
notre plaifir à une caufe qui ne Tait point produit.
C ’eft lans doute fur les ouvrages qui ont réulfi en
chaque genre, que les règles doivent être faites :
mais ce nell: point d’après le réfultat général du
plaifir que ces ouvrages nous ont donné; c eft d’après
une difcufîion réfléchie qui nous fafle difcerner les
endroits dont nous avons été vraiment affectes ,
d’avec ceux qui n’étoient deffinés qu’à fervir d’ombre'
ou de repos', d’avec ceux même où l’auteur
s’eft négligé lans le vouloir. Faute de Cuivre cette
méthode, l ’imagination, échauffée par quelques
beautés du premier ordre dans un ouvrage monstrueux
d’ailleurs, fermera bientôt les yeux fur les
endroits foibles, transformera les défauts mêmes en
beautés , & nous conduira par degrés à cet enrhou-
fiafme froid & ftupide , qui ne fent rien à force
d’admirer tout ; efpèce de paralyfîe de l’efprit, qui
nous rend indignes & incapables de goûter les
beautés réelles. Ainfi, fur une imprëflion confufe
& machinale , ou bien on établira de faux principes
de G oût, o u , ce qui n’eft pas moins dangereux
, on érigera en principe ce qui eft en foi
purement arbitraire ; on rétrécira les bornes de
l’art, & on preferira des limites à nos plaifirs,
parce qu’on n’en voudra que d’une feule efpèce &
dans un feul genre ; on tracera autour du talent
un cercle étroit dont on ne lui permettra pas de
fortir.
C ’eft à la'Philofophie à nous délivrer de ces
liens; mais elle ne fauroit mettre trop de choix
dans les armes dont elle fe fert pour lesbrifer. Feu
M. de La Motte a avancé que les vers n’étoient
pas effenciels aux pièces de Théâtre : pour prouver
cette opinion, très-fbutenable en elle même , i l a
écrit contre la Poéfie, & par là il n’a fait que
nuire à fa caufe ; i l ne lui reftoit plus qu’à écrire
comte la Mufique, pour prouver que le chant n’eft
pas eflenciel à la Tragédie. Sans combattre le préjugé
par des paradoxes, il avoit, ce me femble ,
un moyen plus court de l ’attaquer ; c’étoit d’écrire
Inès de Caftro en profe : l’extrême intérêt du fujet
permettoit de rifquer l’innovation , & peut - être
aurions-nous un genre de plus. Mais l ’envie de fe
diftinguer fronde les opinions dans la théorie, &
l ’amour propre qui craint d’échouer les ménage dans
la pratique. Les philofophes font le contraire des
légiflateurs ; ceux-ci fe difpenfent des lois qu’ils
impofent, ceux-là fe fbumettent dans leurs ouvrages
aux lois qu’ils condannent dans leurs prér
faces.
Les deux caufcs d’erreur dont nous avons parlé
jufqu’ic i, le défaut de fenfibilité d’üne part , & de
l’autre trop peu d’attention à déméler les principes
de notre plaifir , feront la foiirce éternelle de la
difpute tant de fois renouvelée fur le mérite des
anciens :, leurs partifans trop enthoufiaftes font trop
de grâce à l’enfemble en faveur des détails ; leurs
adverfairês trop raifonneurs ne rendent pas affez de
jufticç aux détails , par les vices qu’ils remarquent
dans i’enferoble,
I l eft une autre efpèce d’erreur dont le Philofo-
phe doit avoir plus d’attention à fe garantir , parce
qu’i l lui eft plus aifé d’y tomber ; elle confifte à
tranfporter aux objets du Goût des principes vr.ais
en eux-mêmes, mais qui n’ont point d’application
à ces objets. O n connoît le célèbre qu’ i l mourût
du v ie il Horace, & on a blâmé avec raifon le vers
fuivant : cependant une Métaphyfique commune ne
manqueroit pas de fophifmes pour le juftifier. Ce
fécond vers , dira-t-oh , eft néceffaire pour exprimer
tout ce que fent le v ieil Horace ; fans doute i l doit
préférer la mort dè fon fils au déshonneur de fon
nom ; mais i l doit encore plus fouhaiter que la
valeur de ce fils le fafle échaper au p é r i l , & qu’animé'par
un beau, défefpoir, i l fe défende feul
contre trois. O n pourroit d’abord répondre que le
fécond vers , exprimant un fencimenc plus naturel,
devroit au moins précéder le premier, & par con-
féquent qu’i l l ’affoiblit. Mais qui ne voit d’ailleurs
que ce fécond vers feroit encore foible & froid ,
même après avoir été remis à fa véritable place î
N ’eft - i l pas évidemment inutile au v ie il Horace
d’exprimer le fentiment que ce vers renferme? chacun
fuppofera fans peine qu’ i l aime-mieux voir fon
fils vainqueur que vidime du combat : le feul fen-
timenc qu’i l doive montrer & qui convienne à l ’ écat
violent où i l e f t , eft ce courage héroïque qui lui
fait préférer la mort de fon fils a la honte. L a L o gique
froide & lente des efprits tranquiles n’eft pas
ce lle des amès vivement agitées : comme elles dédaignent
de s’arrêter fur des fentiments vulgaires ,
elles fous-en.endent plus qu elles n’expriment, elles
s’ élancent tout d’un coup aux fentiments extrêmes ;
femblables à ce dieu d’Homère , qui fait trois pas &
qui arrive au quatrième.
