MÉM O I R E S U R I.’ A G R I C U L T U R E ,
PREMIÈRE PARTIE.
De l’État actuel de l’Agriculture en Égypte.
SECTION I."
Disposition et Étendue des Terrains ctiltivables. — Irrigations. —
Moyens artificiels d ‘arrosement.
L e Nil, depuis Syène jusqu’au Kaire,.coule, comme on sait, sur cent myriamètres I
environ de développement, du midi au nord , dans une vallée de trois lieues de I
largeur réduite entre deux chaînes'de montagnes, dont l’une s’étend, à l’est, I
jusqu’à la mer Rouge, et dont l’autre termine, du côté de l’ouest, les déserts de I
l’ancienne Libye.
A peu de distance au-dessous du Kaire, ces deux montagnes s’écartent l'une I
de l’autre : la première, en se retournant vers la mer Rouge ; la seconde, en sel
prolongeant au nord-ouest jusqu’à la Méditerranée.
Tout l’espace renfermé entre ces deux chaînes et 1 isthme de Suez est un ter-1
rain d’alluvion que le Nil a formé, et quil a sillonné a diverses époques, en
suivant des directions différentes. Ce grand atterrissement, le fond de la vallée!
étroite dont nous venons de parler, et la province de Fayoum, qui sy rattache!
par un grand canal, constituent le sol cultivable de l’Égypte. 11 présente une I
superficie totale d’environ deux millions cent mille hectares.
Le sol est composé, à sa surface, d’un limon noirâtre qui repose sur des
couches de sable fin plus ou moins épaisses, à travers lesquelles filtrent les eauxl
du Nil, et celles dont les terres sont couvertes lors de 1 inondation.
Une contrée située entre les 24.' et 3 i .c degrés de latitude, ou il ne pleutl
presque jamais, ne peut être fécondée que par le débordement du fleuve qui la
traverse, ou par des arrosemens artificiels.
Le Nil commence à croître au solstice d’été, et parvient au maximum de sal
crue à l’équinoxe d’automne; il décroît ensuite par degrés jusqu’au solstice détél
de l’année suivante : ainsi il s’exhausse pendant trois mois, et s’abaisse pendantl
neuf ; ce qui donne une idée de son régime.
Au moment où ses eaux sont le plus basses, le sol de la vallée leur est
supérieur de huit et dix mètres dans la partie méridionale du Sa’yd, de quatre et
cinq aux environs du Kaire, et d’un mètre seulement aux embouchures des deux
branches de Rosette et de Damiette.
Deux mois après que le Nil a commencé à croître, c’est-à-dire, du 20 au
2.5 août, on coupe les digues qui ont été élevées, quelque temps auparavant, à
la tête des canaux d irrigation creusés de distance en distance sur les deux rives
du fleuve. Ces canaux sont dirigés dans la haute Égypte, plus ou moins obliquement,
vers les deux chaînes de montagnes qui bordent la vallée : parvenus à leur
pied, ils se prolongent parallèlement au désert ; mais des digues transversales
en interrompent le cours, de sorte que leurs eaux, arrêtées par ces digues,
s'élèvent contre elles et submergent une partie des terrains qu’elles enferment.
On conçoit que plus la crue du Nil est considérable, plus les eaux s’élèvent en
amont des barrages dont on vient de parler, et plus, par conséquent, l'espace
qu’elles submergent est étendu.
Quand cette submersion a atteint sa plus grande hauteur, oh coupe la digue
qui soutenoit les eaux ; elles S'écoulent alors au-delà de cette digue, .en suivant
le meme canal, qui se prolonge lui-même sur la limite du désert, jusqu’à un
second barrage qui, arrêtant de nouveau les eaux, les oblige de se gonfler, et de
se répandre sur une partie de l’espace renfermé entre deux digues transversales
consécutives.
On coupe la seconde digue comme on avoit coupé la première ; les eaux descendent
de la même manière contre un troisième barrage, qui prodüit à son tour
la submersion d’une certaine étendue de terrain; et ainsi de suite, jusqu’à ce que
les deux rives de la vallée, divisées en étages successifs par les principaux bar-
rages dont nous venons d’indiquer la disposition, aient été inondées par les
eagjf dérivées du Nîl.
Les prises d’eau sont renouvelées dans ce fleuve de distance en distance, au
moyen de canaux particuliers qui réparent les pertes des dérivations supérieures;
et qui augmentent, par le nouveau volume qu’elles y ajoutent, l’étendue des
terres submergées.
Afin-que les eaux de (’inondation restent sur les terres et ne retombent point
dans le fleuve en amont des barrages contre lesquels elles s’accumulent, les
rives du Nil sont bordées de digues plus ou moins hautes, qui servent de chemin
pendant 1 inondation ; de sorte que, dans beaucoup d’endroits, pendant cette
période de l’année, les eaux intérieures, retenues par ces digues, sont plus élevées
que le niveau du fleuve.
Le système d irrigation que nous venons de décrire, consiste, comme on voit,
à former pendant l’inondation, sur les deux rives du Nil, une suite' d’étang
qui s’élèvent les uns au-dessus des autres. Ainsi, tandis que la pente de ce fleuve
est distribuée suivant une certaine loi de continuité,.dans toute la longueur de
son lit, depuis.la première cataracte jusqu’à la Méditerranée, cette même pente
se trouve distribuée par gradins le long des canaux qui traversent successivement
les divers territoires qui le bordent.
Il est aise de concevoir, d après ce qui précède, que 1 amélioration du système
des arrosemens de J’Égypte ne dépend pas tant de la profondeur à laquelle, les
canaux sont creusés, que du bon entretien des digues qui barrent transversalement
la vallée. Ces digues, dirigées ordinairement d’un village à l’autre, servent
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