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compofent chaque phrafe latine. Fort bien : mais
Cet exercice ne vient qu’après que la traduction
<lt entièrement faite ; & vous conviendrez apparemment
que vos remarques grammaticales ne peuvent
plus alors y être d’aucun fecours. Je fais bien
que vous me répliquerez que ces obfervations prépareront
toujours les efprits pour entreprendre
avec plus d’aifance une autre traduction dans un
autre temps. C e la elt vrai ; mais fi vous en aviez
fait un exercice préliminaire à la traduction de la
phrafe même qui y donne l i e u , vous en auriez
tiré un p ro fit , & plus prompt, & plus grand ; plus
■ prompt j parce que vous auriez recueilli fur le
ch amp, dans la traduction, le fruit des obfervations
que vous auriez femées dans l ’exercice préliminaire
; plus g rand , parce que, l ’application
étant faite plus tôt & plus immédiatement, l ’exem-
p le eft mieux adapté à la r è g le , qui en devient
plus claire , & la règle répand plus de lumière
lur l ’ex emple, dont le fens eft mieux dèvelopé.
J ajoute que vous augmenteriez de beaucoup le
profit de cet exercice pour parvenir à votre traduction
, fi la théorie de vos remarques grammaticales
étoit fuivie d’une application-pratique dans
une conftruôtion faite en conféquence.
«P a r le z enfuite des raifons grammaticales , dit
» M. Chompré ( A vertiffement, page 7 ) , des
» cas , des temps , & c , lelon les douze maximes
» fondamentales, & félon les ellipfes que vous
» aurez employées ; mais parlez, de tout cela avec
» fobriété , pour ne pas ennuyer ni rebuter les
• » petits auditeurs, peu capables d’une longue at-
® tention. L a L ogiqu e grammaticale, quelle qu’elle
» foie, eft toujours difficile , au moins pour dés
» commençants». Ce que je viens de dire à M. Pluche
, je le dis à M. -Chompré ; mais j’ajoiîte qu e ,
quelque difficile qu’on puiffe imaginer la L ogique
grammaticale, c e ft pourtant le feul moyen sur
que Io n puifle employer pour introduire les com-
'n/rP’ ,antS a l ’étude des langues anciennes. I l faut
aflurément faire quelque fonds fur leur mémoire ,
& lu i . donner fa tâche 5 tout le Vocabulaire eft
de Ion reflort : mais les mener, dans les routes
•obfcures d’une langue qui leur eft inconnue, fans
-leur donner le fecours du flambeau de la L o g i-
- q u e , ou en portant ce flambeau derrière eux
au lieu de lès : en faire précéder ; c’eft d’abord
• retarder volontairement & rendre incertains les progrès
qu’ils peuvent y fa ire , & c’eft d’ailleurs faire \
prendre a leur efpritla malheureufo habitude d’aller
fans raifonner ; c’ e f i , pour me fervir d’un tour de
.M. Pluche -, accoutumer leur efprit à f e fam i-
liarifer avec la fiupidité. L a Log iqu e grammat
ic a le , j’en conviens, a des difficultés, & même
tres-grandes , pnîfqu’i l y a fi peu de maîtres qui
paroiflent l ’entendre : mais d’ou viennent ces difficultés^
fi ce n’eft du peu d’application, qu’on y
a donnée ju fq u ic i, & du préjugé où l ’on eft que
l ’étude en eft sèche , pén ible, & peu frudueuie ?
Que de bons efprits ayent le courage de fe mettre
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au defliis de ces préjugés & d’approfondir les prirW
ctpes de cette fcience j & l ’on en verra difparoître
la fécherefle, la p ein e, & l ’inutilité. Encore quelques
San&iùs, quelques Arnaud, & quelques du
Jviarfais , car les progrès de l ’efprit humain ont
eflenciellement de la lenteur j & j’ofe répondre
que ce qu’ il faudra donner de cette Logique aux
enrants , fera c la i r , précis , u tile , & fans difficultés
| ‘En attendant, réduifons de notre mieux les prin*
‘ cipes qui leur font néceflaires ; nos efforts , nos
erreurs mêmes , amèneront la perfection : mais i l
ne faut rien attendre que la barbarie, d’un abandon
abfolu ou d’une routine aveugle.