Ainfi , dans les matières de G o û t , une demi-
Phiiofophie nous écarte du v r a i, & une Philofophie
mieux entendue nous y ramène. C ’eft donc faire Une
double injure aux Be lles -Le ttres & à la Philofop
h ie , que de croire q u e lles puiffent réciproquement
fe nuire ou s’exclure. Tout ce qui appartient ,
non feulement à notre manière de concevoir, mais
encore à notre manière de fentir , eft le vrai domaine
de la Philofophie : il feroit auffi déraifonna-
bie de la reléguer dans les cieux-& de la reftreindre
au fyftême du monde, que de vouloir borner la
Poéfie à ne parler que des dieux & de l ’amour. Et
comment le véritable efprit philofophique feroit-il
oppofé au bon Goût) i l en eft au contraire le plus
ferme a p p u i, puifque cet efprit confifte à remonter
en tout aux vrais principes ; à reconnoître que chaque
Art a fa nature propre , chaque fituation de
l ’amé fon caradère , chaque chofe fon coloris ; en
un mot à ne point confondre les limites de chaque
genre. Abufer de l ’efprit philofophique, c’eft en manAjoutons
qu’ i l n’eft point à craindre que la difi-
euffion & l ’analyfe émouffent le fentiment ou re-
froidiffent le génie dans ceux qui poffèderont d’a illeurs
ces précieux dons de la nature. L e philofophe
. fait
fait que , clans le moment de la production, le génie
ne veut aucune contrainte ; qu’i l aime à courir fans
frein & fans règ le , à produire le monftrueux à côté
du fublime , à rouler impétueufement l ’or & le
limon tout enfembie. L a raifon donne donc au génie
qui crée une liberté entière ; elle lui permet de
s epuifer jufqu’à ce qu’i l ait befoin de repos, comme
ces courfiers fougueux dont on ne vient à bout qu’en
les fatiguant. Alors elle revient févèrejment fur les
productions du génie ; elle conferve ce qui eft l ’effet
du véritable enthoufiafme , elle proferit ce qui eft
l ’ouvrage de la fougue; & c’eft ainfi qu’elle fait
éclore tes chef-d’ceuvres. Q u e l écrivain, s i l n^eft
pas entièrement dépourvu de talent & de G o û t ,
11’a pas remarqué que , dans la chaleur de la com-
pofitio'ii, une partie de fon efprit refte en quelque
manière à l ’écart, pour obferver ce lle qui corapofe
& psur lui laiffer un libre cours, & q u e lle marque
d’avance ce qui doit être effacé ? ; • *
L e vrai philofophe fe conduit à peu près de la
même manière pour juger que pour compofer : i l
s’abandonne d’abord au plaifir v i f & rapide de l ’im-
preflion; mais perfuade que les vraies beautés gagnent
toujours à l ’examen , i l revient bientôt fur
les pas , i l remonte aux câufes de fon plaifir , i l
les démêle, i l diftingue ce qui lui a fait illufîon
d’avec ce qui l ’a profondément frape, & fe met en état
par cette analyfe de porter un jugement fain de tout
l ’ouvrage.
O n p eu t , ce me femble , d’après cés réflexions,
répondre en deux mots à la queftion fouvent agitée ,
fi le fentiment eft préférable à la difcuffion pour
juger un ouvrage de Goû t. L ’impreffiori eft le juge
naturel du premier moment, la difcuffion l ’eft du
fécond. Dans les perfonnes qui joignent, à la fineffe
& à la promptitude du t a d , la netteté & la jufteffe
de F efprit, le fécond juge ne fera pour l ’ordinaire
que confirmer les arrêts rendus par le premier'.
