
• V i r g i l e s’embarque p ou r A th èn e s . H o ra c e fa it
des voeux pour ,fo.n ami , ^ r e c om m a n d e à tous le s '
dieux favora b le s aux ma telo ts ce navire où . i l a
dépofé la p lu s chèré ’m o itié de l u i - m ême. Mais
tou t à c o u p l e v o y an t en m e r , i l ' fe p'eint le s dangers
qu ’ i l c o u r t , 8c fa frayeur, le s e x agère . I l ne
p eu t conc evo ir l ’audace de c e lu i qu i l e premier
d fa s’ abandonner, fur un f ra g ile bois , à ce t élément
o ra g e u x & perfide. , Le,s dieux avo ien t féparé le s
divers c lim a ts -de ,1a .terre par le , profon d .abîme
des mers : l'impiété-: d e s . hommes , a franchi ce t
o b f t a c le ; & v o ila , com m e le u r audaçe, o fe enfreindre
toutes le s lo is . Q u e p e u t - i l y avoir, de facré
p o u r eux ? I ls ont dérobé l e feu du c ie l ; ôc dé là
c e d é lu g e de maux qui ont inondé la terre 8c préc
ip it é le s pas d e . la m o r t. N ’a - t-* o n pas vu D é d
a le traverser le s airs , H e r cu le forcer le s demeures
iembr.es ? 11 n e f t • rien ' de trop p én ib le de tro p
p érilleu x - pour-Tes? hommes;- Dans -notre fo lie ,
nous attaquons l e i c i e l -, & nos crimes ne p e r - ,
m etten t pa s^ à Jupite r de - po fer un moment la
foudre.
Q u e l l e eft T a * caufe de ce tte ind ignation ? le
dan g er q u i menace • le s jours de V i r g i l e : ce ttè
fra yeu r , c e tendre , intérê t qu i o ccupe ; l ’ âme; du-
p o è t e , eft comme l e ton fondaméntal dè toutes
le s modu lations de ce tte Ode] à mon g r ê l e ch ef-
d’oeuvre d’H o ra c e dans l e genre-paffionné -, qu i eft
l e p rem ier de tous le sg en re s .
. J ’a i dit q ue la fituation du p o è te , & la nature
d e (on fu-jet déterminent l e ton de l ’Ode. O r fa
fitu ation p eu t être ou c e lle d’un homme infpiré
q u i fe liv r e à l ’im p ùlfion d’une caufe fu rn a tu re lle j velox mente nova ; ou c e lle d’un homme qu.e;
l ’im a g in a tio n ou l e fentiment domine , 6c -qui fe'.
ljv ç e a leurs mouvements. D ans l e premier c a s , i l
d o it foütênir l e m e rv e illeu x de l ’ infpira tion p a r l a
ha rdieffe des ima ges 8c la fub lim ité des penfées : nil mortàle loqnar. O n en v o it des modè le s divins
dans le s prophè te s : t e l eft l e cantique de M o ïfe ,
q u e l e {âge R o l lin à c ité ; te ls fo n t que lqu es-uns
des pfeaumes de D a v id , que R o u ffe au ' a paraphrafés
a v e c beaucoup d’harmonie & dè p om p é ; t e l l e eft,
l a pro p h é tie de Joad dans YAthalie de l ’illu f t r e
R a c in e , l e plus beau morceau de' P o é fîe ly r iq u e
q u i fo i t forti de la m a in dès hommes , 8c au q u e l i l '
nè m a n q u e p o u r être une Ode p a r fa ite , que la
rondeur des périodes dans la contexture des vers.
Mais d’où vient que mon coeur frémît d’un faint effroi?
-Eft-ce l’Elprit divin qui s’empare de moi’
- C ’eft lui-même:.il m’échauffe, il parle, mes ieux s'aiment,
Et les Cèdes obfcurs-devant moi fedceoüv-fenc.
Lévites, de vos fons prêtez-moi les accords!, ’
Et de fes mouvements fécondez lés tranfports.
€ieux', écoutez ma voix j Terre, prête l’oreille.
• Ne dis plus, ô Jacob,:que^tonS.eignleur fommeille*
Pécheurs,difparoiftez , 1e Seigneur fe réveille*
. Comment en un: plomb vil l’or pur s’eft-il changé?
Quel èft dans le lieu faint ce pontife égorgé î
Pleure , Jérufalem , pleure , Cité perfide?,
Des prophètes divins malHeureufe homicide.
De fon amour pour toi ton Dieu s’eft dépouillé ;
Ton encens à fes ieux eft un encens fouillé.
Où menez-vous ces enfants & ces femmes?
Le Seigneur a détruit la reine des cités .
Ses prêtres font captifs, fes rois font rejetés ;
Dieu ne veut plus qu’on vienne à fes folennues.
Temple, renverfe-toi ; Cèdres, jetez des flammes.
' Jérufalem, objet de ma douleur., y
Quelle;main en ce jour t’a ravi tous tes charmes?
