
Je dois remarquer ici "qu’en grec les mots , yuutLnuu, , signifient également
bleu et noir (i): ainsi cette dénomination de fleuve bleu donnée au Nil pourroit être
dérivée de celle de fleuve noir, que nous avons vu ci-dessus lui avoir été donnée
en différentes langues.
J’aurois pum’étendre encore sur cette matière; le désir de ne pas retarder davantage
la publication de ce Mémoire me fait omettre un assez grand nombre d’autres
notes sur quelques autres noms donnés autrefois au Nil ; les matériaux que j’ai
recueillis à ce sujet, auroient suffi pour former un mémoire entier; et j’ai même,
été plus d’une fois tenté de retrancher de celui-ci tout ce qu’on vient de lire ci-dessus
sur cette matière, afin de le réunir à mes autres notes et d’en former un ouvrage
particulier.
Je ne puis cependant m’empêcher de céder au désir de faire connoître une
nouvelle étymologie du mot ‘Q.xeâ,p.n, qui se rattache parfaitement aux autres appellations
du Nil, et que le hasard m’a fournie, au moment où je corrigeois les dernières
épreuves de cette partie.
En parcourant, pour des recherches étrangères au présent Mémoire, la Bibliothèque
Orientale (2) du savant Assemani (3), je trouvai (4) qu’un des rois d’Edesse (y)
portant le nom d’Abgar ^-¿>1 (6) étoit désigné par le surnom tXOukama jaaaoi,
surnom, ajoute Assemani, qui signifioit le noir.
D ’après cette signification du mot Syriaque, qui se retrouve avec le même sens
Sanscrite. Cette acception de ce mot a passé dans
i arabe littéral al-nyl ou an-nyl LjJ!, et dans l’idiome
vulgaire * Li nyleh [le bleu indigo], et nous la retrouvons
encore dans le mot Français anil qui a la meme
signification, et qui, ainsi qu’un grand nombre d’autres,
a été introduit de l’arabe dans notre langue par le commerce
du Levant. C’est ainsi que pendant les croisades,
et par les relations que les croisés^eurent avec l’Orient, les
Français prirent des Arabes les mots assassin , magasin f
amiral, foison, chiffre , truchement, avanie, tambour, jarre,
mosquée , algèbre , café, c. ¿7*c.
(1) Voyez Comelii Schrevelii Lexicon Groeco-latinum,
Pag- 577-
(2) Bibliotheca Orientalis Clementino-Vaticana ,in qua
manuscriptos codices Syriacos, Arabicos, Persicos, Tur-
cicos , Hebrdicos, Samaritanos, Armenicos, Æthiopicos ,
Greecos, Ægyptiacos, Ibericos et Malabaricos, jussu et
munifeentiâ Clementis X I pontificis maximi, ex Oriente
conquisitos, comparatos, avectos, et bibliotheca Vaticana
addictos, recensait, digessit, et genuina scripta à spuriisse-
crevit, addhâ singulorum auctorum vitâ, Joseph-S iinonius
Assemanus, Syrus JVIaronita, sacra theologia doctor, atque
in eadem bibliotheca Vaticana linguarum Syriacoe et Arabica
scriptor. Romæ, 1719; typis sacra Congregationis de
propaganda f i de; 3 vol. infol.
(3) Assemani a voyagé en Egypte avec le P. Sicard.
Voye^ Ies Nouveaux Mémoires des missions dans le Levant
, pag. J2j et suiv.
(4) Tom. I ." , pag. 420. J’ajouterai ici ce passage :
XV Abgarus Vcharna, hoc est, Niger. Dionysius. »
«ygoY o ^l2l2S5x Axa,
£ (B 00» ^
V Q jtO
«■ Anno 2024 regnare ccepit Edessa Abgarus Vchama
» qui curatus est; regnavit autem annisyy, mens. r. x>
(5) Edesse en Mésopotamie a été aussi connue des
Arabes sous le nom d'el-Rohâh oU^Jf. On croit que ce
nom est une altération du nom de Callirhoé, qui lui avoit
été donné à cause d’une très-belle fontaine quelle renfer-
moit. Les voyageurs l’ont appelée vulgairement Orfa.
Cette ville fut prise sur les Arabes par les croisés
Français; mais elle fut reprise sur eux, l’an 539 de l’hégire
[ 1 144 de l’ère vulgaire ], par l’atâbek O’mâd ed-dyn
Zingy sous le règne de Baudouin, fils
de Foulques, roi'de Jérusalem.
Elle fut reprise sur les Arabes et saccagée, l’an 796
de l’hégire [ 1393 de l’ère Chrétienne], par Tamerlan,
un peu avant qu’il marchât contre le sultan Ottoman Ba-
jazet, premier du nom.
(6) On compte dix rois d’Edesse qui ont porté ce
nom ; celui qui régnoit l’an 30 de l’ère Chrétienne, est le
plus célèbre, à cause d’une prétendue lettre censée écrite
par lui à Jésus-Christ, et d’une réponse apocryphe de
Jésus-Christ,qui se trouvent rapportées par différens écrivains.
