
charité pour le prochain, & par interet pour eux-
memes.
Mais plus fouvent encore les interrogations
accumulées font comme une explofion des foudres
de rÉ lo qu ence. V o y e z comme Cicéron frape le
traître Catilina p a rla véhémence des Interrogations
i l
Quoufque tandem
àbutêre, Catilina,pa-
ùentiâ noflrâ ? quam-
diu etiam furor ifte
tuus nos eludet ? quem
adfinem fefe ejfroena-
ta ja&abit audacia ?
Nihilne te nocîumum
prcefidium P a la tii,
nihil urbis vig liiez, nihil
timor populi , ni-
fiil concurfusbonorum
omnium , nihil hic
munitijpmus habendi
Senatus locus, nihil
horum ora vultufque
moverunt? Patere tua
confilia non fentis ?
confirictam jam omnium
horum c onfcien-
tiâ teneri conjuratio-
■ nem tuam non vides ?
Quid proximâ, quid
fuperiore no Be egeris,
ubi fueris, quos con-
vocaveris, quid confia
i ceperis, quem nof-
zrâm ignorare arbi-
traris ?
Jufques à quand enfin abu-
ferez-vous, Catilina, de notre
patience ? combien de temps
encore ferons-nous les jouets
de cette fureur qui vous agite
? quel terme auront les emportements
de votre audace
effrénée ? Quoi ! ni la garde
qui fe fait de nuit fur le mont
Palatin, ni lesfentinelles répandues
dans la v i l le , ni les
alarmes du peu ple, ni le concert
de tous les gens de bien
ni le choix de ce lieu fortifié
pour affembler le Sénat, ni
les regards & la contenance
de ceux qui font i c i , rien de
tout cela ne vous a fait im-
preffion? Vous ne fentez pas
que vos defleins font découverts?
vous n e'/oyez pas que
votre conjuration eft en-
chainée par la connoiffance
même qu'en ont tous les fé-
nateurs? C e que vous avez
fait la nuit dernière, ce que
vous fîte s la précédente, le
lieu où vous fûtes, ceux que
vous y apelâtes, lesréfolu-
tions que vous y prîtes, de
qui de nous penfez-vous que
cela foie ignoré ?
« L a véhémence qui caractérife Boflu et, àinfi
» que Démofthène, di: M. l ’abbé Maury ( Difc.
fu r Véloquence de la Chaire. §. x v i i . ) , » me
» paroît dériver fréquemment des Interrogations
» accumulées qui leur font fi familières a l ’un & a
» 1 autre. En effet, de toutes les figures oratoires ,
» la plus terraffante & la plus rapide, c’ efl l ’In-
» terrogation : mais fi on l ’emploie dans le dève-
» lopement des principes fur lefquels le difeours
» eft ap p u y é , e lle y répand une obfourité inévi-
» tab le , & une efpece de déclamation qui dégoûte-
» les bons efprits. C ’eft après une expofition lu-
» mineufe des devoirs du chriftianifme, que les
® details de la Morale , animes par ce mouvement
» impétueux , frapent fortement les auditeurs ,
» ajoutent le remords à la conviction , & arment,
» pour ainfi dire, la lo i contre la confidence. C ’eJf
» par des Interrogations prefiantes & redoublées ,
» que l ’orateur démontre & attaque , accufe &
» répond, doute & affirme , émeut.& inftruit.
» Y a - t_- i l dans l ’Éloquence une voie plus sûre
» pour troubler le coeur humain, que ces quef-
» tions entaflees , dont on n’a pas bei'oin d’attendre
» la réponfe , parce qu’elle eft inévitable & uni-
» forme ? Peut - on mieux ménager l ’orgueil du
» coupable, qu’en lu i épargnant la honte d’un
» reproche direct au moment même où on l ’avertit
» de les foibleffes ou de fes vices ? Eh ! comment
» donneroit-on plus de force à la vérité, plus de
» poids à la raifon , qu’en fe bornant au fimple
» droit d’interroger le méchant ? par où peut - i l
» échaper à un orateur qui lui ferme toutes les
» ifiues dans lefquelles i l cherche a s’éviter lui-même ;
» à un orateur qui le choifit pour juge, & pour juge
» unique, & pour juge fecre t, dans le fond feu-
» lement de fon coeur qu’i l ne fàuroit tromper ?
