en signe de réjouissance, sur le champ de bataille même où il avoit vaincu.
Tous ceux qui avoient eu part au succès y furent invités, et il s’y rendit lui-même, I
ne sachant pas le sort qui l’y attendoit. A peine pajut-il, que les Baharites fondirent I
sur lui le sabre nu, et le forcèrent, après la perte de tous les doigts d’une main, à I
se réfugier dans la tour, qu’ils incendièrent. Le malheureux sultan, pour se sauver I
des flammes, s’étant jeté dans le Nil, y fut percé de flèches, et périt dans les I
eaux du fleuve. Le rivage est eiicore en possession des restes inanimés de Tourân- fl
châh, victime, après quarante jours de règne, de l’ambition de sa mère, et égorgé I
par ses esclaves devenus ses maîtres et ses bourreaux. La courte durée de son règne I
n’offre de remarquable que la destruction de Damiette, qu’il fit démolir de fond I
en comble pour s’être livrée aux Chrétiens, et le châtiment de quarante émyrs, f l
qu’il fit pendre pour l’avoir rendue.
Après le meurtre de Malek el-Mo’addem, les émyrs vinrent au Kaire, pour pro- I
céder à l’élection d’un autre sultan : sous l’influencé d’Ibek, ils reconnurent Che- f l
geret el-dorr pour sultane. Cette femme, étant.parvenue à son but, prit les rênes f l
de l’Etat, créa Ibek atâbek, c’est-à-dire, gouverneur du royaume , mit toutes les I
affaires en ordre, et s’occupa du soin de se rendre agréable à tous les émyrs, qu’elle f l
combla d’honneurs. Les peuples, régis avec équité, bénissoient la douceur d’un f l
règne qui devoit être bientôt troublé.
Les nouvelles de la mort de Malek el-Sâlh, de la captivité de S. Louis, du f l
meurtre de Tourân-châh, et de l’avénement de Chegeret el-dorr au sultanat/ par- B
vinrent en même temps sur les bords de l’Euphrate, et Mostanser-b-illah, khalyfe I
a Baghdad, indigné dè ce que les émyrs eussent reconnu l’autorité d’une femme, leur f l
écrivit en ces termes : « Puisqu’il ne se trouve parmi vous aucun homme capable I
» detre vôtre sultan, je vous en donnerai un de ma main. Ignorez-vous donc cet I
» apophthegme du sublime Prophète, Malheur - aux peuples gouvernés par des I
fi femmes l »
A la réception de cette lettre, dont elle sentit la force et prévit les consé- fl
quences, l’adroite sultane eut le bon esprit d’abdiquer volontairement en faveur f l
d Ibek, qui promit de l’épouser, et qui fut salué, le 29 de la lune de rabye’ second fl
de 1 an 648, Malek el-Moa’z z , c'est-à-dire, roi puissant. II épousa Chegeret el-dorr, fl
qui continua de gouverner sous son nom.
Pendant les premières années d’un règne simulé, Malek “el-Moa’zz jouit et fit fl
jouir ses peuples d’une tranquillité qui ne fut interrompue que par la dissension fl
qui se glissa à la fin parmi les Mamlouks. Ils se divisèrent en deux partis, qui fl
prirent chacun une dénomination. Ceux qui avoient pour chef l’émyr Fâres el-dyn, fl
lieutenant général de la garde, furent “appelés Sâlhites, du nom de Malek el-Sâlh, I
ét les autres reçurent le nom de Moazzites, parce qu’ils avoient été achetés par I
Malek el-Moa’zz ou Ibek. Les Sâlhites, animés par f'eur émyr, se repentirent I
“davoir créé sultan un de leurs égaux, se révoltèrent contre Malek el-Moa’zz, et le I
forcèrent à associer à son trône un jeune prince, âgé de vingt ans, de la race des I
Ayoubites, qu’ils avoient fait venir à cet effet des contrées de l’Orient. Ce jeune I
prince , nommé Modaffèr el-dyn, fils d’Yousef fils de Mesoud, fut proclamé I
D E S M A M L O U I C S D ’ É G Y P T E . I 2 j
Malek el-Achraft c’est-à-dire, roi très-noble; et l’on vit, par une bizarrerie du
sort, placés sur le même siège royal, le petit-fils de Saladin et l’esclave de Malek
el-Sâlh, dont les noms prononcés ensemble dans-les mosquées furent gravés ensemble
sur les monnoies du temps.
On juge aisément qu’un tel affront ne pouvoit pas rester impuni, et que si,
contraint par la force des circonstances, Malek el-Moa’zz dissimula, ses premiers
soins seroient de se venger. Pour le faire avec succès», et afin d’éloigner tout
soupçon, il laissa s’écouler quelque temps; après quoi il attira Fâres el-dyn, chef du
complot tramé contre lui, dans une embuscade qu’il lui avoit dressée à la citadelle,
et le fit périr de la main de ses Mamlouks. Se- doutant bien qu’une telle action
auroit des suites, il ordonna de fermer les portes de la citadelle et de la ville, et
attendit les événemens.
A la nouvelle de l’arrestation de Fâres el-dyn, les émyrs Sâlhites Qotoz, By-
bars, &c. vinrent chacun à la tête de leurs Mamlouks demander avec menace
raison de l’insulte faite à leur chef; mais l’aspect effrayant de sa tête encore sanglante,,
qui roula du. haut des murailles à leurs pieds, leur inspira une terreur
panique si grande, qu’ils s’enfuirent dans le plus grand désordre vers Bâb el-Qor-
râtyn, l’une des portes du Kaire, l’enfoncèrent, et se frayèrent un chemin vers la
Syrie, abandonnant néanmoins quelques-uns desjeurs, qui furent arrêtés et emprisonnés.
Malek el-Moa’zz, ayant ainsi culbuté le parti qui lui étoit opposé, s’empara de
Malek el-Achraf, .et le fit jeter dans un cachot, où il mourut après un an et un
mois de règne. En lui 'finit la dynastie des Ayoubites d’Égypté.
Ibek, non content d’être délivré d’un rival, voulut s'affranchir de la domination
de Chegeret el-dorr; mais il éprouva qu’il est plus facile de tomber dans
les lacs d’une femme, que d’attirer dans les siens ceux qui nous donnent de
l’ombrage. Cependant il prétexta sa stérilité, et lui préféra une autre femme qui
l’avoit rendu père d’un fils connu sous le nom d'A ’ly, et qu’il avoit épousée auparavant.
La mère d’A ’ly possedoit son coeur sans réserve, pendant que la sultane
n’avoit quelles égards que commandent les devoirs et que les dégoûts accompagnent.
Chegeret el-dorr, rebutée et dédaignée, se porta à toutes les extrémités où la jalousie
est capable d’entraîner une femme, regretta les beaux jours de son premier
époux, et,«abusant du droit que ses bienfaits lui avoient acquis sur le second,
les lui reprocha, et lui commanda impérieusement de répudier sa rivale. Il n’y répondit
qu’en se retirant chez celle-ci. Courroucée contre cette nouvelle marque
de mépris, la jalouse sultane contint son ressentiment. Pour ramener à elfe ,1’ingrat
qui la fuyoit, elle mit en oeuvre larmes , caress.es, soumission, promesses,
moyens qui réussissent toujours aux personnes de son sexe, et elle reconquit son
époux, qui, ignorant le sort qu’ellé lui préparoit, se laissa reconduire auprès
d’elle.
Chaque sérail a un endroit retiré, destiné aux ablutions; Chegeret el-dorr le
choisit pour le théâtre de sa vengeance. Elle y posta cinq eunuques blancs, ét y