Voyez Assemani, à l’endroit cité.
dans les autres langues bibliques ( l) , avec lesquelles chaque jour on reconnoît de
phis en plus que l’ancienne langue Egyptienne avoit les plus grands rapports, le
mot donné au Nil et cité ci-dessüs ne présenteroit pas d’autre acception
que celle du fleuve noir, et se rattacheroit alors entièrement au sens de la plus
grande partie des anciens noms sous lesquels ce fleuve a été désigné.
§. II.
Surnoms donnés au N il.
Un des principaux surnoms donnés anciennement au Nil par les Grecs , est
celui de Aia-vren)«, qui se trouve dans Homère (2). Tous les interprètes ont traduit
ce mot par la périphrase ex Jove egrediens, et ont fait, à ce sujet, de longs
commentaires. Sans prétendre mettre mon opinion ■ à la place de celle des
hommes célèbres qui ont été jusqu’à présent partisans de cette leçon, ne sëroit-il
pas possible de prendre simplement le mot JW pour une préposition augmenta-
tive (3) qui entre, en ce sens, dans la composition d’un grand nombre de mots
Grecs (4), et de lire simplement JW-Trenî«, c’e st-à -d ire , erumpens! Alors cette
épithète ne seroit proprement que la traduction du mot pH ’ J Gyhhoun, par lequel
nous avons vu ci-dessus qu’on désignoit le Nil chez les Hébreux, et qui a conservé
dans toutes les langues Orientales le sens que je lui donne ici. Rien n’empêcheroit
alors de croire qu’Homère a eu connoissance de cette dénomination, et qu’il
la traduite par 1 épithète de JW7rsTiiç dans son immortel poëme.
Si cependant on vouloit conserver à ce mot la signification généralement reçue
jusqu’à présent de ex Jove egrediens, on i’expliqueroit facilement encore en prenant
cette acception comme signifiant, sorti du ciel ou de la pluie ( j) , don du ciel.
Les Arabes modernes donnent souvent au Nil l’épithète de el-fayd [1 abondance, le don de Dieu], surnom qu’ils attribuent aussi à l’Euphrate (6), parce
(0 Q 3N chald. Dam-1, D3Nro, nigruit, atratusfuit, (3) A/a, præposit. per, ex, in , ad, inter; in composiatrorun
coritraxit. r/one plurimbm notât separanonem, vil intendit significaÛ31N,
- - X niger, ater, Lev. XIII, 31,37 . Job. XXX, tionem. Cornelii Schrevelii Lexicon mannale Græco-lati-
38.pl. Cant; V, 11. Constr. Job. v , i l . fioem. n r o x vel num, 1734,pag. 204.
NAQ21K. Lev. XI, 9. (4) Aiaft&uoûi, confirme ; Sla)uâtotm, pleni cognosco ;
NnouiN , nigredo, atror. Thren. IV, 8. SlaJi/me. et SuulSt. , perspicio ; Sidrpt, perfio ; SlaOit., per-
MD21N, nigredo. Eccle. Xi, 10. f««//,- JVa/caSaeifa, perpurgoJ>axap7tpE6>, perduro; Jla-
Sjr. p t3 l, nigruit. Joël, II, 8. Pahel pLAi, dénigra- mugis ne magis redurgue; Jla xsm t, supervit.
Aphei JXDoî, nigrefecit,atrum reddid.it, Eccle. XXV, vaçui, Situait. , permoveo; SïaxoeOirùta , perlateo, prorsùs
z i . Ethtaph. ta a o LU, niger foetus est, ni.ruit. laU° ! s'y u r nie sm , etium atque etiam obtestor; SlctpmùÇ,
ta a l , niger. Gen. XXX -2 4 o ° Slttçtutpic et Stapmpéuç, prorsùs, intotum, perpétué, ¿Te.
B H H H H ’ , . . . , Corn. Schrev. Lexic. pag. 204 et seq.
}SQ 3 0 1 idm Ceint. I , 5, 6 , et V , 11. feeni, fç\ I , • _ , . * r,J 15J Les Ji- atins se serv. oi■ ent queliq 'u efro i•s dj u n«ocm* d, e
nigra, iVlaith. v , 16. it. oculus muer F i / « » - , . . ,
L. « . Jupiter, Jovis, pour designer le ciel et meme la pluie.
<Loàa3 o ( , nigredo. F. Oiv connoît le célèbre distique de Virgile :
Sam. SBJÆ-ïi et ia ü v a niger. Ex. XXXV, 7. V. Ann. Noue p ti, uni. rtjtu.t tpecuda mon
bam. n . . _
/ -r? i t. a-, ... Ltnnsum imperium cum Jove Ccesar haiet.
f ’ ) Voyez f e Sr ! r “ " ' " , et ' ,2-> (<■’) E*Euphrate[ F e r d t ]. Cefleuve ettcélèbiedans
partie deTe b î ™ raPP° r'“ da" S «e .'Orient : les Hébreux le connois,-oient sous
le nom de Fereth i P3, et les Syriens lui donnent aussi le