
( N . ) O C U L A I R E , adj. R e la t i f à l ’oe il. O n
appelle Diphthongue ocu laire, une voyelle cora-
pofée de deux voyelles Amples réunies pour repré-
Tenter une voix ample ; comme ai dans ) a im a i,
eu. dans heureux , ou dans cou cou , &c. La véritable
diphthongue ( voyeç çe mot) fait entendre
à l’oreille deux voix diftin&es & çonféçutives en
une feule é million ; Ôcde là lui vient T épithète d'auriculaire
( voye\ ce mot ) : les voyelles compofées
dont il s’agit ic i, préfentent bien aüX ieux les Agnes
de deux voix, mais n’en iaiffent entendre qu une
dans la prononciation ; & de là leur vient le nom de
diphthongues oculaires ; parce qu’elles indiquent
aux ieux deux fons, quoiqu’elles m’en expriment
qu’un pour .les oreilles. On les nomme encore
faujfes, par raport aux diphthongues vraies qui
font entendre deux fons ; & orthographiques, par
©ppoAijon avec les vraies;, que l ’on appelle alors
fy llà b iq u e s . V oye \ ce mot. ( M. B e a u z é e ),
ODE , f . f. P o e fie lyr. Lorfqu’en Italie on entend
un habile j.nprôvifateur préiuderAir le clavecin, fe
la i fier d’abord remuer les fibres par les vibrations
harmoniques, & quand tous les organes du fentiment
& de la peniée font en mouvement, chanter
des vers faits impromptu fur un fujet donné , s’anir
mer en chantant , accélérer lui - même le mouvement
de l ’air fur lequel i l compofe , & produire
alors des idées , des images, des fentiments, quelquefois
même d’aflëz longs traits , ou de Peinture
ou d’Eloquence, dont i l feroit incapable dans un
travail plus réfléchi, tomber enfin dans un épuifê-
ment pareil à celui de la Pythonifle : on recon-
noît l ’infpiration 5c l ’enthouAafme dès anciens poètes,
& l ’on eft en même temps faifi d’étonnement ôc
de pitié ; d’étonnement, de voir réalifer ce délire
divin qu’on croyojt fabuleux ; & de pitié , de voir
çe grand effort de la nature employé à un jeu fu t ile ,
dont tout le fuccès pour l ’entnoufiafme eft d’avoir
amufé quelques étrangers curieux , fans que des
peintures, des fentiments, des beaux vers même qui
lu i font échapés, ilrefte plus de trace que des fons de
fa voix.
C ’étoit ainfi , fàns doute, que s^animoient les
poètes lyriques anciens ; mais leur verve étoit plus
dignement, plus utilement employée : ils ne s*e%-
pofoient pas au caprice de. l ’impromptu, ni au
défi d’un fujet ftérile , ingrat, ou frivole ; ils méditaient
leurs chants, ils fe donnoient eux - mêmes
des fil jets graves & fubiimes : ce n’étoit pas un
cercle de curieux oififs qui excitoit leur enthou-
ftafme ; c’étoit une armée au milieu de laquelle ,
au fon des trompettes guerrières , ils chantoient
la valeur, l ’amour de la patrie , les charmes de
fa liberté, les préfages de‘ la victoire, ou l ’honneur
de mourir les armes à la main ; c’étoit un
peuple au milieu duquel ils cçlébroient la majçfté
des Lois, filles du C ie l , £c l ’empire de la Vertu,
ç’étoient des jeux funèbres , ou , devant un tom-
j*eau chargé de trophées & dç lauriers, ils reçoipmandoient
à l ’avenir la mémoire d’uô hoitimfi
vaillant ôc ju fte, qui avoit vécu & qui écoit mort
pour fon pays ; c etoient des feftins , où , aftis à
côté des rois , ils chantoient les héros, & donnoient
à ces rois la généreufe envie , d’être célébrés à leur
tour par un chantre auffi éloquent ; c ’étoit un
temple, où ce chantre facré fembloit infpiré par les
dieux , dont i l exaltoit les bienfaits , dont i l féfoit
adorer la puiflance.
