D ’ailleurs il faut aussi considérer que les fables semées par les Orientaux dans
leurs histoires peuvent souvent n’être que la vérité plus ou moins défigurée,
qui subsiste toujours sous l’enveloppe grossière dont la crédulité et l’erreur se
sont plu à la couvrir; et peut-être appartiendroit - il à une saine critique de
soulever ces voiles épais, pour tirer quelques lumières de cette masse incohérente
d’opinions hétérogènes, de ce chaos de systèmes différemment altérés, qui circulent
chez tous les peuples de l’Orient; peut-être, par une discussion éclairée,
seroit-il possible d’y ressaisir quelques faits réels, quelques vérités exactes, qui
jusqu’ici auront pu échapper aux yeux les plus pénétrans et les plus attentifs.
CHA P I T R E VIII.
Traditions des Auteurs Arabes sur les Kilomètres antérieurs a l ’Islamisme.
Si l’on devoit avoir quelque croyance aux traditions recueillies par les, anciens
historiens Arabes , et qui se trouvent rapportées dans les ouvrages* d’A ’bd-
cl-Hokm (i), de Soyouty et d’el-Qodâ’y (2), le patriarche Joseph (3), auquel
les Musulmans donnent le titre de prophète (4), et qu’ils racontent avoir été principal
ministre du roi d’Egypte Fera’oun (y), seroit le premier qui auroit mesuré
(1) Voye^ les ‘textes Arabes rapportés dans la sixième
partie de ce Mémoire.
( ’ ) Voyez les textes Arabes rapportés dans-la sixième'
partie de ce Mémoire.
(3) Yousef, ou Yousouf ben Ya'qoub, jSju ¡y
[ Joseph fils de Jacob]. A’bd-er-Rachyd el-Bakouy et
el-Meydâny ¿1 tvdl lui donnent le titre à'Yousef el-Sadyq
[Joseph le Juste]. Les écrivains Arabes
le désignent quelquefois par le nom d * Yousef el-Yhovdy
«j [Joseph le Juif]. Son nom est dans une
telle vénération dans tout l’Orient, que la plupart des
Musulmans ne' l’écrivent jamais sans y joindre la
formule respectueuse: A'ieyhi es-selât ou el-selâm
js^LcJI jjJci[Que la bénédiction et le salut de
paix soient sur lui ]! Il est souvent question 'de ce
patriarche dans le Qorân. Un des chapitres de ce livre
porte même le titre de Sourat Yousef [Chapitre
de Joseph]. Le célèbre professeur Th. Erpeniusa donné
une édition séparée de ce chapitre, qu’il a publié avec
une traduction Latine interlinéaire, sous le titre de
j c_j - j j »jj - , Historia losephipatriarc
h e , ex Alcorano arabicè, cum îriplici versione Latina
et scholiis Thomce Erpenii. Leydae, ex typographia Er-
peniana Iinguarum ürientalium, 1617;
A’bd-er-Rachyd el-Bakouy rapporte que, « dans la
» ville construite par Fera’oun, et maintenant abîmée
» par les sables, on voyoit la prison où fut autrefois ren-
» fermé Joseph. »
(4) Naby (j rs. Voyeç ci-après la note sur ce mot.
(5)’Fera oun ou Fira’oun est le nom Arabe du
prince que les Hébreux appeloient Fera’eh ou Fera’oh
> et que nous nommons Pharaon: mais ce nom chez
les Orientaux n’est pas le nom propre particulier d’un seul
roi ; c’est une dénomination générale et un titre attribué
par eux à tous les anciens rois des Egyptiens, comme
celui de Ptolémée l’a été aux rois d’Egypte successeurs
d’Âlexandre, ceux de César et $ Auguste aux empereurs
Romains, celui de M'ithrïdate aux rois de Ppnt,*celui
d’Antiochus aux rois de Syriij$|cèux de Midas et de
Gordius aux rois de Phrygie, ceux de Nicomcde et de
Prusias aux rois de Bithynie, et celui de Stratoh aux
rois de Phénicie.
