
Les Hébreux dérivent letymologie de ce nom de la racine “\ZW ssehhr,
qui signifie trouble et noir ( i ) , et dont les dérivés, soit dans leur idiome (2), soit
dans les autres langues Orientales (3 ) , ont la même acception ;■ et nous voyons
dans Eustathe (4) , commentateur de Denys le Periégète, que les Grecs, traduisant
cette épithète, ont aussi désigné le Nil par le nom de Méà«î (y ), qui a
chez eux la meme signification. Les Latins ont copié.cette dernière dénomination
dans celle de Melo ou Mello que Sextus Pompeïus Festus (6) et Ausone (7)
donnent auçsi à ce fleuve. Ce nom même n’a pas été tout-à-fait hors d’usage parmi
les modernes; car on le trouve employé par le savant Jac. Gronovius, qui afîèc-
toit, comme l’on sait, dans ses ouvrages, un style dur et hérissé des termes les
moins usités.
Relativement à 1 origine de cette dénomination, croira-t-on qu’elle a pour cause
l’état trouble et bourbeux où se trouvent réellement les eaux du Nil pendant son
inondation annuelle, ou pensera-t-on plutôt que le nom de Noir a été donné à ce
fleuve parce qu’il tire sa source de l’Éthiopie ou du pays des Noirs (8), en suivant
le meme motif qui a fait donner le nom de Niger à un autre grand fleuve
d Afrique (9) i Je n entrerai point ici dans cette discussion, me bornant à ¡’exposition
pure et simple de la signification matérielle de ce nom, mais en observant
cependant que la seconde conjecture me semble d’autant plus probable,
quelle s appuie, comme on vient de le voir, sur tin autre exemple, et qu’elle
se rattache à la signification d’un autre nom du Nil dont je m’occuperai plus
loin.
C e qui peut fortifier cette dernière hypothèse, c’est qu’Eschyle appelle la
partie du Nil qui coule depuis sa source jusqu’aux cataractes, nompli A ijio-l, et
quil donne seulement à la partie qui va depuis les cataractes jusqu’à la mer
Méditerranée , le nom de NriXsç.
Je pourrais observer aussi qu’en langue Sanskrite le nom du Nil est Câli, qui !
signifie en même temps noir et ¿eau.
Suivant Diodore de Sicile (10), le plus ancien nom que les Égyptiens aient
donne au N il, est celui d’£ïxta.tn : il ajoute que ce nom a vo it, dans leur langue,
la meme signification que celui d'iL'iesa-vès [Océan] chez les Grecs. On peut
(0 nnV t niger fu i t , denigratus est; niger, nigrum,
nigricans. Casteil, tom. I I , col. 3731.
irraf, niger vel turbidus. Voyez le tome IV des Concordances
Hébraïques de Calasio, col. 1676.
(-) •nrw> nigredo, unde nirw Nilus. Casteil, ibid.
(3) Chald. *nrw » niTKG nigredo, atror, carbo ; n iW j
n v n jy et fs* j-ninzi > melancholia ; fn irw n . nigredo.
Syr. '» « a , denigravit; i j l , tenebroe; \ ^ , carbones;
, lapis niger tinctorius; dénigratio,
carbo. Casteil, tom. I I , col: 3731 et 3732.
(4) Voyez Eustath. ad Dionys. Perieget. pag. 40,
col. 1 , lin. ult.
(5) Voyez* ci-après, les textes Grecs rapportés dans la
sixième partie de ce Mémoire.
(6) De Verborum significatione , ' pag. 235. Voyez le
texte dans la sixième partie de ce Mémoire.
(7) Voyez les textes Latins rapportés dans la sixième
partie de ce Mémoire.
(8) Belâd el-soudân ytaj-JI .
(9) Les Arabes appellent ce fleuve JVyl J-J ou Nyl
Soudân-y]^ [Nil des Noirs]. Mais le nom du Niger,
en langue Mandingue, est Joli-Ba [grande eau,
grand fleuve]. Dans la même langue, le nom du fleuve
que nous appelons Sénégal est Ba-Fing, c’est-à-dire,
Fleuve Noir, et le nom de la Nigritie, Fing-Dou [Pays
Noir].
(10). Voyez les textes Grecs rapportés dans la sixième
partie de ce Mémoire.
d aboi cl remarquer, au sujet de cette dénomination, présent même encore
les Arabes habitans de l’Égypte et les autres Orientaux désignent plus souvent
le Nil par le nom de Mer ( i ) que par celui de Fleuve (2).