L a plus jufte idée , en un m o t , que l ’on puifïe
avoir d’un poète lyrique ancien, dans le genre
élevé de l 'Ode , eft ce lle d’un vertueux enchou-
Aafte qui accouroit, la lyre à la main , ou dans
le moment d’une fédition , pour calmer les efprits ;
ou dans le moment d’un défaftre, d’une calamité
pu blique, pour rendre l ’efpérance 5c le courage
aux peuples; ou dans le moment d’un fuççès g lo rieux
, pour en confàcter la mémoire ; ou dans
une folenn ité, pour en rehauffer la fplendeur ; ou
dans des je u x , pour exciter,l’émulation des combattants
par les chants promis au vainqueur , 5c
qu’ils préférôient tous au prix de la viétoile : telle
fut Y Ode chez les grecs. On a vu , dans Y article
L yr iq u e , combien e lle a dégénéré chez les romains
& les nations modernes.
L ’Ode françoife n’eft plus qu’un Poème de fan-
ta itïe, fans autre intention que de traiter en vers
plus é le v é s , plus animés, plus vifs en cou leu r ,
plus véhéments , 5 c plus rapides, un fujet qu’on
choifit foi - même ou qui quelquefois eft donné.
On fent combien doit être rare un véritable en-
thoufiafme dans la Atuation tranqûile d’un poète
qui , de propos délibéré , fe dit à lui - même ,
refons une O d e , imitons le délire ,& ayons l ’air
d’un homme infpiré. Quoi qu’i l en foit, voyons quelle
eft la nature de ce Poème.
L ’Ode étoit l ’Hymne , le Cantique, 5c la Chanfon
des anciens ; elle embrafïe tous les genres, depuis
le fublime jufqu’au familier noble: c’ eft le fujet qui
lui donne le ton , 5c fon caractère eft pris dans la
nature..
I l eft naturel à l ’homme de chanter : voilà le genre
de Y Ode établi* Quand , çomment, ôc d’où lui vient
cette envie de chanter ? voilà ce qui caraétérife
YQde.
Le çhant nous eft infpiré par la nature, on
dans l ’enthoufïafme de l ’admiration, ou dans le
délire de la jo ie , ou dans l ’ivreffe de l ’amour., o,n
dans la douce rêyerie d’ une âme qui s’abandonne
aux fentiments qu’excite en elle l ’émotion légère
des fens.
A in f i, quels que foient le fuje.£ 5c le ton de
ce Poçme , le principe en eft invariable ; toutes
les règles en font prifes dans la fituâtion de celui
qui chante , 5c dans les règles même du Chant.
■ Il eft donc bien aifé de diftinguer quels font les
fujets qui conviennent eflenciellement à YOde,
Tout ce qui agite l ’âme 5 c l ’élève au deffus d’elle-
ipêm© , tout ce qui l ’émeut voluptueufement, toift
,2e qui la plonge dans une douce langifeur, dans
nne tendre mélancolie ; le s ’ fonges intérefTants dont
l ’imagination l ’occupe; les tableaux variés qu’elle
lui retrace ; en un m o t, tous les fentiments qu’elle
aime à recevoir 5c qu’elle fe plaît à répandre, font
favorables à ce Poème.
On chante pour charmer fes ennuis, çomme
pour exhaler fa joie ; 8c quoique dans une douleur
profonde il femble qu’on ait plus dé répugnance
que d’inclination pour le chant, c’eft quelquefois
un foülagement que fe donne la nature. Orphée fe
confoioit, dit-on, en exprimant fes regrets fur fa
lyre :
Te , dulcis Cotijux , te folo in littore fecurn ,
T e vetiiente die , te decedente canebat. ,
Georg. IV.
