de l’expérience du passé qu’à user de prévoyance pour l’avenir, ils nenvisagcoii iu
que le moment présent; et, certains de tout obtenir par la violence, ilss’embarras-
soient peu d’améliorer une terre sur laquelle ils ne faisoient, en quelque sorte,
que passer : d’ailleurs la forme bizarre de leur gouvernement excluoit tout système
suivi d’amélioration, et celle du sol en particulier exige des avances trop considérables
pour qu’un tel assemblage d’hommes dépourvus de toute instruction, et qui I
ne connoissoient que les jouissances du luxe, se déterminât a les faire.
Dans cet état de dégradation, la partie de l’Égypte comprise entre Syout et I
Qené a cependant été améliorée vers le milieu du siècle dernier : il paroît qu’on I
y entretenoit avec assez de soin les digues et les canaux nécessaires aux irriga- I
dons ; mais c’étoit précisément parce que les Mamlouks ne la gouvernoient pas. I
Les bords de la vallée d’Égypte sont habités à l’orient par des tribus d’ Arabes I
venues directement de l’Yémen, et au couchant par d’autres Arabes q u i, après I
s’être répandus dans tout le nord de l’Afrique et les parties occidentales de I Eu- I
rope, se sont rapprochés à différentes époques du pays dont ils étoient originaires. I
Les uns ont continué de mener une vie errante, et d habiter avec leurs troupeaux I
sur les confins du désert ; les autres se sont plus avancés vers le Nil, et sont I
devenus cultivateurs.
Une des tribus venues des environs de Tunis se fixa, il y a environ deux cent I
cinquante ans, entre Girgeh et Farchout; elle s’établit d’abord sur des terres qui I
n’étoient point cultivées, fit l’acquisition de quelques villages, s empara de vive I
force de quelques autres, et finit par occuper tout le territoire compris entre Hoù I
et le village de Cheykh-Selym. La plupart des Arabes de cette tribu, connus sous I
le nomSHaouârah, devinrent riches propriétaires ; ils étoient sous la dépendance!
d’un grand cheykh, qui résidoit ordinairement à Farchout. Le dernier de tous,!
nommé Hammam, gouvernoit le Sayd, depuis Syout jusqua Syene, et il en per-1
cevoit les revenus pour son propre compte, moyennant une redevance annuelle I
de 150,000 ardeb de blé qu’il payoit aux beys et aux pâchâs du Kaire.
La puissance du cheykh Hammâm, qui donnoit depuis long-temps des inquic-l
tudes au Gouvernement du Kaire, se seroit infailliblement accrue parles dfissen-1
sions des Mamlouks, si A ’iy-bey ne s’étoit pas emparé de l’autorité absolue.
A peine la crut-il affermie entre ses mains, qu’ il fit marcher contre le cheykb une
armée dont il confia le commandement à Mohammed Abou-dahab, son favori ;
Hammâm, à la tête de 35,000 cavaliers levés sur ses terres, s’avança pour l ’arrêter;
mais il fut battu deux fois près de Syout, et, sa nombreuse cavalerie s’étant dispersée,
il s’enfuit à Esné, où il mourut en 1769.
Ses enfans furent trop heureux de pouvoir acheter la paix au prix des richesses |
de leur père ; ils furent dépossédés de la majeure partie de leurs biens : on sent
que la politique des beys n’a pas depuis permis l’agrandissement d une famille
dont la puissance avoit menacé la leur.
S’il faut juger de l’administration du cheykh Hammâm par la réputation qu il
a laissée, l’Égypte supérieure fut heureuse sous son gouvernement : riches ou
pauvres, Mahométans ou Chrétiens, tous les habitans ont sa mémoire en véneration
; il n’en est aucun qui ne parle,avec l’expression du regret, de la police qu’il
avoit établie, des soins qu’il mettoit à l’entretien des canaux et dés digues, et de
l’état florissant auquel il avoit amené l’agriculture. Quand leurs récits seroient
exagérés, ces témoignages unanimes prouvent du moins que le cheykh Flammâm
fit quelque bien dans le pays qu’il gou ve rn ait à ce titre le souvenir de son nom y
sera long-temps conservé.
Le Sayd, après sa mort, devint le refuge des beys qui furent successivement
proscrits les uns par les autres : l’objet unique de leur ambition fut toujours,
comme on sait, de revenir gouverner le Kaire ; mais il falloit.pour en acquérir les’
moyens, grever les terres d impositions énormes. Voilà comment l’histoire de ces
exilés se lie à celle du dépérissement de l’agriculture dans la haute Égypte
Mohammed Abou-dahab, chassé par A ’Iy-bey, fut le premier qui s'y réfugia,
avec son collègue Ismayl ; ils revinrent quelque temps après .forcèrent A ’iy-bey
d’abandonner sa capitale, le firent prisonnier près d’el-Arych, et l’envoyèrent en
Égypte, où il paroît qu’il fut empoisonné.
Cependant Mohammed s avança en Syrie, prit Jaffa, et mourut devant Acre ;
son armée en désordre se replia sur le Kaire. Mourâd et ïbrâhym, kâchefs de sa
maison, furent créés beys. U paroît qu’alors le gouvernement se partagea en deux
factions : lune, de la maison d’A ’ly, avoit pour chefs Hasan et Ismayl ; l’autre,
de là"maison de Mohammed, étoit conduite par ïbrâhym et Mourâd. Celle-ci
ayant succombé, ses deux chefs se retirèrent dans la haute Égypte en 1775. Ils
étoient les maîtres du cours du Nil, depuis Beny-Soueyf jusqu’au-delà de Syène,
lorsqu Ismayl marcha contre eux : mais, tout-à-coup abandonné des siens, et particulièrement
de son collègue Hasan, au moment où les deux partis étoient en
presence au-dessus de Farchout, il fut contraint de prendre la fuite ; if se retira
d abord en Syrie, d’où il passa à Constantinople, et de là à Derne, sur la côte de
Barbarie.
Mourâd et ïbrâhym accoururent au Kaire, d’où ils gouvernèrent toute l’Égypte
pendant un an, de concert avec Hasan-bey ; ils ne vécurent pas plus long-temps
en bonne intelligence. Hasan, obligé d’abandonner la place, partit pour Suez
s’y embarqua avec quelques amis, aborda à Qoçeyr, et vint s’établir à Qené'
Ismayl, informé de cette nouvelle révolution, s’empressa de le rejoindre en traversant
les déserts de la rive gauche du Nil. Ils renouvelèrent leurs anciennes
liaisons, réunirent leurs moyens, et convinrent de garder le pays compris depuis
Qene jusqu à Syène, et d’en partager les revenus.
Les choses étoient dans cet état lorsque Savary et Volney ont écrit leurs voyages.
Depuis cette époque, la fortune des beys n’a pas souffert moins de vicissitudes :
le qapytân pâchâ, ayant débarqué en Égypte en 1785, chassa du Kaire Mourâd
et ïbrâhym, et y rappela les deux beys du Sayd, à la disposition desquels il laissa
une partie de son armée; iis l’employèrent à poursuivre leurs anciens antagonistes,
qui, profitant à leur tour du départ de cette armée pour Constantinople,
revinrent sur leurs pas jusqua Beny-Soueyf, où ils fixèrent de nouveau la limite de'
leur gouvernement, sans qu’on pût les forcer à remonter plus haut.