Encore un mot fu r cette har'monie enchamerefle ,
à laquelle on facrifie la c o n f t r u c t io n analytique ,•
quoiqu’elle foit fondée fur des principes de L o -
gioue qui ont d’autan; plus de droit, de me' p araître
surs , qu’ils réuniffent en leur faveur l ’unanimité
des grammairiens de tous les temps. M. Plu-
che & M. Chompré fenteiit-ils bien les' différences
harmoniques-de ces conftruftions également latines,
puifqu’eiies font également de Cicéron : Leg i tuas
litte ra s , litteras tuas accepi, tuas accipio lit -
teras ? S’ils démêlent ces diff érences & leurs caufes ,
ils feront bien de communiquer au Public, leurs
lumières fur un objet fi intérefîant ; elles en feront
d’autant mieux accueillies , qu’ils font les feuls
apparemment qui puiflent lui faire ce préfent : &
ils doivent s’y prêter d’autant plus volontiers, que
cette théorie eft le fondement de leur iyftême
. d’enfeignement, qui ne peut avoir de folidité que '
ce lle qu’i l tire de fon premier principe ; encore
faudra-t-il qu’ils y ajoutent la preuve que les, droits
de cette harmonie font inviolables, & ne doivent
pas même-c é d e r à ceux de la raifon & de l ’intelligence,
Mais convenons plus tôt que , par raport
a la raifon , toutes les conftruftions font bennes,
fi elles font claires ; que la clarté de l ’ é n o n c ia t io n
eft le feul objet de la Grammaire , & la feule vue
qu’i l fa ille fe propofer dans l’ étude des éléments
o une langue ; que l ’harmonie , l ’élégance , la
parure , font des objets d’un fécond ordre , qui
n ont & ne doivent avoir lieu qu’après la clarté ,
& jamais à fe s dépens ; & que l ’ étude de ces agréments
ne doit v e n i r qu’après ce lle des éléments
fondamentaux, à moins qu’on ne Veuille ' rendre
inutiles fes efforts , en les étouffant par le concours.
A u forplus , qui empêche un maître habile ,
après qu’i l a conduit fes élèves à l ’intelligence du
fens par l ’analyfe & la conftruétion grammatic
a le , de leur faire remarquer les beautés accef-
foires qui peuvent fe trouver dans la conftru&ion
ufuelle ? Quand ils entendent le fens du texte & \
qu’ils font prévenus fur les effets pittorefques de
la difpofition où les mots s’y trouvent, qu’on le
leur fafle relire fan s dérangement ; leur oreille
en fera f r a p é e bien plus agréablement & plus utilement
, parce que l ’ame prêtera à l ’organe fa
fenfibitité , .& l ’efprit fa lumière. L e petit inconvénient
réfulté de la conftru&ion , s’ i l y en a u n ,
fera amplement compenfé par ce dernier exercice ; •
& tous les intérêts feront conciliés.
J’efpère que ceux dont j’ai ofé ici contredire
les aflertions , me pardonneront une liberté dont
ils m’ont donné l ’exemple. Ce n’eft pas une leçon
que j’ai prétendu leur donner ; quod f i facerem ,
te erùdiens , ju r e reprehenderer. ( Ç ic . III. de
f in . ). Je n’ignore pas quelle eft l ’ étendue^ de
leurs'lumières ; mais je fais aufli quelle eft 1 ardeur
de' leur zèle pour L ’utilité publique. V o ila
Ce qui m’a encouragé à expofer en d é ta il'les titres
juftificatifs d’une .. méthode qu’ils condamnent, &
d’un principe qu’ ils défapprouvent. Mais je ne prétends
point prononcer définitivement ; je n a i voulu
que mettre les pièces fiir le bureau : le Public
prononcera. N o s q ui 'fequimur p robabilïa , nec
ultra id quod verifimile occurrerit progredi p o f-
fum u s ; & refellere fine pertinacia , & refelli
fin e irdcundiâ p ara ti fum a s . ( Cic. Tufc. II.
ij* 5* )
( ^ liré fu lte de tout ce qui précède, que Y Inver-
fion eft une figure de Syntaxe, par laquelle les
mots d’une phrafe font rangés dans un ordre diamétralement
oppofé à l ’ordre primitif & analytique.
•Mentor parla, ainfi , c’ eft une phrafe dans
1 ordre analytique,; le fujet ÿ précède le verbe ,
& le verbe y eft fuivi de fon complément modifi-
cacif.. A in f i p a r la M en tor , c’eft une hiv e r fion ,■
parce que l ’ordre analytique y eft entièrement ren-
verfé.
L ’indéclinabilité des noms françois n’a pas
permis à notre langue de conc ilier, avec la perf-
picuïté qui la caraétérife , toutes les Inverjions
autorisées prefque indifféremment en grec & en
latin : i l n’ y en a que quelques-unes qu’elle admet
avec précaution , foie en profe foit en vers ;
•d’autres qu’elle ne fouffre qu’en vers, avec des précautions
encore plus rigo-ureufes.
