L existence cíe ce sulfate de chaux est regardée par quelques personnes
comme une preuve que fa mer n’a jamais occupé le bassin de l’isthme. Cependant,
si la mer Rouge, vis-à-vis Qoçeyr, venoit à se retirer, elle laisserait à
découvert des terrains gypseux; plusieurs collines situées sur le bord de la mer,
près c[e cette ville, sont de cette substance, et toutes les eaux souterraines qui
s écoulent a la mer en contiennent beaucoup en dissolution.
Les coquilles que Ion aperçoit dans l’intérieur du bassin, ne sont pas des coquilles
fluviátiles; ce ne sont pas non plus des coquilles fossiles, comme celles
que 1 on rencontre par bancs, ou agglomérées en masse, dans la vallée de l’Égarement
(i). Celles du bassin de i’isthme ne sont liées ni entre elles ni au sol,
elles sont semblables à celles que la mer rejette sur ses grèves ; et je puis ajouter à
mon témoignage celui de Niebuhr. Ce voyageur a vu auprès de Soueys un amas
de coquillages vivans sur un rocher qui n’étoit couvert d’eau que par la marée,
et de semblables coquilles vides dans un lieu que la mer n’atteignoit plus. Ce pendant
l’opinion de ce voyageur n’est pas tout-à-fait la mienne. Il reconnoît
bien que là irieè Rouge s’est retirée vers le sud ; mais il attribue cela à l’abaissement
de ses eaux, tandis que ce sont de simples ensablemens qui ont enlevé
à la mer des terrains encore inférieurs à son niveau. L ’erreur dans laquelle Niebuhr
est tombé étoit facile à commettre, puisqu’il n’avoit pu faire aucun nivellement
; mais les faits sur lesquels il s’appuie viennent confirmer mes propres
observations.
J’ai parlé ailleurs de cette ligne formée de coquillages et de débris de
( i) La vallée de l’Égarement a été parcourue par plusieurs
de nos camarades; M. Devilliers en a relevé les
divèrses sinuosités, et c’est son travail qui a été rapporté
sur la grande carte d ’Êgypte. Lorsque j y passai 'dans le
mois de nivôse an 7 , aucun Français n’y avoit encore
pénétré; mon guide ne m’ayant pas dirigé convenable-
ment, je hé suivis point la vallée proprement d ite , niais
une de ses ramifications. MM. Girard et Le Père ont décrit
la vallée de l’Egarement. J e vais dire ic i ce que je
remàrquai dans la vallée voisine.
Cette vallée se sépare de célléde PEga rement à quelques
lieues de Ba çâ tyn, village situé à l’entrée de la vallée,
à une lieue au sud du Kaire. Je suppose que notre guide
A rab e , en nous dirigeant par l’embranchement à gauche,
eut pour but de nous faire éviter les puits de Gandely,
et de nous cacher toutes les ressources que ce point pou-
voit offrir a sa tribu dans le cas d’une rupture avec les
Français.
Les montagnes que l’on rencontre d’abord, sont cal-
caites; elles présentent quelquefois des masses entièrement
formées de coquilles agglutinées ensemble, et l’on
trouve dans le fond de la vallée plusieurs de ces coquilles
fossiles qui ont été détachées du rocher. L e terrain sur
lequel on marche, est assez ferme : on aperçoit même,
en plusieurs endroits, la roche calcaire à nu; mais elle est
le jîlus souvent recouverte d’un peu de sable quartzeux :
ensuite la vallée se rétrécit. ‘Les montagnes à gauche
sont d’une pierre calcaire jaune, très-tendre, disposée
par couches horizontales ; on y voit aussi des couches
horizontales de sulfate de chaux cristallisé. Plus lo in , on
aperçoit sur la droite une suite de collines assez elevées
qui se distinguent de la chaîne calcaire par leurs formes
et par leur couleur noire. Ces collines sont formées de
l’espèce de jaspe connue sous le nom de caillou d ’Ê -
gypte. Ces cailloux sont très-rapprochés ; ils sont liés ensemble
par un ciment siliceux, blanc dans sa cassure avec
üne légère teinte rougeâtre qui indique la présence d’un
peu de fer, et explique la couleur hoire qu’il a à’ 1 extérieur.
Cette roche est d’une grande beauté à cause de
sa durete et des couleurs variées, des dessins bizarres,
que présente l’ intérieur des cailloux d’Égypte. Personne
avant moi n’avoit reconnu l’existence de cette roche
qui ne p eu t, je crois, être tonsidérée, ni comme un pou-
dingue, ni même comme une brèche. On rencontre dans
la vallée une grande quantité de cailloux d’Égypte qui
en ont été détachés, et je présume que ceux que l’on
trouve sur d’autres points auront appartenu à une roche
semblable qui se sera décomposée.
Nous passâmes la nuit en cet endroit; nous eûmes de
la pluie toute la nu it, et souffrîmes un peu du froid.
