dénomination de Fcllihite. Elle descendoit de Fellah, Mamlouk de Solymân-
ketkhoudah, qui trahit O’tmân pour Ibrâhym. Ce Eellâh dut sa fortune à sa jeunesse
qui le fit aimer des femmes de son maître, et il employa ses richesses, suivant la
coutume du temps^ à l’achat de Mamlouks qui, s’étant avancés et ayant acquis
eux-mêmes d autres Mamlouks, le rendirent chef de la maison Fellâhite. Cette
maison, du temps d’A ’ly-bey, comptoit environ quatre-vingts patrons, pour la plupart
propriétaires de plus de cent Mamlouks. Ce degré de force ayant rendu 'les
Fellâhites redoutables au cheykh el-belâd, celui-ci s’empara de la citadelle, et leur
enjoignit, par le canal d’Ahmed - Gezzâr, de sortir du Kaire, menaçant, sur leur
refus, de les écraser. Plusieurs obéirent à cette injonction ; et ceux qui s’y refusèrent,
périrent, ou rachetèrent leuf vie au poids de l’or. Il fut défendu à ceux
qu’on épargna d’avoir plus d’un Mamlouk en propriété.
Mohammed, pâchâ et vizir d’Egypte, attira ensuite les regards d’A ’ly, qui, voyant
en lui un supérieur incommode, le chassa du Kaire- et lui fit reprendre ignominieusement
le chemin de Constantinople. Ce dernier coup d’autorité développa
son caractère à-la-fois humain et dur : humain par politique, et dur par intérêt. Il
se vit obligé de pressurer les riches pour faire face à Ses dépenses ; et c’est pour
couvrir le déficit de ses finances qu’il exigea des propriétaires de biens-fonds les
impôts d’une année anticipée, qu’il s’appropria les douanes, les revenus des pâchâs,
et divisa les villages en trois classes, qu’il imposa, ceux de la première à cent, ceux
de la seconde à cinquante, et ceux de la troisième à vingt-cinq piastres d’Espagne.
Outre les vivans, il mit encore les morts à contribution. Il créa un droit de sépulture,
qui se payoit à la porte des cimetières; droit renouvelé des Pharaons. Malgré
ces impôts arbitraires, il s’occupa de l’administration. Il voulut tout voir par lui-
même , se montra compatissant à l’égard du pauvre, et intraitable pour le riche. Il
défendit à ceux qui dépendoient de lui de se mêler d’aucune affaire sans sa participation
, et sévit avec la dernière rigueur contre ceux qui contrevinrent à ses ordres.
Les concussionnaires principalement encoururent sa colère. Ces impôts exorbitans,
cette administration rigoureuse, amortirent le peu d’énergie que le peuple d’Egypte
conservoit encore, et le jetèrent dans cet état d’inertie où il languit aujourdlhui.
Dans ce même temps, Mohammed Abou-deheb laissa percer quelques étincelles
d’ambition qui donnèrent de l’ombrage à A ’iy. Afin de le tenir en haleine, A’Iy. 1 envoya, contre Je cheykh Arabe Hamâm, qui tenoit toute la haute Egypte sous
sa dépendance. Ce cheykh étoit redoutable tant par le nombre des combattans qui
lui obéissoient, que par son apte grande et généreuse qui lui faisoit accueillir
tous ceux,qui avoient fui les troubles de la capitale; ce qui avoit grossi d’autant son
parti. Mohammed, suivi de son bonheur accoutumé, attaqua le cheykh, le tua,
et acquit, par cette victoire, à A ’Iy son maître, la possession de toute l’Egypte
supérieure.
Mohammed, après cette expédition, retourna au Kaire dans l’intention de faire
périr Ahmed-Gezzâr, parce qu’il craignoit que celui-ci ne le prévînt dans le
dessein qu’il méditoit contre A ’iy, leur maître et leur bienfaiteur. Il mit pour cela
en usage une ruse qui échoua. Le vainqueur de la haute Egypte n’eut pas honte
d’employer la perfidie contre le pacificateur de 1 Egypte inférieure. Ahmed possé-
doit un sabre renommé par la finesse de sa trempe et la richesse de sa monture.