Le nom d\Aby-Melëk'"ftft ’3N étoit de même commun
aux rois des Philistins, celui de Hyram a*iTT aux rois
de T y r , celui d’Agag 33N aux princes des tribus Arabes
nommées Amàlécites par les Hébreux, celui de Tobba’
ç u aux rois de l’Yémen, celui de Mondar aux
princes de Pl’râq, celui d'Abgar aux rois d’Edesse, celui
d'AJrasvâb aux rois de Tourân, celui de Roustoun à
ceux du Sedjestan , celui de Kay £ aux rois de
l’Irân, celui de Chosro'és [K h o s r o u ^ ^ en persan, et
Kesra en arabe] aux rois de la dynastie des
Sassanides en Perse, comme aussi le titre de Sophy
[Sofy jy'*’ ] a été commun à une autre dynastie des
rois de Perse , et comme celui de Sultan [ Soultân
qUJL ] l’est encore aux empereurs Turks de Constan-
tinople.
J’ajouterai que le mot fhiib ha^yé, qui en langue
amharique veut dire souverain, est un prénom ou titre
générique dont les rois d’Abyssinie ont coutume de faire
précéder leurs noms propres.
J’ajouterai ic i, comme très-remarquable, le passage
suivant, extrait du deuxième tome des Voyages de Le*
vaillant ( Voyages de M. Levaillant dans l’intérieur de
l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance dans les années
1780-1785):
les accroissemens périodiques du Nil ; et comme les Égyptiens se sont toujours
plu à lui attribuer la .construction de tous les monumens qui les étortnent et
qui portent un caractère extraordinaire de grandeur, ces mêmes traditions
ajoutent que ce fut aussi Joseph qui établit le premier Nilomètre dans la ville de
Monf (1), connue des Grecs sous le nom de Memphis.
A ’bd-er-Rachyd el-Bakouy dit, en parlant du Fayoum (2) : « On y voit un
■a canal considérable auquel sa grandeur a fait donner le nom de fleuve du
ce Dans là Caffrerie, le roi porte encore le nom de
» Pharao, qui a beaucoup d’analogie avec Pharaon; il
a> pourrait se faire que ce nom fut une qualité plutôt
s>qu’un nom propre dans la langue, et transmis par la
» tradition. »
Kryghouryous' Abou -l-farag y \ j£=> f
que nous nommons vulgairement Grégoire Abiilfairage ,■
dans son ouvrage intitulé Târykh mokhtesar el-doual
JfjoJI y^uôS- g jdi [ (&stoire abrégée des dynasties ],
1 fait mention de trois rois d’Egypte de la dynastie des
Pharaons.#^
Celui qu’il désigne par le nom à’Ebn-Sânes ^ 1
[fils de Sânes], est, dit-il, le premier qui fut appelé Fera*
oun, et c’est-de lui que les rois qui lui ont succédé
ont reçu ce titre.
Un autre Pharaon, auquel il donne le nom d'Amoun-
fàiys ou ¿’Âfounqâtys est, selon
lui, le prince devant lequel parut Moïse, et qui périt
dans la mer Rouge. La ressemblance de ce nom avec
celui d'Amenopliis peut faire croire que c’est le prince que
les Grecs,ont désigné sous ce dernier nom.
Le troisième Pharaon dont parle Abou-I-farag, est
celui qu’il dit avoir été surnommé Nihhâout O j l i ;
il ajoute que, dans la langue Egyptienne, cè mot sfoni-
fioit le boiteux, le contrefait. On retrouve en effet encore
dans le qobte moderne les mots ’JViâghô
[le bossu] et NichôHs^üU [le paralytique,l’impotent].
Le mot même de Pharaon retrouve aussi son étymologie
dans la langue Qobte, le verbe Ouro CW p o
signifiant régner, et avec l’article, phi-Ouro <î>SO'*pO
Ou pha-Ouro # rA.O*ipO [ le roi, le prince ].
On donne encore drfférens autres noms au Pharaon
qui régna en Egypte du temps de Moïse: les Musulmans
le désignent par celui de Oualyd oAy, les Chrétiens
Orientaux foi donnent celui à>Amyous(JfJ^ f, nom qui
paraît etre le meme que celui dtAmasis que les écrivains
Grecs nous ont fait connoître. Les Syriens prétendent
qu’|I* se nommoit Falmythous Ce dernier
nom, vraisemblablement, est le même que celui de
Phàrmethis que les Grecs donnent aussi à un des anciens
rois d’Egypte.