, Qui changera mes ieux en deux fources de larmes ,
.. Pour pleurer ton malheur?
' ' Quellë Jérufalem nouvelle
Sort du fond1 du- -défère brillante' de clarté , '
Et parte fur le front une marque immortelle?
Peuplés'dè'lâ terré, chantez i
' Jéfufalem rénaît’ plus charmante 3c plus belle.
D’où lui viennent de tous côtés
, Çes enfants qu’ en fon fein elle n’a point portés ?
L è v e , Jérufelem ,*îève ta- tête altière’^
Regarde tous ce:s rois de ta gloire, étonnés ;
Les rois des nations, devant toi proftérnés , ,
Dè -tespieds'baîfe'iit lapouflîere $
Les peuples à l’erivi marchent à ta lumière.
Heureux qui , pour ,Sion , d’une, fainte ferveur
Sentira fon âme embrafée 1 , .
.. .Çieux ,: répandez votre.roféé,
Et que la terre enfante fon Sauveur.
Dans cèttè infpiration, l ’ordre des idées eft le
même que dans un fimple "récit : c’eft la chaleur ,
la véhémence, l ’élévation , le pathétiqueI en ua
m o t, c’eft le mouvement de l ’âme du prophète qui
rend comme naturelle , dans l ’enthoufiafnie de Joad,
la rapidité des paffages ; & v o ilà , dans fon effor le
pus hardi, le. plus fublime , le fe u l égarement qui
foi t permis à Y Ode.
A plus forte raifon , dans renthoufiafme purement
poétique, le délire du fentiment 5c de l ’imagina-
tiôn dbrt-il cacher , comme je l ’ai d i t , un déifia
régulier ,5c fage , ’ ou l ’unité fe concilie avec la
grandeur & la variété. C ’eft peu de la plénitude ,
de l ’abondance, 5c de Fimpétuofité qu’Horace attribue
à Pindare, lorfqu’ il le compare à un fleuve
qui tombe des moritagnes, 5c q u i, enflé par les pluies,
trav.erüe des campagnes célèbres : .
Fer v et, immenfufque ruit profundo
Pindarus ore.
I l faut, s’i l m’eft permis de fuivre • l ’ima g e, que
les torrents qui viennent groflir le fleuve fe perdent
dans fon fein ; au lieu que dans la plupart
des Od es qui nous^reftent ,de Pindare , . f e s fujet s
font de foibles ruiffeaux qui fe perdent dans de
orands fleuves. ■ Pindare, i l eft v r a i, mêle à fes
récits de grandes idées 5c de belles images ; c’ eft
d’ailleurs un modèle dans l ’art de raconter 5c de
peïnifie^ en touches rapides. Mais pour le deffin .
de fes Odes , i l a beau dire qu’i l raffemble une
multitude -de chofes , afin de prévenir le dégoût de
la fatiété; i l néglige- trop l ’unité 5c l ’enfemble :
lui-même i l ne fait quelquefois comment revenir
à fon héros, ôc i l l ’avoue de bonne foi. I l eft
facile fans doute de l ’exeufer par les circonftances :
mais fi la néceffité d’enrichir des. fujets ftériles 5c
toujours les mêmes , par des épifodes intérefîants
& variés; fi la gêne où devoit être fon génie dans
ces poèmes de commande ; fi les beautés qui réfuJ-
tent de fes écarts fuffifentà fon apologie ; au moins
n autorifent-elles perfonne à l ’imiter : c’eft ce que
j’ai voulu faire entendre.
Du refte, ceux qui ne connoiffent Pindare que
par tradition, s’imaginent qu’i l eft fans ceffe dans,
le tranfport ; ôc rien ne lui reflemble moins : fon
ftyle n’eft prefque jamais paffionné. I l y a lieu
de croir'e q u e , dans celles de fes poéfies où fon
génie étoit en liberté, i l avoit plus de véhémence ;
mais dans ce r que nous avons de lu i , c’eft de ,
tous lès poètes lyriques le plus tranquile 5c le
plus égal. Quant à ce qu’i l devoit être en chantant
les héros 5c les dieux, lorfqù’un fujet fublime 5c fécond lui donnoit lieu d’exercer fon génie , le' -
précis d’ une de fes Odes en va donner une idée :
c’eft la première des pytliiquès , adreffée à Hiéron,
tyran de 'Syracufe, vainqueur dans la courfe des
chars.
« Lyre d’A p o llo n , dit le p o è te , c’ eft toi qui
» donnes le lignai de la joie , c’eft toi qui préludés
»-au Goncert des Mufes. Dès que tes Ions fe : font
» entendre , la foudre s’éteint , Paigle s’endort
» fous le fcepfre de Jupiter; fes aîles rapides
» s’abaiffent des deux côtés, relâchées par le fom-
» meil ;- une fombre vapeur fè répand fur le bec
» recourbé du roi des oifeaux , 5c appefantit fes
» paupières ; fon dos s’élève 5c fon plumage, s’enflq
» au doux frémiffement qu’excitent en lu i tes ac-
» cords. Mars , l ’implacable Mars, laiffe tomber
» fa lance 6c livre fon coeur à la volupté. Les
» dieux même font fenfibles au charme des vers
» 'infpirés,par le fage A p o llo n , 5c émanés du fein
» profond des Mufes. Mais tout ce que Jupiter
» irai me p a s , ne peut fouffrir ces chants divins.