L a fàgefïe , la vertu même , n a pas dédaigné le
fecours de la ly re : e lle a p lié Tes leçons aux
règles, du nombre Sc de la cadence; elle a même
permis à la voix d’y mêler i ’àrtifice du- chant,
Toit pour les graver plus avant dans nos acnés ,
foit pour en tempérer la rigueur par le charme
des accords , foit pour exercer fur les hommes le
double empire de l ’éloquence 5c de l’harmonie,
de la raifon 5c du fentiment. A in f i, le genre de,,
l ’Ode s’eft étçndii, élevé , ennobli ; mais on voit
que le principe en eft toujours 5c partout le même :
pour chanter i l faut être ému. I l s’enfuit que
YOde eft dramatique , c’eft à dire , que fes pér-
fonnages font en adfion. L e poète même eft afteùr
dans YOde'y 8c s’ i l n’eft pas affe&é des fentiments
qu’i l exprime, YOde fera froide 5c fans âme : elle
n’eft pas toujours également paffionnée , mais elle
n’eft jamais , comme l ’Épopé e, le récit d’un fimple
témoin. Dans Anacréon j’oublie le poète , je ne vois
que l ’homme voluptueux. D e 'même , fi YOde
s élève au ton fublime de Tinfpiration, je veux
croire entendre un homme infpiré; fi elle fait
l ’éloge de la v ertu , ou fi elle en défend la caufè-,
ce doit être avec l ’éloquence d’un zèle ardènt 8c
généreux. I l en eft dés tableaux que YOde peint ,
comme des fentiments qu’elle exprime : le poète
en doit être a ffe fté , comme i l veut m’en afteéfer
moi-même. , L a . Motte a connu toutes les règles
■ de Y O d e , ■ !excepté celle-ci • de là yiënt qu’i l a
mis dans les fie.nnes tant d’efprit 8c fi peu de cha^
leur : c’ eft de tous les poètes lyriques celui qui
annonce le plus d’enthoufiafme, & qui en a le
moins. L e fentiment 5c le génie ont des mouvements
qui ne s’imitent pas.
Boileau a d it , éri parlant de YOde ;
Son ftyle impétueux fouvent marche au hafard j *
Chez elle un beau défordre eft un effet de l’art. ' 1
On ne fauroit croire combien ces deux vers ,V mal
entendus, ont fait faire d’extravagances. Onïs’eft
perfùadé que Y O d e , appelée pindarique , ne devoit
G r a m m . e t L i t t é r a t . Tome U ,
a ller qu’en bondiffant : de là tous ces mouvements
qui ne font qu’au bout de la plume , 5c ces formules
de tranfports, Q u entends-je ? O à fu is - j e ? Que
v o is -je ? qui ne fe terminent à rien.
Qu’H o ra ce, dans une chanfon à boire , le dife
infpiré par le dieu du vin 5c de la vérité pour
chanter les louanges d’A u gu fte , c’eft une flatterie
ingénieufe deguifée fous- l ’air de l ’ivreffe : la
période eft cou rte, le mouvement eft rapide , le
feu foutenu , ôc l ’illufion complette. Mais à ce
début,
Quo me ', Racche, rapts, tut
Plénum -
comparez celui de YOdeTur la prife de Nanmr :
Quelle dofte & fainte ivrefïe
Aujourdhui me fait la- loi ?
Cette docte & fa in te ivrejje n’eft point le langage
d’un homme enivré. Suppofé même que le f ty le en
fût auffi véhément, auffi naturel que dans la verfioft
latine ;
■ Quis me furor- ebrium rapit
Impotens, ?
Ce début feroit déplacé ce n’eft point là le premier
mouvement d’un poète qui a devant les ieux l ’image
fanglante d’un fiège.
C e lu i des modernes qui a le mieux pris le ton de
YOde y furtout lorfque David le lui a donné', Rouf-
feau , dans YOde à M. du Lu c , commence par fe
comparer au miniftre d’A p o llo n , pofîédé du dieu
qui i ’infpire :
Ce n’ eft plus un mortel, c’eft Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.
C e début me femble bien h a u t p o u r un poème
dont le ftyle finit par être l ’expreffion douce 5c touchante
du fentiment le plus tempéré.
Pindare , en un fujet p a re il, a pris un ton beaucoup
plus humble. « Je voudrois voir revivre Chi-
» ron , ce centaure ami des hommes , qui nourrit
» Efculape 5c qui l ’inftruifit dans l ’art divin de
» guérir nos maux . . . A h ! s’i l habitoit .encore
» la caverne 5c fi mes chants pouvoient l’ attendrir,
» j’irois moi-même l ’engager à prendre foin des
» héros, ôc j’appor-terois , à celui qui tient fous fes
»> lois les campagnes de l ’Etna 5c les bords de
» l ’Aréthufe , deux préfents qui lui feroient chers, la
» fanté, plus précieufe que l ’o r , 5c un hymne fur
» fon triomphe ».
Rien de plus impofant, dé plus majeftueux que ce
'début prophétique du poète françois que je viens de
citer.
Qu’aux accents dema voîx la terre fe réveille:
Rois, foyez. attentifs i Peuples, prêtez Foreille ;
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