Mais , dira-t-on, comme ils ne feront pas toujours
d’accord, ne vaudroit-il pas mieux s’en tenir dans
tous les cas à la première décifion que le fentiment
prononce ? Q u elle trifte occupation de chicaner
ainfi avec fon propre plaifir ! & quelle obligation
aurons - nous à la Ph ilo fop h ie , quand fon
effet fera de le diminua' ? Nous répondrons avec
regret , que te l eft le malheur de la condition humaine
: nous n’aquérons guères de connoiffanees
nouvelles que pour nous defabnfer de quelque illu-
- fion, & nos lumières font prefquc toujours aux dépens
de nos plaifirs. L a hmplicité de nos aïeux
étoit peut-être plus fortement remuée par les pièces
monftrueufes de notre ancien Théâtre ,. que nous ne
le femmes aujoürdhui par la plus belle de nos
pièces dramatiques. Les nations moins éclairées que
la nôtre ne font pas moins heureufeS', parce qu’avec
moins de défirs elles ont auffi moins de befoins ,
& que des plaifirs groffieis ou moins raffinés leur
fuffifent : cependant nous rie voudrions pas changer
nos lumières pour l ’ignorance de ces nations & pour
ce lle de nos ancêtres. Si cés lumières peuvent dimi-
G r à m m . e t L i t t é r a t . Tome I L
nuef nos plaifirs, elles flattent en même temps
notre vanité ; on s’applaudit d’être devenu difficile ,
on croit avoir aquis par là un degre de mérita.
L ’amour propre eft le fentiment auquel nous tenons
le p lus, & que nous femmes le plus empreffes^de
fatisfaire ; le plaifir qu’i l nous fait éprouver n eft
.pas, comme beaucoup d’autres, l ’effet dune invr
preffion fubite & violente : mais i l eft p lus continu.,
plus uniforme, & plus durable , 8c fe laiffe goûter à
plus longs traits.
C e petit nombre de réflexions paroît devoir fuffite
pour juftifier l ’efprit philofophique des reproches
que l ’ignorance ou. l ’envie ont coutume de faire*
Obfervons en finiffant, q u e , quand ces reproches
feroienc fondés, ils ne feroient peut-être convenables
& ne devroient avoir de poids que dans la bouche
des véritables philofophes : ce feroit a eux
feuls qu’i l appartiendroit de fixer i ’ufage 8c ^ le s
bornes de l ’efprit philofophique; comme i l n appartient
qu’aux écrivains qui ont mis beaucoup d efprit
dans leurs ouvrages, de parler contre l ’abus
qu’on peut en faire. Mais le contraire eft malheu-
reufement arrivé ; ceux qui pofsèdent & qui con-*
noiffent le moins l ’efpric philofophique , en fout
parmi nous les plus ardents détracteurs, comme la
Poéfie eft décriée par ceux qui n en ont pas le talent
, les hautes Sciences par ceux qui en ignorent
les premiers principes, & notre fiècîe par les ecri—•
vains qui lui font le moins d honneur. ( M» D JiLEM-*
BERT. )
G O U V E R N E R , v. ad . Terme de Grammaire2
I l ne fuffit pas, pour exprimer une penfée, d’accumuler
des: mots indiftindemeat ,* i l doit y avoir
entre tous ces mots une corrélation univerfelle qui
concoure à l’expreflion du fens total. Les, noms ap-
pellatifs , les prépofitions , 8c les verbes relatifs ,
ont effenciellement une fignification vague & generale
, qui doit être déterminée tantôt d une façon ,
tantôt d’une autre , félon les conjondures. Cette détermination
fe fait communément par des noms que
l ’on joint aux mots indéterminés , & q u i, en conlé-
quence de leur deftination , fe revêtent de te lle ou
te lle forme , prennent te lle ou te lle p la c e , fuivant
l ’ufage & le génie de chaque langue.
Ox ce font les mots indéterminés q u i , dans le
langage des grammairiens, gouvernent ou régirent
les noms déterminants. A in fi, les méthodes pour
apprendre la langue latine difent , que le verbe a c tif
gouverne l ’accufatiff: c’ eft une expreffion abrégée,
pour dire que , quand on veut donner, à la fignification
vague d’un verbe a d i f , une détermination fpe-
ciale tirée de l ’indication de l ’objet auquel s’applique
l ’ad ion énoncée par le verbe , on doit mettre
le nom de cet objet au cas accufatif, parce que
l ’ufage a deftiné ce cas à marquer cette forte de fer-
vice.
- C ’ eft une métaphore prife d’un ufage très - ordinaire
de la vie civile. U n Grand gouverne fes
A a