joie lui faisant oublier la prudence, il lui fit ôter le vctement dont il étoit entièrement
couvert. Cette action fut pour lui le coup de la mort ; car le feux Abou-
defiÿeh ne s’en vit pas plutôt débarrassé, que, saisissant un pistolet qu il tenoit caché,
il le déchargea dans l’estomac dé Zou-l-foqâr, qui mourut sur 1 heure, 1 an 1 14-2 de
l’hégire, à deux jours de distance de son rival. O tinan accourut de la haute Egypte
pour venger sa mort, et entra dans le Kaire, faisant main-basse sut tous ceux
qu’il rencontroit. A ce carnage, qui fut affreux, succéda un autre desastre. IMoham-
med, un des beys qui s’étoient soustraits à la vengeance d’O ’tmân, voyant le
-cheykh-belâdat vacant, chercha à s’y élever sur les cadavres de ses collègues. 11
s’entendit à ce sujet avec Sâlh, son kâchefet son confident, et convint avec lui
■de les immoler au milieu d’une fête qu’il leur donneroit. En efFet, plusieurs d entre
eux s’étant rendus à un festin qu’il avoit fait préparer, furent massacrés, a un signal
.convenu, par des hommes qui s’élancèrent sur eux dun appartement voisin.
Mohammed ne fouit pas néanmoins de sa noire scélératesse; il fut du nombre
des victhnes; et Salh, voyant ses espérances ruinées, se retira a Constantinople,
après avoir mis sur les marches de la mosquée Hasaneyn les têtes des beys immolés,
et avoir placé devant chacune d’elles, des couffes ou paniers de son, pour donner
à entendre qu’elles avoient appartenu a des etres indignes de porter le nom
d’homme.
A peu près à la même époque, le Kaire fut désolé par la peste connue sous
le nom de peste dckâou. Elle fut annoncée par un santon ou saint, noir de couleur,
qui, parcourant les rues de cette ville, crioit kâou , kâou, c est-a-dire, brulure, brûlure,
et alla se précipiter dans une fournaise ou il périt consume. Cette peste sévit d une
manière horrible, et fit des ravages d’autant plus affreux, que l’anarchie empêchoii
qu’on ne les arrêtât.
O ’tmân, Mamlouk de Zou-l-foqâr, lui succéda dans le cheykh-belâdat, et créa
beys plusieurs de’ ses Mamlouks, à la place de ceux qui avoient péri pendant
les troubles. Il fut équitable ; tout le monde bénit son administration : il fit décapiter
un des nouveaux beys, qui sétoit permis des concussions dans une des
provinces où il étoit chargé de lever 1 impôt. L acte de justice qu il fit ,a 1 égaré
d’un pauvre ânier du Kaire, mérite d’être cité.
Cet ânier trouva dans le massif de la maçonnerie qui formoit la mangeoire de
son âne, un vase plein de monnoies d’or, qu’il courut, tout joyeux, remettre
entre les mains de sa femme, en lui recommandant la prudence et le secret, parce
que, si l’on venoit à le savoir, il en serait dépouillé, les trésors découverts appartenant
en Orient à ceux qui gouvernent. Ce lle-ci, au lieu d écouter son mari,
exigea de lui qu’il la couvrît de riches vêtemens, de bijoux, et quil la conduisit
au pèlerinage. Il s’y refusa, en lui en remontrant les conséquences. Irritée de ce
refus, elle alla le dénoncer au cheykh el-belâd, qui le fit comparaître, et qui,
après avoir entendu ses raisons*, le renvoya absous en lui disant : « Garde ce que
*> Dieu t’a donné, répudie cette malheureuse, et jouis en paix du bien qu’elle
» vouloit te faire perdre. » A cette décision pleine de générosité, 1 ânier tomba aux
pieds du gouverneur, les arrosa de larmes, les couvrit de baisers; et riche désormais
sans crainte, il se retira en comblant son bienfaiteur de toute sorte de bénédictions.