C ’est sans doute la largeur considérable de ce fleuve, et sur-tout sa vaste étendue
dans ses déhordemens, qui peuvent avoir motivé cette expression chez les
anciens Égyptiens et chez les Arabes.
Nous la retrouvons même indiquée par un passage de Pline le Naturaliste, qui-,
dans son savant ouvrage, a recueilli tant de traditions précieuses répandues chez les
nations diverses dont ilfait mention. En effet, il dit positivement, dans le chapitre x i
de son x x x v . livre, en parlant du Nil : Cujusaqua est mari similis (3).
Cette phrase isolée de Pline ne pourrait certainement s’entendre d’une amertume
semblable à celle de la mer, que les eaux du Nil sont tellement éloignées
d avoir, qu après avoir passé le hoghâz (4) que -forme son embouchure , on
peut encore puiser de leau douce dans la mer elle-même à une grande distance
de la côte. Ainsi le seul sens que l’on pourrait donner raisonnablement à ce passage,
ne saurait être que celui-ci : « Les eaux du Nil ressemblent à une mer «
D ’ailleurs le sens précis de l’endroit où Pline emploie cette expression, ne peut
souffrir une interprétation différente. ‘
Le savant Rossi (y) nous apprend que le mot ’£Wy„' est écrit (|-une manjère
fautive dans a plupart des éditions de Diodore, et que les manuscrits portent
presque tous le mot ’a-ce^si, qui est Je même nom, mais qui a mieux conservé
suivant lui, sa forme Egyptiennes car-son étymologie serait alors le moi
Ochmau, o u O J i y è x x i y Ochémau [abondance ou immensité
deau, grande eau, grand fleuve], formé des deux racines Qobtes CA3 u j (6) Och
[grand, beaucoup], et I J c » Mo ou I J u s O - f Moou, qui s ig n i f io n s (? ) dans
le dialecte Memphitique, et qui s’écrivoit aussi I J o y Mou dans les mots composés
(8), I J O O Y Moou dans le dialecte Saïdique (9 ), et Mau dans
(1) Bahar y i . Il n’est aucune des personnes ayant
fait partie de l’expédition d’Égypte qui ne se rappelle
que ce nom étoit le seul par lequel les habitans du Kaire
désignoient le Nil.
Les Ethiopiens disent dans leur poésie T i l l i : QrhC :
Tacazé-Bâhr. c’est-à-dire, Jleitve-rner. lorsqu’ils veulent
parier d’un fleuve considérable. Iis emploient particulière-
ment cette qualification à l’égard du Nil, du Jourdain, de 1 Euphrate, <Scc.
(2) Nahar J j ï .
(3) Voy^ les textes rapportés dans la sixième partie
de ce Mémoire. ;
(4) Æoug/iüç jUjj.
(5) Etymologiæ Ægyptiacoe. Liber primùm in Iucem
prodit Romae, anno Domini MDCCCVIii.
(6) I l ï c y , woAuf, multusj magnus. ECJÜUCy, idem. La.
Croze, pag. u p .
Ocxj, mKvç, plu ri mus. Ibid. pag. 73.
É . M . T O M E I I .
3 V.UJ&X, multitude) ; aftn6t/rfc8zq, multiplicari;
Tdiioretfar, abundare.
G p& c y& S , i&tQuvea, abundare, multiplicare. Ibid.
pag. 10.
(7) Voyez, page 57, Lexicon Ægyptiaco-Latinum, ex
veteribus illius lingues monumentis summo studio collecturn
et elaboratum à Maturino Veyssière la Croze, quod in
compendium redegit Christianus Scholtz. Oxonii, 177J.
(8) Uo'*nciACXJX , mounocbi, et ■W-O'ìfÌT^CtlOY,
mounhoou pluie]; AJLOVkctUpE-U:, mounsôrem
[ * 'W V , torrent]; moukJiem [£*»?,
eau chaude]. Voyeç la Croze, page yj.
Uoxu-S , Theb. «.O^JW-E , f in s , puteus] -
-W-O'VC&'A^O et -U-OTfGE^v^pO [aqua lepida]; JULO*3f-
^ f a9ua fiigidaJ. Voyez Ignatii Rossii
Etyinol. Ægypùacæ, pag. 123 et 127.
(9) Ia c roze, pag. 188.
G 2