» qu’oppo fera - t- il, fi les queftions générales, dont
» i l fait lui - même autant d’accufations perfon-
» n e lles , fe précipitent, fe fortifient & fi a ces
» dépolirions, accablantes pour le pécheur , fuccède
» une grande & noble image , qui effraie fon ima-
» gination en bouleverfant les penfées, & reflemble
» a un jugement foiennel que l ’on fe bâ:e de
» prononcer au coupable après l ’avoir ainfi con-
» fondu?
» T e l le eft cette fublime & fameufe apoftrophe
» que Maffiilon adreffe à l ’être fuprême dans fon
» fermon fur le petit nombre des prédeftinés :
» O D ie u J où fo n t vos É lu s ? Ces paroles fi
» fimples répandent laconfternation : chaque ?.udi-
» teur fe place lui - même dans le dénombrement
» des réprouvés qui a précédé ce trait ; i l n’ofe
» plus répondre à l ’orateur qui lui -a demandé &
» redemandé s’ i l étoit du nombre des juftes dont
» les noms feront fouis écrits dans le livre de vie 5.
» & rentrant avec effroi dans fon propre coeur, qui
» s’explique affez par fes remords, i l croit alors
» entendre l ’arrêt irrévocable de fa réprobation.
» L ’éloquent Racine procède prelque toujours
» par Interrogations dans les fituations paffion-
» nées 5 & cette figure , qui donne une fi brûlante
» rapidité à fon ftyle 3 anime & échauffe tous fos
» ràifonnements , qui ne font jamais ni froids , ni
» languiffants, ni abftraits. L e fuccès de ce tour
» oratoire eft infaillible en chaire , quand i l eft bien
» placé ; c’ eft l e langage naturel d’une ame profon-
» dément émue».
L ’Interrogation, figure de penfée, ne marquant,
comme je l ’ai dit, aucune incertitude, doit donc
être prife dans un fens expofitif, a la vérité plus
énergique que fous la forme ordinaire & naturelle.
Mais i l faut bien obforver une fingularité , en effet
remarquable : c’eft que la figure d’Interrogation ,
quand elle eft fans négation, a un fons expofitif
négatif ; & quand elle a une double négation, e lle
a un fens expofitif affirmatif.
Ze Seigneur ne tient - i l p a s entre f e s mains
les coeurs de tous les hommes (Maffiilon) ! C ’efl:
dire énergiquement & affirmativement, L e Seigneur
tient entre f e s mains les coeurs de tous les
hommes. >
Pouvez-vous , dit le même orateur, faporter
à la gloire de Jéfus-Chrijl les p la ifirs des
théâtres ? Jéfus-Chrift peut-il entrer pour quelque
chofe dans ces forte s de. délâjjementsl &
avant que d’y entrer , pourriez - vous lu i dire ,
que vous ne vous propofez dans cette^action
que f a gloire <S* le défir de lui plaire 2 C eft dire
négativement, mais avec tou'.e l’énergie qu y ajoute
l ’aveu intérieur de l’auditeur : V o u s ne pouvez
raporter à la gloire de Jéfus - Chrijl les p la ifirs
des théâtres. J éfus-Chrijl ne p eu t entrer pour
rien dans ces forte s de délâjfements ; & avant
que dyr entrer vous ne pourriez p u s lu i dire., que
vous ne vous propofez dans cette action que f a
gloire & le défir de lui plaire .
C’eft d’après cette obfervation qu’il faut juger
des Interrogations précédentes , & de celles de
l ’exemple plein de chaleur par où je vas finir ,
pour confirmer ce que M. l ’abbé Maury vient de
dire de l ’éloquent Racine. C’eft Clytemneftre qui,
au fujet de fa fille , s’emporte contre Agamemnon
( Iphigénie. I V . 4 . ) :
Barbare ! c’ eft donc là cet heureux facrifice
Que vos foins préparoient avec tant d’artifice? t
Quoi ! L’horreur de fouferire à cet ordre inhumain
N ’a pas , e-n le traçant, arrêté votre main î
Pourquoi feindre à nos ieuxune fauffe triftefte?
