Tanta est, comme toutes les autres villes de l’Egypte, entourée de décombres.
A l’est, on voit un gros massif de briques crues, sur lequel les habitans ont placé
leurs tombeaux : il est coupé à pic dans plusieurs endroits, et ces coupures laissent
apercevoir des briques d’une grande dimension.
Ces buttes artificielles étoient construites par les anciens habitans de l’Egypte
pour mettre leurs villes à l’abri des inondations ; et si les Egyptiens modernes ont
fait quelquefois de semblables travaux, on les distingue facilement des premiers par
la petitesse des matériaux employés. Il existoit donc autrefois une ville Égyptienne
sur l’emplacement de Tanta.
Quoique cette ville soit la cité la plus peuplée du Delta, on y compte seulement
dix mille habitans ; ses maisons sont bâties en briques cuites, qui se fabriquent dans
le pays même avec la poussière des décombres dont la ville est entourée. ( i ).
Les accroissemens successifs^fueile a reçus sont faciles à déterminer. Des maisons
forment une rue autour de l’ancienne ville, et elles sont bâties sur des décombres
accumulés au pied d’une première enceinte : d’où il résulte que toutes les portes
de la ville sont doubles ; disposition qui ne se rencontre en nul autre endroit de
l’Égypte.
Tanta renferme le tombeau d’un saint qui attire en pèlerinage, à certaines
époques, les dévots musulmans; aussi A ’iy-bey, connu par la protection marquée
qu’il accorda au commerce, par les établissemens utiles qu’il créa en sa faveur,
sut-il profiter habilement de cette circonstance pour faire de cette ville le, centre
d’un commerce considérable; c’est dans cette vue qu’il y fit construire pour les
étrangers, il y a environ quarante ans, un bel et vaste o’kel.
L e saint dont nous venons de parler, se nomme Seyd- Ahmed el- Bedaouy.
Il naquit à.Fez, l’an 596 de l’hégire, 1200 de l’ère vulgaire, passa en Égypte pour
s§ rendre à la Mecque, acheva son pèlerinage, et revint de la Mecque à Tanta en
un jour (2). Il s’y fixa, et y mourut à l’âge de soixante-dix-neuf ans, après y avoir
séjourné environ trente ans. Il fit, durant sa vie, une foule de miracles; il ressuscita
des morts, fit marcher des paralytiques, voir des aveugles, &c; Tous ces faits sont
consignés dans une longue histoire, et attestés, disent les dévots musulmans, par
un grand nombre de témoins oculaires.
L ’an 700 de l’hégire, le sultan Malek el-Nâser substitua au petit monument
qu’on avoit d’abord érigé sur le tombeau du saint, une mosquée qui, par son
étendue, la régularité de son plan et les embellissemens successifs qu’elle a reçus,
ne le cède point aux plus belles mosquées du Kaire. La magnificence éclate surtout
dans la construction du dôme, sous lequel repose le corps de Seyd-Ahmed
ei-Bedaouy. A ’iy-bey, qui le fit réparer, il y a près d’un demi-siècle, n’épargna ni
ses soins ni ses trésors; et on put le prendre pour un dévot ou Un prodigue,
lorsqu’il n’étoit qu’un politique adroit. Les murs, jusqu’à la naissance de la voûte,
( i ) Toutes les villes d’Egypte sont entourées de de- terre pour les y amonceler avec toutes les autres immoncombres,
parce que,- les matériaux provenant des dé- dices, plutôt que de les étendre dans les champs, qui,
molitions des vieilles maisons ne pouvant servir à de en s’élevant, (miraient par être privés des bienfaits de
nouveaux édifices, on est obligé de les transporter hors l’inondation
des v i l le s , et qu e l’o n pré fè re sac r ifier q u e lq u e co in d e (2) D e la M e cq u e à T a n ta , il y a e n v iron trois cents lieues.
furent revêtus en marbre; le dôme, qui est en bois, fut couvert de plomb et orné
intérieurement de dorures et d’élégantes arabesques.
Le tombeau du saint est entouré d’un grillage en bronze ; une espèce-de
baldaquin en velours est suspendu au-dessus, et Un énorme turban, formé de châles
dé Kachemire, esrplacé sur le sarcophage, à l’endroit qui correspond à la tête du
saint. Les portes du dôme et les serrures en bois sont plaquées d’argent.
C’est à l'équinoxe du printemps et au solstice dété, mais principalement
à la première de ces époques, que les pèlerins accourent à Tanta, de toutes les
parties de l’Égypte, des extrémités les plus reculées de la Barbarie, du royaume de
Darfour, du fond de l’Abyssinie, et, en général, de tous les pays soumis à l’isla-
misme.
La superstition fut presque toujours une des principales causes des foires les plus
célèbres. Les hommes, au bruit des miracles d un de leurs semblables, que peut-
être ils maltraitèrent pendant sa vie, se précipitent vers son tombeau. Lamour
du merveilleux les entraîne et mêle leurs races diverses au pied des memes autels,
leur repentir etleurs larmes s’y confondent et les rapprochent ; ils seraient restes
inconnus les uns aux autres, et ils contractent des amitiés qui, par de doux souvenirs,
uniront peut-être à jamais leurs familles; ils se racontent leurs voyages,
s’entretiennent des productions de leur terre natale, et de celles des pays quils
ont traversés ; ils se montrent les objets qu ils en ont rapportes, les échangent entre
eux : les avenues du temple se transforment en un vaste marché ; et la superstition,
une fois utile au monde, sert de véhicule au commerce et lie par de nouveaux
besoins les hommes qu’elle divise si souvent d une maniéré cruelle.
Le'pèlerinage au tombeau de Seyd-Ahmed el-Bedaouy en est un exemple:
il attire une telle affluence d’étrangers, que les habitans de Tanta nous ont assuré
qu’à deux lieues autour de la ville la campagne est couverte de monde ; ils
évaluent à cent cinquante mille le nombre des pèlerins.
Il n’est pas difficile de s’apercevoir que les maisons de Tanta ont ete construites
pour le commerce : la partie du rez-de-chaussée qui donne sur la ru e , est
consacrée, dans beaucoup de quartiers, à de petites boutiques qu a 1 époque des
foires on loue aux marchands étrangers. Beaucoup de pèlerins campent hors de
la ville : les tentes, les maisons, sont illuminées chaque nuit, et l’on entend de toutes
parts des cris de joie mêlés au bruit des instrumens de la musique Égyptienne. Ces
foires durent huit jours, et procurent de grands bénéfices a toute la province.
Elles n’ont point eu lieu pendant le séjour de l’armée Française en Égypte : la
peste, et sur-tout les inquiétudes qu’auroit données une trop grande réunion
d’hommes, les avoient fait suspendre.
Après être restés quelques jours à Tanta, nous nous remîmes en route; nous
passâmes par le village de Byâr ou Ahyâr, où nous rejoignîmes la branche occidentale
du canal de Qaryneyn, que quelques personnes désignent sous le nom de branche de
Chybyn-el-Kotim, parce que son origine est près de ce bourg. Nous terminâmes notre
première journée auprès des villages étel-Nahârych et d Asdymeh, ou 1 on voit des
restes d’anciens établissemens qui ont dû appartenir à des villes de 1 antique Egypte.