
Les divers parallèles que je viens d’établir, les relations qui ont toujours existé
et qui existent encore entre les Abyssins et les Qobtes, la concordance de leurs
usages, de leurs moeurs et même de leur culte, me paroissent suffisamment prouver
que les Egyptiens descendent réellement des Abyssins et des Éthiopiens. De plus,
il est naturel de penser que les Éthiopiens suivirent, dans les premiers temps, le
cours du Nil, et. qu’ils s’arrêtèrent à fur et mesure dans les pays que ce fleuve
fertilise : mais ces établissemens n’ont eu lieu que d’une manière successive, de
même aussi que ce peuple s’est étendu successivement d’Éléphantine à Thèbes,
a Memphis et à Héliopolis ; les autres villes au-dessous de celles-ci ne se sont
formées que long-temps après.
J ai distingué également trois espèces de momies, qui m’ont paru appartenir à
trois classes de citoyens, et peut-être à des générations différentes. Celles de la
haute Égypte sont généralement plus belles et mieux soignées que celles de la
basse Égypte. Les momies que je range dans la première classe, sont fermes,
solides, enduites de bitume, embaumées avec la même substance, entourées de
bandelettes de toile de lin, formant autant de bandages de chirurgie qu’il y a de
régions dans le corps humain ; elles sont enveloppées dans un étui de carton,
parsemé d hiéroglyphes ; et toutes ces parties sont contenues dans une caisse de
sycomore, sur le couyercle de laquelle est peinte l’image de la personne. 11 paroît, comme le dit H érodote, qu’après avoir vidé les trois principales cavités
du corps, on les remplissoit avec du bitume; on en injectoit aussi les membres
et toutes les parties extérieures; et cette substance étant en pleine fusion, péné-
troit si profondément dans ces parties, que les os en étoient infiltrés, de manière
que ces corps ont pu et peuvent encore se conserver d’autant plus long temps,
quils se trouvent dans un climat où il pleut rarement, et que les lieux où ils
sont déposés sont très-secs et dépourvus d’air. Après avoir enlevé les enveloppes
aux momies de cette classe, on reconnoit d’abord le sexe et les principales formes
de'lindividu : la face, les mains et les pieds de quelques-unes d’entre elles sont
recouverts de feuilles d’or artistement appliquées. C ’est sous les bras ou dans le
corps de ces momies, qu’on a trouvé ces écrits rares, connus sous le nom de
papyrus, dont les caracteres sont encore ignorés. Chacune de ces momies porte en
outre les attributs de 1 art ou de la profession que l’individu a exercé pendant sa vie,
et ses ustensiles sont renfermes avec lui dans le cercueil. Ce premier genre d’embaumement
, destine aux principaux citoyens de l’É tat, exigeoit de longs et grands
préparatifs, et beaucoup d ingrédiens qui devoient le rendre fort dispendieux.
La seconde classe de momies étoit moins belle, moins parfaite; les bandages
étoient dune toile moins fine, appliqués avec moins d’art. Ces momies n’avoient
pas 1 enveloppe de carton; et le cercueil ’de sycomore qui les contenoit, étoit
moins finement travaillé, et non orné de peintures, comme les cercueils de la
première espèce.
Les individus de la troisième classe s’embaumoient à moins de frais, et le
mode d embaumement varioit a 1 infini. Toutes les momies de cette classe ont
ete préparées avec des injections de matières salines et plus ou moins corrosives,
faites dans les cavités du corps, telles qu’une dissolution de natroun ou sel marin:
après avoir ainsi bien salé ces corps, on les faisoit dessécher au soleil, ou on
les exposoit à l’action du feu jusqu’à parfaite siccité ; on les enfermoit ensuite
dans des caisses de sycomore taillées grossièrement. Toutes ces opérations étoient
sans doute dirigées par des hommes versés dans la chirurgie.
P o u r compléter cette notice, nous allons y joindre le précis de la méthode à
l’aide de laquelle nous avons embaumé, en Europe, les corps de quelques guerriers
morts au champ d’honneur.
Si le sujet dont le corps doit être embaumé, est njort de maladie chronique
avec marasme, pourvu qu’on ne soupçonne point de dépôts purulens dans les
viscères, que la putréfaction ne se soit pas déclarée, et que le corps soit intact
à l’extérieur, on peut conserver les entrailles dans leurs cavités respectives, excepté
le cerveau, qu’il faut toujours extraire. Dans cette supposition, on commencera
à laver toute l’habitude du corps avec de l’eau pure et fraîche; on fera passer
dans les gros intestins des lavemens du même liquide, et l’on absorbera avec la
seringue vide les matières délayées qui n’auroient pu sortir, à raison de leur propre
poids et de la pression exercée sur le bas-ventre. On absorbera aussi les matières
contenues dans l’estomac par le même moyen. H suffiroit d’adapter une sonde
oesophagienne au siphon de la seringue, qu’on introduit dans ce viscère par la
bouche ou par une ouverture pratiquée à l’oesophage, au côté gauche du cou.
On remplit ensuite l’estomac et les intestins d’¿ine matière bitumineuse qu’on
met en fusion ; on bouche les ouvertures, et l’on procède de suite à l’injection
du système vasculaire. Pour cela, l’on détache un lambeau de la partie
intérieure et latérale gauche de la poitrine, vis-à-vis la crosse de l’aorte ; on
coupe un ou deux des cartilages qui la recouvrent; on place dans l’intérieur
de cette artère un siphon à robinet, à la faveur duquel on pousse une injection
fine, colorée en rouge, pour remplir les vaisseaux capillaires de tout le système
membraneux; on fait immédiatement après et par le même moyen une seconde
injection plus grossière, pour remplir les artères et leurs ramifications, et une
troisième pour les veines , qui doit être passée par l’une des crurales : on
laisse refroidir le cadavre et figer la matière des injections. Pour vider le crâne,
on applique une large couronne de trépan à l’angle d’union de la suture sagittale
avec la suture occipitale, après avoir fait une incision longitudinale à la peau,
sans toucher aux cheveux, qu’on a soin de conserver, comme íes poils des autres
parties du corps. Cette ouverture faite, on rompt les adhérences et les replis de
la dure-mère, a laide d’un scalpel à deux tranchans, long et étroit; on arrache
les lambeaux de cette membrane avec une érigne mousse, et l’on fait sortir toute la
masse du cerveau et du cervelet avec le même instrument, et des injections
d eau froide, qui dissolvent promptement la substance cérébrale : on réunit ensuite
les bords de la division des tégumens avec quelques points de suture.