Penfez-vous par des pleurs prouver votre tendreffe î
Où font-ils, ce s combats que Vousavez rendus?
Quels flots de fang pour elle avez-vous répandus?
Quel débris parle ici de votre réfiftance ?
Quel champ couvert de morts me condanne au filence ?
Voilà par quels témoins il fallpit me prouver,
Cruel, que votre amour a voulu la fan ver.
Un oracle fatal ordonne qu’elle expire !
Un oracle dit-il tout ce qu’il femble dire ?
Le Ciel, le jufte Ciel , par Je crime honoré, ;
Du fang de l’Innocence eft-il donc altéré? ;M . B e a u z Ée .)
( N .) -IN TER RU P T IO N , f. f. Figure ^de
penfée par fiétion , particulièrement propre à l’art
du Dialogue, & furtout du Dialogue dramatique :
elle connfte à arrêter la continuation d’un difeours
commencé par un aéteur , en transportant fubite-
ment la parole à un autre j de manière que le
commencement déjà entendu jette les fpeftateurs
dans rincerritn.de ou même dans l’erreur, & que
Taéteur même , par trop de précipitation , perde
«les lumières qui auroient influé fur fa conduite.
C’eft ainfi que , dans Racine, Mith ridât e , jaloux
de fon fils Pharnace, & ne fe, doutant pas que fon
autre fils Xipharès aime Monirae & en foit aimé ,
fe prive lui-même , par une Interruption, d’un
éclairciffement qui l ’auxoit défabufé ( M it h ridâtt*
II. | | :
Ml T HR I D A TE.
Je vois qu’on m’a dit vrai. Ma trifte jaloufie
Par vos propres difeours eft trop bien éclaircie.
Je vois qu’un fils perfide, épris de vos beautés,
Vous a parlé d'amour, & que vous l’ écoutez.
Je vous jette pour lui dans des craintes nouvelles.
Mais il jouïi-a peu de vos pleurs infidèles,
Madame 5 & déformais tour eft fourd à mes lois ,
Ou bien vous l’avez vu pour la dernière fois.
j4.ux gardes.
Apelez Xipharès,
M O N I M E.
Xipharès. ..
Ah ! que voulez-vous faire ?
M i t h r i d a t e .
Xipharès n’ a point rrahi fon père :
Vous vous prêtiez en vain de le défavouer.
Et ma tendre amitié ne peut que s’en louer.
Monime, en exeufant Xipharès , alloit • fonâ
doute le faire connoître j Mithridate , qui eft prévenu,
empêche par fon Interruption ce dangereux
éclairciffement. V o ilà l ’art du poète j c’eft de-donner
à l ’Interruption un motif plaufible.
U Interruption & la Réticence , confondues par
quelques rhéteurs.> parce que toutes deux arrêtent
la continuation d’un difeours commencé, diffèrent
l ’une de l ’autre par le moyen & par la fin. U In terruption
vient d’un fécond, & impofo un filence
forcé à celui qui parle ; la Réticence vient de
celui même qui parle , & caufe un filence volontaire
: la première amène l ’incertitude ou l ’erreur ;
la fécondé en laiffe entendre plus qu’e lle n’en dit.
V o y e z R é t i c e n c e . ( M . B e a u z é e . )
( N . ) IN T R A N S IT IF , IV E , adj. Quelques
grammairiens .nomment intranfitifs les verbes
dont le fons ne met pas le fujet en relation avec
un objet extérieur fur qui tomberoit l ’effet de ce
qui eft énoncé par le verbe. C e font donc les
verbes communément appelés neutres , comme
être , d ormir, cou r ir , &c. Mais les verbes a&ifs
peuvent avoir quelquefois une lignification intran-
fitiv e , comme quand.-on dit manger fans Ipécifier
aucun aliment ; IL fa u t manger pour vivre, & non
p a s vivrepour manger./7". Neutre & T ransitif,
( M . B e a u z é e . )
IN T R IG U E , f. f. B e lle s -L e ttr e s . Affemblage de
plufieurs évènements ou circQnftances qui fe rencontrent
dans une affaire, & qui embarraffent ceux
qui y font intéreffes.
Ce mot vient du latin intricare; & celui - c i ,
fuivant Nonius, de trias { entrave ) , qui vient du