont elle
est entrecoupée, permettent d’arracher aisément la plante et ses racines. On en
fait de petites gerbes du poids de dix à douze livres. Quatre journées d’homme
suffisent pour la récolte d’un feddân. Les moissonneurs sont payés en grain : ils
reçoivent chacun un rob’ ou ~ d'ardeb pour prix de leur journée.
(1) Elle est représentée dans les Arts et Métier s , planche 1X , fig. i , et parmi les meubles et instrumens,
planche MM.
£. M. TO M E I I . 11 ÎM