, O’tmân eut la douleur de voir la famine remplacer la peste. Nouveau Bybars,
il ouvrit ses trésors et fit renaître I abondance. Cependant, malgré la sagesse de
s o n administration, il ne put se mettre à l’abri de l’ambition d’Ibrâhym et Rodouân,
tous deux kyâhyali ou lelkhoudah. Il y a un ketkhoudah chargé de la police
de chaque corps de troupe, ainsi que de la justice à rendre aux soldats. Ibrâhym étoit
ketkhoudah des janissaires, et Rodouân, des A'zeb. Ils avoient été l’un et l’autre
Mamlouks, 1 un dani la maison dite el-Qazdaqlyeh, qui doit sa fondation à un sellier
enrichi, et 1 autre dans celle dite el-Gelfyeh, qui doit sa fortune à un certain
Ahmed el-Gelfy, lequel s’étoit avancé de la manière qui suit.
(Jn Mamlouk inconnu vint un jour faire une provision d’huile dans la manufacture
où ce Gelfy étoit simple journalier, et la lui fit porter chez lui. La jarre qui la con-
tenoit étant déposée, il attendoit son salaire, quand le Mamlouk le pria de l’aider à
cacher dans l’épaisseur d’une muraille un trésor qu’il vouloit dérober à la convoitise
de ses camarades. Gelfy se rendit à ses instances, le mura, reçut un sequin et
se retira content. Trente jours après, comme il passoit dans la même rue, il
apprit, par un rassemblement qui étoit à la porte du Mamlouk, que celui-ci étoit
mort, et que sa maison étoit en vente. Il l’acheta, en acquitta la valeur avec l’or
qu’il s’appropria, et se retira à Singelf, village delà haute Égypte; là, développant
petit à petit sa fortune, il devint le chef d’une maison puissante.
Ibrâhym et Rodouân étoient aussi opposés de fortune que de caractère ; l’un
étoit pauvre et entreprenant, pendant'que l’autre étoit riche et apathique. Le premier
étoit dévoré d ambition ; et le second, toujours entouré de chansonniers, de
musiciens, et de la fumée des parfums les plus suaves, nesongeoit qu’à ses plaisirs.
Ibrâhym, qui avoit besoin de la fortune de Rodouân, en fit son ami; mais, avant
de s’en servir, il épousa la fille d’un riche marchand, nommé Mohammed el-
Bâroudy. Il acheta, avec les biens de sa femme, la faveur du pâchâ, le secours des
Mamlouks vétérans et autres-soldats, un bon nombre de Mamlouks, et il corrompit
les premiers officiers de la maison d’O ’tmân. Il fut enfin créé bey avec
Rodouân, et ils se réunirent d’intérêt et de fortune.
O’tmân, effrayé de la rapidité avec laquelle ils s’étoient avancés, se concerta,
pour couper court à leurs intrigues, avec trois maisons puissantes :>celle d’Ibrâhym-
bey el-Qotâmych, qui comptoit trois beys dans son sein ; ceÜe d’A ’ly-bey el-
Domiâty, qui en comptoit deux; et celle d’A ’ly-ketkhoudah el-Touyj. Il fut
convenu d attenter à leurs jours en plein divan. Ce complot aurait sans doute
eu son exécution, si un certain Ahmed Sokry, intendant du cheykh el-belâd, n’en
eût prévenu Ibrâhym; celui-ci fit part à Rodouân du danger qui les menaçoit,
et se lia plus étroitement avec lui pour déjouer le projet de leurs ennemis et leur
tendre le piège suivant. Ils postèrent des émissaires armés dans Jes rues qui con-
duisoient au c hâteau ; et lorscju O’tmân s’y fut engagé, ils s’attroupèrent autour de
lui afin de se saisir de sa personne : mais il se débarrassa d’eux en piquant son
cheval, et se rendit à son palais, où, d’après les conseils du même Sokry qui l’avoit
déjà trahi, il se prépara à passer en Syrie. 11 étoit en marche pour Gaza, et étoit
Ê . M . T O M E I I . Y a