» T e l eft ce géant à cent têtes , ce Typhée accablé
» fous le poids de TÆtna1, de' ce mont, cplorine
» du c i e l , qui nourrit’ des neiges éternelles ) Ôc du
» flanc duquel jailliffent à pleines fources des fleuves
» d’un feu rapide ôc brillant. L ’Ætna vomit le
» plus Jouvent des tourbillons d’une fumée ardente;
» mais la nuit , des vagues enflammées coulent clé
» fon fein ôc roulent des rochers1 avec un bruit
» horrible jufques dans -l’abîmé dés mers. G’èft ce
» monftre rampant qui exbàlë cés tèrrents dé feu ;
». prodige incroyable ppdr ceux-, qüi entendent
» raconter aux voyageurs, comment , enchaîné
» dans les gouffres profonds de l’Ætna, lé doscouibé
» de ce géant ébranle 5c foulève fa prifon ,' dont le
» poids l ’écrafe fans ce fie ».
D e là Pindare paffe à l ’éloge de la S ic ile ôc
d’H ie fo n , fait des voeux pour 1 une ôc pour l ’autre , 5c finit par exhorter fon héros à fonder fon règne fur
la juftice 5c la vertu.
I l n’ eft guère? ppffible de raflembler de plus
belles images ; 5c la foible efquiffe que j’en- ai
donnée , fuffit,, je crois , pour le perfuader. Mais
comment font-elles amenées ? Typhée ôc l ’Ælna,
à propos des vers 6c du chant. ; l ’éloge d’Hiéron ,
à propos de l ’Ætna 5c de T yp h é e ; voilà la marche
de Pindare. Ses liaifons le plus fouvent ne font
que' dans les mots j 5c dans.la rencontre accidentelle
& fortuite des. idées. Ses a île s , pour me fervir de
l ’image d’H o r a c e fo n t attachées avec1 de la cire ;
ôc quiconque voudra l ’imiter éprouvera le deftin
dTcare. Aufli voyez dans Y Ode, à la louange de
Drufus, Qualem mmiftrum , ôcc, avec quelle précaution,
quelle fagèffe le poète latin fuit-les traces
du poète grec.
« T e l que le . gardien dç, la foudre, l ’aig le à
» qui le roi des;dieux a donné l ’eir.pire des a ir s,
» l ’aig le eft d’abord- chaffé de fon nid par l ’ardeur
» de la jeuneffe ôc la vigueur de fon naturel. I l
» ne connoît point encore l ’ufage de fes forces ,
» mais déjà lés vents lui ont apris à fe balancer
» fur fes aîles timides ; bientôt d’un v o l impétueux
» i l fond fur les bergeries; enfin le défir impatient
» de la proie 5c dès combats le lance contre les
» dragons, qui , enlevés dans le s airs, fè débattent
» fous fes griffes tranchantes. O u te l qu’une biche,
» occupée au pâturage, voit tout à coup paroître
» un jeune lion que fa mère a écarté de fa ma-
» méllé ,, 5c qui vient effayer au carnage une dent
» nouvelle encore: tels les habitants des Alpes
» ont-vu dans la guerre le jeune Drufus. Ces--peu-
1 » pies , long temps 6c partout vainqueurs , cés peu-
| » pies vaincus à leur tour par l'habileté prématurée
• » de ce héros,,-ont reconnu ce que peut un naturel
» formé fous de divins aufpicès, ôc l ’influence-de
» l ’âme d’Augûfte fur les neveux des Nérons. Des
» grands hommes naiffent les grands hommes. Les
» taureaux, les çourfiers héritent de la vigueur
» de leurs pères. L ’aig le audacieux n’engendre
» point la timide colombe. Mais <fans l ’homme ,
, » c’eft à rinftruélion à faire éclorre le germe des
» vertus naturelles, 8c à la culture à leur donner
» des- forcés. Sans l ’habitude des bonnes moeurs la
» nature eft bientôt, dégradée. -O Rome ! que ne
» dois-tu pas aux Nérons? Témoins le fleuve Më-
» tàüre , 6c Afdrubal vaincu fur fes bords’, 5c l ’I ta lie ,
» dont cè beau, jour , ce jour ferein, diffipa les
» ténèbres. Jufqu’alors le cruel africain fe rëpan-
n doit* dans nos ville s comme la .flamme dans les
• » 'fo tê is '; . d u 'le 'V e n t -d ’Orient fur les mers-, de
! » Sicile. Mais depuis, la Jeuneffe romaine’ marcha
f