La marée, qui monte à Soueys d’un mètre et demi à deux mètres [quatre à six pieds],
ne s’élève pas à T o r à plus de trois quarts de mètre [trente pouces] dans les plus
fortes marées, et elle n’atteint qu’un tiers de mètre [dix à douze pouces] dans
les marées ordinaires.
Ce port est abrité des vents du nord et du nord-est par la chaîne des monts de
Saihte-Catherine et de Sinaï, et de ceux de 1 est par d anciennes plantations de palmiers,
et par les restes d’une citadelle [ (¿a/a el-T or] presque tout en luines,
mais où l’on voit encore des embrasures à fleur d eau, couvertes par des voûtes
en forme de niche. Ces constructions, l’aspect du terrain, quelques jardins dans le
plus mauvais état, presque toutes les clôtures en.partie détruites, lair misérable
des habitans, tout présente l’image de la destruction et de la mort. Le port, ouvert
au sud-ouest, est fermé, dans sa plus grande largeur, par un banc a fleur deau.
Les villages appelés Clmdlyeh et Beledel-Nasârah, qui composent 1 ancienne ville
de Tor, contiennent vingt-cinq à trente Chrétiens et dix a douze Arabes Maho- I
métans, non compris les femmes et les enfans. Le petit village de Gebel, au sud de
Qala’ el-Tor, ne renferme que cinq à six pêcheurs qui servent de pilotes aux I
bâtimens faisant la traversée de T o r à Soueys ou à Geddah.%La population de ces I
villages ou hameaux n’est pas de plus de cent trente individus.
Les Chrétiens sont administrés par un religieux de Sainte-Catherine au mont I
Sinaï. C’est lui qui reçoit les provisions apportées du Kaire par les caravanes, et qui I
les dirige sur le couvent, ainsi que le poisson qu’il fait pecher. Son logement est I
aussi simple que la petite chapelle qui est dans sa cour.
A deux milles de T o r , au nord-est, près des montagnes calcaires,,ce religieux
possède un assez grand jardin, entouré de murs, plante de palmiers, et traverse I
par plusieurs fontaines d’eaux thermales, dont une est appelée les Bains. Un
large bassin muré, dans lequel ieau se soutient a huit decimetres [trente pouces] ]
de hauteur et à vingt-sept degrés de chaleur, semble avoir etc construit pour cet I
usage. Une grande quantité de branches de palmier couvre toute la suiface de ce I
terrain sans culture.
Les malheureux habitans de T o r , n’ayant point de chameaux, parce qu’ils n’ont
rien à porter au Kaire pour faire des échanges, sont obliges de faire venir le
blé par les caravanes; ce qui en double le prix : ils en consomment peu et vivent
de poisson.
A T o r , le vent souffle du nord une grande partie de l’année, excepté pendant I
l’hiver, où il vient du sud jusqu’au milieu du jour seulement, et le reste de la I
journée il reprend la direction du nord.
Les petits bâtimens entrent dans le port, dont la profondeur, ainsi que celle
de la passe, est de six à huit brasses : mais généralement ceux qui craignent d être
jetés sur la côte, qui est rase, ne s’y arrêtent que pour faire de l’eau ; les gros
bâtimens restent en rade. On trouve dans le port, à une très-petite distance de
la mer, des puits construits en maçonnerie avec beaucoup de soin, qui fournissent
de très-bonne eau. Ces puits, le fort, et quelques restes d’anciennes constructions,
annoncent que ce port étoit autrefois plus fréquenté. La misere des habitans, q11* j
quelques bâtimens, en éloignent les marchands (1).
En suivant la route ordinaire des voyageurs et celle de nos Arabes, nous serions
entrés dans la montagne au nord, pour aller au mont Sinaï, à vingt-quatre milles environ
de. T o i , mais nous desirions faire.Je tour de la presqu île, et reconnoître les
ports situés à son extrémité, ainsi que la mer de l’est. Nous avions, pour l’exécution
de ce projet, trois jours de marche sans eau, et cinq à six journées de plus à
faire à travers le's montagnes; nous devions passer dans la tribu des Mezeyn, qui ne
fait pas partie de la fédération de Tor, et avec laquelle nous n’avions pas traité (2) :
ces difficultés toutefois ne nous arrêtèrent pas.
Nous éprouvâmes la plus grande résistance de la part de nos Arabes. Ils nous
objectèrent la difficulté de porter des vivres pour eux, de l’eau pour leurs chameaux,
et nous dirent que nous n’avions traité avec eux que pour aller jusqu’à T o r , et de là
au mont Sinaï ; que d’ailleurs il pouvoit arriver que nous fussions attaqués par les
Mezeyn, qui seroient jaloux de partager les bénéfices du marché. Nous levâmes
tous les obstacles en reformant une partie de nos équipages et de nos conducteurs,
en leur donnant des vivres pour eux et leurs chameaux, en leur montrant une
volonté ferme dé faire Je voyage avec un seul guide, et en leur disant enfin que
les Arabes pouvoient avoir peur d’une tribu ennemie, mais que les français étoient
amis de toutes les tribus. « Les Français n’ont qu’une parole, me dit le plus ancien
» cheykh ; nous irons avec toi, pour qu’il ne t’arrive rien. »
O N Z I E M E E T D O U Z I E M E J O U R N É E S .
Nos Arabes ne nous avoient pas trompés ; nous marchâmes deux jours à peu
de distance de la mer, tantôt dans une plaine de sable nue, rarement parsemée de
quelques arbustes, tantôt à travers des montagnes de porphyre et de granit feuilleté.
Nous étions dans la saison variable des vents de sud et de sud-ouest et dans celle
des orages, saison la plus desirée, puisqu’elle procure un peu d’eau;mais la chaleur
étoit quelquefois plus accablante que la plus forte que nous eussions éprouvée dans
la haute Égypte , à une température beaucoup plus élevée (3). Après avoir marché
long-temps au sud-est, nous entrâmes au sud dans une vallée longue, ou plutôt dans
un ravin profond, bordé, des deux côtés, de montagnes formées jusqu’au sommet
de cailloux roulés ; la pâte qui les lie a acquis assez de dureté pour que d’énormes
fragmens se. soient précipités dans la vallée sans se désunir. Le port de Râs-Mo-
hammed est situé à l’extrémité, et nous a paru être au milieu de la presqu’île.
¡(0 Les habitans de Tor n’ont plus que neuf bateaux
de pêcheurs, dont huit appartiennent aux Grecs.
^On voit les débris d’un bâtiment échoué: il venoit
dYambo’ et entroit dans le port pour faire de l’eau. On
assure que le pilote de Tor l’a voit fait échouer, et qu’ensuite
il fut pillé : i| contenoit cent trente ballots de toile,
e quatre-vingts pièces chacun ; quatre-vingts ballots de
lentilles, de chacun un demi-ardeb; cent vingt de riz,
1 *wi; deux de cuivre, de chacun six cents rotl.
Les Arabes rejettent le pillage sur les Grecs, et ceux-ci
sur les Arabes. Quinze ans avant notre arrivée à T o r ,
la tribu des Gararché avoit pillé un bâtiment. Les
Mamlouks leur défendirent de venir au Kaire. C ’est
ainsi qu’ils ont détourné les marchands de s’arrêter à
Tor.
(2) Ce sont les Arabes de cette tribu qui ont pillé les
marchandises que notre caravane avoit transportées avec
nous du Kaire à l’entrée des montagnes.
(3) Le thermomètre de Réaumur s’est élevé, à l’ombre,
à trente-deux degrés.