S’en trouvant ceint un jour en la compagnie de Mohammed, celui-ci, qui vouloit
le faire servir à ses desseins, lui dit : « Voyons, Ahmed, si la lame de ton sabre
» répond à sa réputation. » — « Mon sabre ne se tire que pour frapper » , lui
répliqua Ahmed, qui avoit deviné sa pensée. A ces paroles, il se leva, quitta sur-le-
champ le Kaire, échappé, pour ainsi dire, à son propre glaive, et se retira à Constantinople
, où il obtint le pâchâlik de Saint-Jean-d’Acre, qu’il exerça jusqu’à sa mort.
La conquête du Sayd donna a A ly le goût d’en entreprendre d’autres. On lui
donna à entendre que celle de l’Yémen lui seroit aussi facile que profitable; il en
adopta lidee, et chargea Abou-deheb de son exécution. Glorieux de conduire une
telle entreprise, Abou-deheb traversa les plaines arides de l’isthme de Soueys, passa les
gorges difficiles d el-O qbah, renversa les Arabes qui voulurent lui barrer le chemin,
attaqua la Mecque, la prit, latpilla, en chassa le chéryf, mit à sa place son cousin
A’bd-allah, qui envoya, dit-on, en reconnoissance une patente de sultan à A ’iy, et
retourna au Kaire avec A ’bcI-el-Rahmân, qui sembla n’y revenir que pour occuper le
tombeau qu’il s’étoit préparé dans la mosquée des Fleurs ; car il mourut quinze jours
après son arrivée. Pendant que Mohammed emportoit la Mecque, un autre bey,
Hasan, envoyé par A ’iy, s’emparoit de Geddah et autres ports situés sur les rives
delà mer Rouge, et acquéroit le surnom de Geddâouy, sous lequel il fut connu
depuis.
Tant de succès non interrompus portèrent A ’iy à secouer le joug de la Porte,
alors occupée avec les Russes et hors detat de le châtier. Il demanda aux Moscovites
leur assistance, et envoya Mohammed au secours du cheykh Dâher, qui étoit en
rébellion ouverte avec les pâchâs de Syrie. Dâher, aidé de Mohammed, s’empara
en peu de temps des places fortes de la Palestine, et alla assiéger Damas, qui
étoit sur le point de se rendre, quand, par un esprit de vertige ordinaire chez
les Mahométans, Abou-deheb quitta spontanément le siège et s’enfuit au Kaire,
où il arriva au moment que l’on s’y attendoit le moins. Une conduite aussi étrange
réveilla les soupçons d’A ’ly, qui voulut l’en punir. Mohammed étoit au Kaire; A ’iy,
espérant empêcher l’évasion de son Mamlouk, en fit fermer les portes, avec
ordre de ne les ouvrir pour qui que ce fût : mais le favori de la fortune se. rit
des efforts de son ennemi. Mohammed se présenta à une des portes, se disant chargé
d ordres d’A ’ly : elle lui fut ouverte, et il gagna le Sa’yd, où il se composa un parti
forme de mécontens et d’Arabes, et revint à leur tête demander raison à son
maître. A ’iy, à la nouvelle de l’approche de Mohammed, marcha contre lui, fermement
persuadé qu’il alloitle châtier; mais il ignoroit qu’il étoit entouré de traîtres,
et qu’Isma’yl-bey, commandant de sa garde, en étoit le chef : celui-ci avoit informé
Mohammed, avec qui il entretenoit une correspondance coupable, qu’il pouvoit
s avancer en toute assurance contre le Kaire. Mohammed étoit arrivé au petit village
de Baçâtyn, province d’A tfyeh, lorsqu’A ’ly donna ordre à Isma’yl d’aller réprimer 1 insolence de ce Mamlouk rebelle ; mais Isma’y l, au lieu de le combattre, passa avec
les siens au parti ennemi. Cette trahison inattendue ayant ruiné les affàires d’A ’ly ,
È. M. TOME II. Zs