L e lendemain, de bonne heure, nous nous mîmes en
route. Les collines de cailloux d’E gypte en roche continuèrent
quelque temps à notre droite. Dans les endroits
les plus bas de la vallée, nous vîmes une grande
quantité d arbustes. Mais il ne faut pas se figurer ici des
bois comme ceux d’Europe, où l’on trouve de l’ombré
et où quelques pas suffisent pour se dérober à tous
les regards : les parties les plus boisées des vallées désertes
de l’E gypte n’offrent point d’abri contre le soleil ;
e t , à travers les tiges grêles et séparées des arbustes,, on
végétaux marins, que l’on remarque à la hauteur des eaux de la mer sur le terrain
qui entoure le bassin de l’isthme. Voici comment s’exprime M. Le Père,
pages ¡63 et i (>4 : « On remarque à la surface du désert les traces des rives dü
» lac;.elles sont aussi sensibles que les laisses ordinaires des rivages de la mer,
» que l’on reconnoît à des amas de coquillages, de gravier et de cailloux roulés.
» Le bassin des lacs amers a dû former, en effet, un bras de mer dans cette
» partie de l’isthme. On doit remarquer que le nivellement en indique d’une
•> manière assez précise le niveau, puisque les ordonnées des deux stations entre
» lesquelles on retrouve ces laisses, doivent nécessairement donner dans leur inter-
» valle celle de 150 pieds, qui est l’ordonnée du niveau de la mer Rouge. »
On a prétendu, à la vérité, que ces laisses ont pu être formées par les eaux
douces que le N il auroit versées dans le bassin de l ’isthme. C’est oublier que ces laisses
sont au niveau des marées hautes de la mer Rouge, ou, si l’on s’en souvient, c’est
dire que les eaux du Nil peuvent être descendues dans la vallée de Saba’h-byâr,
et s’y être élevées au-dessus de la mer Rouge, résultat impossible d’après la forme
du terrain, sa pente et celle des branches du Nil ; et si l’on disoit que les eaux
du fleuve ont pu s’élever dans le bassin de l’isthme à la hauteur du niveau de la
mer Rouge, Sans qu’il ait été nécessaire pour cela qu’elles atteignissent le même
niveau dans toute l’étendue du capal des Rois, ce serait commettre une erreur si
extraordinaire, que je ne saurais comment la qualifier.
Maintenant nous demanderons si ces masses de sel, ces coquilles marines, ces
laisses de la mer, dont nous venons de constater l’existence dans le bassin de
aperçoit presque aussi Ioinquedans une plaine dépourvue
de toute végétation.
Nous suivîmes les montagnes qui bordent ht vallée à
gauche; elles «’abaissèrent considérablement, et nous
présentèrent encore du carbonate de chaux et des cristaux
de gypse en couches horizontales.
Vers midi, les soldats Maltais qui formoient notre
escorte, furent si fatigués de la marche et si accablés par
la soif, que nous fumes obligés de les faire monter tour
à tour sur nos chameaux de bagage. Ces animaux, le
premier jour, portoient l’eau que l’on avoit jugée nécessaire
pour notre course : mais on avoit supposé que nous
la renouvellerions aux puits de G an de ly, que nous ne
rencontrâmes point; l’eau ne fut point assez ménagée,
et un accident en fit perdre une partie.
Je me tins le dernier de la colonne avec un chef de
bataillon pour forcer les soldats de marcher. A chaque
instant, il y en avoit qui se jetoient à terre et qui ne
vouloient pas aller plus loin : nous les relevions, nous
les soutenions; nous fûmes même contraints d’en battre
quelques-uns pour les arracher à une mort certaine : car
tous auroient péri de soif, ainsi qu’il arriva deux ans
après à un détachement qui, ayant laissé quatorze hommes
tellement fatigués qu’ils ne pouvoient plus avancer, revint
trois ou quatre heures après les chercher avec de
l’eau qu’on avoit trouvée près de là ; mais il n’étoit plus
temps, les quatorze hommes étoient morts. Plus heureux
, je ne perdis qu’un homme de la so if ; et les
autres soldats, loin de nous savoir, dans la suite, mauvais
gré des moyens que nous avions employés pour les
È . M . T O M E IL
contraindre à continuer leur route , nous regardèrent
comme leurs sauveurs. Par bonheur aussi, nous ne rencontrâmes
aucun parti d’Arabes ennemis : nous n’eussions
pu leur opposer une grande résistance; car, à l’exception
de l’officier dont j’ai parlé, de deux ou trois soldats
et de moi, tous les autres avoient attaché leurs fusils
sur les chameaux.
Je souffris peu de la soif, mais beaucoup de la crainte
d’être forcé d’abandonner dans le désert quelques hommes
de mon escorte: les soins que je pris d’eux m’empêchèrent
de continuer mes observations sur la vallée; et la crainte
d’être plus éloignés que nous ne le pensions de Soueys,
nous détermina à marcher une panie de la nu it: on se
borna à faire quelques haltes de temps en temps. Enfin,
au point du jour, nous nous trouvâmes au débouché de la
vallée, et nous suivîmes le lit desséché d’un torrent
jusqu’auprès du château d’Hadjeroth ou Ageroud. C e
château renferme un puits d’eau saumâtre que le besoin
seul rend buvable. On la puise au moyen d’une roue à
chapelet. Hors de l’enceinte, sont de vastes réservoirs en
maçonnerie, que l’on remplit d’avance lorsque la grande
caravane, qui part tous les ans du Kaire pour la Mecque,
doit y passer. Le torrent qui passe non loin de l à , est à
sec la plus grande partie de l’année. Ses eaux, dans la
saison des pluies (vers frimaire et nivôse), se jettent dans
la mer auprès de Soueys, après avoir rempli un bassin
nommé A'ioych el-Gisr, ou la mare d’Afrique qui sert
aux besoins des habitans.
Nous arrivâmes à Soueys dans la journée.