L’histoire de ce Pharaon se trouve e'patse dans le
Qorân, sur-tout dans le v i l . s chapitre, intitulé Sourat d-
Aa'râf o L h ^ I '¡jy. i lex.e , Sourat Younes ï .
et le xil.% Sourat el-Moumin
Les Orientaux attribuent en .général à Pharaon la
construction de la plupart des anciens monumens de
Egypte, et croient que ce prince les fit élever pour y
enfermer ses trésors, en y plaçant des talismans qui
empechent q,u’on ne puisse les découvrir.
Les Arabes emploient communément le nom de Pharaon
dans un sens beaucoup plus étendu, en s’ên servant
pour exprimer généralement un tyran, un prince
cruel et impie; et ce même nom, précédé de l’article
[ el-fera’oun ] , est encore un de ceux par lesquels
ils désignent le tyran du N il,'le crocodile.
(1) Monf. ou Menf , nommée par les Qobtes
U g q s Mefi. Voyez le Vocabulaire Qobte-Arabe
d’Ebn-Kabar, cité ci-dessus. I
Le lexique de Montpellier porte aussi Mefi Ü ,
et on lit de même dans les actes d e . S. Apater ( Ms.
Qobt. Vatic. 63 y fol. 66) ; mais la version Qobte du prophète
Ezéchiel, c. x x x , x . i j et 16 (Ms. Qobt. 2 A ) ,
offre ce nom écrit de trois manières, Mefi Uec$I, Menifi
Ue-U-CJI, et Memfe Ue^J-^E- Enfin on lit Membe
Ue-W-Eç dans deux vocabulaires Sa’ydiques de la Bibliothèque
du Roi (Ms. Qobt. 43, fol. Ms. 44,
f°l- 79 )•
(2) p P ! el-Fayoum; en langue Qobte, Ph-iom
WSO-V-. Ce mot se trouve employé dans les actes de
S. Apater, ci-dessus cités, et est écrit de la même manière
dans les lexiques Memphitiques et dans un vocabulaire
Sa’ydique de la Bibliothèque du Roi ( Ms. Qobt. 43,
fol. jp); les deux autres vocabulaires du même dialecte
(Ms. Qobt. 44, fol. 7p , et Ms. Qobt. 46, f o l /7p )
écrivent P-iom I I lO * * .
On sait que cette province est l’ancien nome ArSi-
noïte; et cette identité n’a pas été inconnue aux auteurs
des vocabulaires Sa’ydiques, dont l’un (Ms. Qobt. 44)
rend le mot Grec par Arsenoe 3 k.pCEKOE, et l’autre
(Ms. Qobt. 43), par Arsenihon SkpCEftSKOîï.
Quant a Fetymologie du nom de Ph-iom ^SOJU.
elle ne saurait être douteuse : le mot iom JOAi, en
langue Qobte, avec l’article ph ç|>, signifie la mer;
et il est certain que cette province a reçu ce nom à
cause du grand lac qui la borde du côté de l’occident.
Les Arabes ont conservé le mot Qobte, auquel ils ont
ajouté leur articlé al J f . EI-Masa’oudy, cité par Ma*
qryzy, pretend au contraire, mais sans fondement, que
cette syllabe fait partie intégrante du mot, et le lit elf-youm
pftwl, dans lequel il reconnoîr les deux mots Arabes a I f
<_jJî [mille] et youm çy, [jour].
Je transcrirai ici et dans les notes suivantes quelques
passages d’A ’bd-et-Rachÿd el-Bakouy relatifs à cette
contrée, à sa ville capitale et au grand lac dont elle a
pris son nom.
“ Ec Fayoum, dit-il, est une belle contrée sur la rive
» gauche du N il, située à l’occident de Mesr, et qui
» est sur-tout remarquable par sa grande fertilité et par
» 1 abondance de ses productions variées. »