ï . O n peut réduire à dix règles principales les
Inverfions généralement autorifees dans la profe &
dans lés vers.
i ° . Loifque dans -une phrafe on emploie un
adverbe ou une phrafe adverbiale , dont le feus
vague & général ne peut être déterminé que par
relation à quelque chofe qui précède : on doit
. mettre a la tête la locution adverbiale, quoique
complément du v erb e, afin d’en déterminer la
relation d’une manière plus marquée , par fon
rapprochement de ce qui précède; le verbe après ,
afin de rendre fenfible la relation qu’a avec lui
fon complémefK ; & le fujet à la fuite, parce qu’il
eft néccflairemen: lié avec le refte , & que .d’ailleurs
i l ne lui refte plus que cette place. Meritor
parla a in f i , annonce que l ’on va ràporter le
difcours de Mentor , dont l ’adverbe ainfi annonce
la teneur ; A in f i parla Mentor , fuppofe que le
difcours de’ Mentor, défignépar a in f i , vient d’être
raporcé auparavant. L à s ’élève un p a la is fu p e rbe }
c’eft â dire , dans lé lieu qu’on a d’abord indiqué
: D e ce principe effrayant ( que l ’on fuppofe
déjà expofé ) -, fo n e n t des confsquences encore
plu s effrayantes. Si le lieu n’ étoic pas déjà
connu , fi le principe n étoit pas encore expofé ,
on diroit dans l ’ordre analytique, U n p a la is f u perbe
■ s ’élève en tel end roit, D e s conféquence s
effrayantes fortent du principe que , &c.
i ° . Si la locution adverbiale eft mife â la tête
par pure énergie & pour être plus fenfible : le
pronom, fujet du verbe fuivan; , doit fe placée
après le verbe; & cela doit s’ obferver lors même
que le fujet eft déjà exprimé par un nom , foit
feul' foit accompagné de modificatifs. E n vain
formerions-nous les p lu s g rands projets. Inutilement
cette première vicloire avoit - elle un peu
relevé nos efpérances.
30. Dans une citation interjeétive , on doit mettre
le fujet , nom ou pronom , après le verbe : la
raifon en eft que le difcours cité , déjà commencé
ou même- raporté en entier, eft envifagé comme
complément de ce verbe; & qu’i l importe à la
clarté que la liaifon immédiate des idées foit du
moins eonfervée , lorfque l ’ordre en eft renverfé.
I l le fe r a y dit-il. L a voie des préceptes e fi longue
y dit Sénèque lepkiîofophe ,' celle des exemples
eft courte .& efficace.
4®. Si une propofition incidente ou interrogative
commence par l ’un des mots conjofeétifs combien ,
comment \ où. , quand y q u e , q u e l, & quoi} que
ce mot'foit le feul complément du verbe, ou en
fafle partie; & que le verbe ait pour fujet un nom:
l ’Invèrfion doit ordinairement être entière. Je f a i s
combien coûté' ce livre. T ignore comment vont
nos affaires. V o u s comprenez d ’où. viennent ces
propos féditieux.. Ceci nous apprend quand reviendra
la p a ix . Devineç le livre que lit notre
ami. I l efi a ifé de prévoir quel jugement porteront
les connoiffeurs. V o ic i fu r quoi efi fondée
notre efpérance. G’eft la même chofè en interrog
eant:. Combien coûte ce, livre ? Comment vont
nos affaires ? D ’ou viennent ces propos fé d itieu
x ? Qu and reviendra la p a ix 1 Que lit notre
ami ? Q u e l jugement porteront les connoiffeurs ?
Su r quoi efi fondée notre efpérance ? C ’eft toujours
dans la vue de conferver la liaifon des idées , tandis
que l ’ordre en eft renverfé.
J’ai fuppofé que le fujet du verbe eft un nom :
car fi c’eft un pronom , i l demeure, avant le verbe
dans les propofitions incidentes qui n’ interrogent
pas; & i l ne fe placé après le verbe que dans les
propofitions interrogatives. Je fa i s combien vous
dépensâtes. Combien dépensâtes-vous ? Dans l e
premier exemple , le pronom éloigne fi peu le
complément de fon verbe, qu’i l n’efrace pas l ’ idée
_ du raport qui les lie : dans le fécond, ce feroit
bien la même chofe ; mais i l y a l ’interrogation
à rendre fenfible, & c’ eft l ’Invèrfion qui en eft l e
figne,